L’Australie entre imagination et découverte, à propos de « L’âge d’or des cartes marines », exposition à la BNF (23 oct 2012-27 janvier 2013).
Le 4 novembre 2011 a été vendu aux enchères, à Richelieu-Drouot par Pierre Bergé et Associés, un exemplaire d’un ouvrage qui rassemble des relations de voyages du 17° siècle et d’époques antérieures. Une carte l’accompagne, Terre australe découverte l’an 1644, reproduite ici, c’est tout bonnement la première carte de l’Australie en français, dans l’état des connaissances de l’époque. Inutile de dire que ce livre a été vendu pour une somme rondelette : 14.000 euros. Peut-être un collectionneur australien ?
La carte de Melchisédec Thévenot est mentionnée comme référence première dans une légende de carte manuscrite de l’Océan Pacifique (Joao Texeira Albernaz 1649) à l’exposition de la Bibliothèque Nationale de France en cours d’octobre 2012 à janvier 2013 ; .
Le cartographe Thévenot, qui répondait au doux prénom de Melchisédec, publia de 1663 à 1666 chez l’imprimeur parisien Jacques Langlois un ouvrage en trois volumes « Relations de divers voyages curieux qui n’ont point esté publiés ».
Parmi ces voyages figure la « Relation du Journal de voyage de Bontekoe, suivie de La Terre australe découverte par le capitaine Pelsart qui y fit naufrage ». La carte mentionnée, réalisée par lui, illustre cette relation de voyage.
Personne alors n’a encore fait le tour de l’Australie et on pense qu’un sixième continent, le Continent Austral est localisé quelque part dans l’hémisphère sud. Le continent austral est représenté entre autres sur la carte d’Ortelius, cartographe anversois, qui représente l’Océan Pacifique (1589).
Au milieu du 17° siècle, les navigateurs hollandais ont déjà reconnu toute l’Australie occidentale. Les côtes de l’Australie furent peut-être abordées par les Portugais au XVI° siècle, mais la première expédition attestée est celle de navigateurs hollandais en 1607. D’autres se succèdent dans la première moitié du XVII° siècle. La carte de Thévenot mentionne quelques uns d’entre eux.
La carte présentée ici par Melchisédec Thévenot est en fait une carte hollandaise, surchargée de quelques inscriptions en français : Ligne équinoctiale, Tropique du Capricorne. Le reste des inscriptions est en néerlandais. L’équateur, comme le tropique sont bien localisés et le dessin des côtes de la moitié occidentale de l’Australie tout à fait exacte. Thévenot mentionne que la Nouvelle Hollande a été découverte en 1644 (detecta 1644) : mais il tient compte aussi des découvreurs antérieurs. C’est ainsi que le Cap Leeuwin à l’extrémité sud-ouest de l’Australie porte le nom d’un navire batave qui le doubla en 1622.
L’Australie est dénommée Nouvelle Hollande (Hollandia Nova) dans sa partie occidentale et elle est supposée se fondre à l’est dans la Terre Australe, c’est-à-dire dans l’hypothétique Continent Austral. Ce Continent Austral ne disparaîtra des cartes et des imaginations qu’un siècle plus tard, avec les voyages de Cook.
Les côtes les mieux répertoriées chez Thévenot sont celles de ce que nous appelons aujourd’hui Golfe de Carpentarie et le versant occidental de la péninsule d’York, soit le nord de l’Australie. C’est que les navigateurs y abordent facilement à partir des possessions hollandaises de l’Insulinde. Abel Tasman, navigateur hollandais a suivi cette côte lors de son second voyage, en 1644, comme le montre la carte de ses deux voyages.
La carte reproduite par Melchisédec Thévenot pose la question de la liaison entre Australie et Nouvelle Guinée.
Le détroit de Torrès qui sépare l’Australie de la Nouvelle Guinée est fort étroit. Il est mentionné sur la carte mais peu visible. Peu de gens ont dû se risquer à l’emprunter. Abel Tasman ne l’a pas suivi. Ce détroit fut totalement exondé lors de la dernière glaciation, ce qui permit le peuplement de l’Australie par les Aborigènes, venus à pied sec de Nouvelle Guinée, mais ces derniers furent ensuite confinés dans leur île-continent, faute de moyens de navigation, lorsque la fonte des glaces amena à nouveau la submersion du détroit de Torrès.
La carte montre une connaissance des littoraux de la Nouvelle Guinée incomplète et approximative. La côte septentrionale de la Nouvelle-Guinée est connue depuis longtemps, comme on le voit déjà sur la carte d’Ortelius, car elle fut abordée à partir de l’Insulinde. La connaissance des littoraux méridionaux de la grande île est beaucoup plus fragmentaire et tardive.
Suivons maintenant sur la carte le dessin de la côte méridionale de l’Australie.
En 1644, le relevé des côtes australiennes s’arrête vers l’est lors de l’inflexion vers le sud de la côte de ce que nous appelons Australie Méridionale (South Australia). Là s’arrêtent les relevés des voyageurs antérieurs à Tasman.
En revanche, plus à l’est apparaît sans liaison avec le supposé continent austral la « Terre de Diemens », dont la carte nous dit qu’elle fut découverte le 24 novembre 1642. Il s’agit, en réalité, de l’extrémité sud de la Tasmanie, vaste île de 68.000 kilomètres carrés qui porte aujourd’hui le nom du navigateur hollandais Abel Tasman. Mais Tasman ne connaissait pas le nord de l’île et ne savait pas si ces rivages se rattachaient ou non au Continent Austral.
Plus à l’est, isolé, apparaît un tronçon de côte où se trouvent mentionnés les noms des Hollandais Van Diemen ( le patron à Batavia de la Compagnie des Indes) et Abel Tasman. Les terres en arrière de cette côte sont baptisées Nea Zelandia (Nouvelle Zélande).
En effet, après avoir découvert la Tasmanie, durant son voyage de 1642, Abel Tasman rencontre la côte occidentale de la Nouvelle Zélande, d’abord le long de l’île du sud puis de l’île du nord. Mais il ne fait pas le tour de la Nouvelle Zélande et ignore sa forme et son étendue comme le révèle cette carte. Là encore il faudra attendre les voyages de Cook, 120 ans plus tard, pour que l’ensemble de la Nouvelle Zélande soit reconnu.
La carte de Thévenot représente donc un exemple intéressant de combinaison entre les apports des navigateurs et les restes d’une imagination séculaire, qui s’effacent peu à peu devant les découvertes des Européens.
Une dernière remarque sur la vitesse de diffusion des connaissances géographiques : après les voyages de Tasman en 1642 et 1644 les Hollandais en dessinent immédiatement les cartes. Mais vingt ans s’écoulent entre le voyage de Tasman et la publication de la première carte française par Thévenot, qui édite son ouvrage de 1663 à 1666 à partir de ces cartes hollandaises.
Michel Sivignon
novembre 2012