L’histoire de Th. Jean Delaye (1896-1970) s’articule avec celle du XXe siècle marocain.

Recruté par le Service Géographique du Maroc, il a suivi tous les épisodes de la conquête coloniale depuis 1924 jusqu’en 1940. C’est là qu’il exerça ses talents en relevant la topographie de plusieurs massifs montagneux du Rif à l’Atlas, sans compter ses missions de reconnaissance aérienne et vécut au Maroc jusqu’en 1960.

Il fut d’abord un cartographe, mais aussi un géographe. On a même pu écrire (Aurelia Dusserre) qu’il fut « un des principaux acteurs de la géographie marocaine de l’Entre-Deux Guerres. Il a été un des membres les plus actifs du Comité de la Société de Géographie en 1931, il en devient l’un des vice-présidents en 1939. Il collabore régulièrement à la Revue de Géographie du Maroc, avant d’en devenir le rédacteur en chef en 1942. » Inutile de dire qu’il approuve totalement l’action coloniale, en quoi il ne dépare pas des manuels de géographie de l’époque : dans son édition de 1959, soit trois ans après l’indépendance, le manuel de première de Hatier (par H. Boucau et J. Petit) écrivait : « L’économie marocaine était, vers 1912, au stade du Moyen-Age ; son développement s’affirme très brillant, grâce à l’afflux des capitaux et des techniciens français ».

Jean-François Troin nous en a opportunément rappelé le souvenir en reproduisant dans ses « Carnets de géographie anecdotique » (Éditions Petra, Paris, décembre 2018) un dessin de la place de France à Casablanca. C’est que Delaye fut aussi un dessinateur et un illustrateur d’ouvrages très fécond, et que son travail permet de mieux comprendre la place que le protectorat marocain a occupé dans les représentations coloniales françaises de cette époque.

En effet, à côté de ses aquarelles et dessins de la vie populaire et de l’architecture traditionnelle, qui constituent un apport intéressant mais un peu attendu, Delaye exprime la modernité du Maroc, suivant en cela le discours colonial du moment : la France voyait dans le protectorat marocain sa plus belle réussite coloniale. En témoignent les dessins des villes nouvelles et des installations portuaires.

Telle, ci-dessous cette image de la place de France à Casablanca, où dit un manuel de géographie « la ville nouvelle enveloppe la ville indigène » ou encore les images d’un train de phosphates dans le port de Casablanca.

Théodore Jean Delaye, à l’origine topographe au Service géographique de l’Armée,
a progressivement développé ses talents de dessinateur et aquarelliste.
Il a multiplié ses croquis sur le Maroc, dont cette vue sur la Place de France à Casablanca (Revue de Géographie du Maroc, 1, 1940) dans le pur style Art Déco.

 Illustration reproduite dans J.-F. Troin, Carnets de géographie anecdotique. Ce que les géographes ne disent pas, Éditions Petra, Paris, Illustration N° 11, page 116.

 

 

Silo à grains dans le port de Casablanca (RGM 1940 N°1) « du temps où le Maroc exportait le blé dur des colons. Aujourd’hui, le pays importe largement ses besoins en grains » (J.-F. Troin).

Un train de phosphates dans le port de Casablanca (RGM 1940 N°1). L’extraction des phosphates fut un des premiers effets de la colonisation, dans le domaine minier.

 

Dans cette illustration d’un article de la Revue de Géographie du Maroc de 1940, le Maroc précolonial n’est pas le sujet. Il s’agit de montrer le développement moderne issu de la colonisation. C’est aussi l’occasion d’illustrer une ville en développement rapide, avec un type d’urbanisme qui rappelle plus les « pays neufs » que la France, au moment même où en métropole, la construction marque le pas.

 

Non pas que Delaye n’ignore, tout au contraire, le Maroc traditionnel : il a parcouru tout le Maroc montagneux du Sud, pour les besoins de la cartographie militaire. On en trouvera ici un témoignage qui illustre aussi son talent esthétique, dans une aquarelle qui reproduit une kasbah proche d’Ouarzazate.

Michel Sivignon, Jean-François Troin, décembre 2019