Eugène Peytier cartographe
Eugène Peytier est un polytechnicien de la promotion 1811. Il entre en 1813 dans le Dépôt de la Guerre et de la Géographie au sein duquel figure le Corps des Ingénieurs géographes militaires créé en 1809. Il effectue un premier travail dans les Pyrénées en 1825 où il œuvre à la triangulation destinée à la Carte d’État-Major de la France au 1:80.000 en cours d’exécution depuis 1817.
Il est recruté par Jean Capodistria gouverneur de la Grèce indépendante lors d’une visite de ce dernier à Paris en 1827. Capodistria, formé par son expérience ministérielle en Russie, veut donner à l’État Grec des bases solides. Il confie à Peytier la confection d’une carte topographique précise du Péloponnèse, du plan de plusieurs villes dont Tripoli et Corinthe, ainsi que le relevé des fortifications héritées des Vénitiens et des Turcs. Peytier, accompagné de deux autres officiers cartographes doit aussi former de jeunes officiers grecs au travail cartographique scientifique.
Peytier est rattaché, au sein d’une brigade topographique, à l’expédition scientifique de Morée qui débarque en 1829 après la victoire navale de Navarin, où la flotte franco-anglo-russe détruit la flotte turco-égyptienne.
Peytier entreprend les relevés de la carte du Péloponnèse. Il mesure la première base de la triangulation en Argolide : la marge d’erreur est de 1 mètre pour 15 kilomètres. La latitude et la longitude sont mesurées avec la même précision. La carte du Péloponnèse à l’échelle de 1 :200.000 (6 feuilles plus 2 pour les Cyclades) est éditée en 1832.
Ce que voyant, le nouveau roi de Grèce, Othon, lui demande de cartographier la totalité du royaume. Les conditions du travail sont très difficiles, Peytier tombe cinq fois malade des fièvres (paludisme), et trois ingénieurs y laissent leur vie. En outre sur la frontière septentrionale, il leur faut affronter un banditisme endémique. Peytier rentre en France en 1831 puis revient en Grèce de 1833 à 1836. La dernière feuille de la carte du Royaume est éditée en 1852. La carte de Grèce est alors de loin la plus précise dans l’ensemble des Balkans. Peytier, promu colonel, décède en 1864. Il a alors 70 ans.
Les archives de cette cartographie sont déposées au Service Historique de la Défense, au Fort de Vincennes. Y figurent en particulier les minutes au 1 :50.000 qui ont servi de travail préparatoire à la carte du Péloponnèse, très riches en détails sur la distribution du peuplement et de certaines cultures. [1]
Eugène Peytier dessinateur
Peytier, ingénieur géographe, fut aussi un remarquable dessinateur. A ce titre, il s’inscrit dans un groupe de dessinateurs qui travaillent à populariser la question de l’indépendance grecque [2] au sein de l’opinion publique européenne dans le mouvement philhellénique. Dans ce groupe figurent des Français, mais aussi des Anglais tel Edward Dodwell et des Allemands, tels Körnberger et von Hess. En 1971, la Banque nationale de Grèce a édité un recueil des dessins et aquarelles de Peytier, dont nous donnons ici quelques exemples.
Peytier échappe dans une large mesure aux clichés orientalistes qui accompagnent très souvent les dessins de l’époque. Son Orient n’est pas une transposition d’un Orient préfabriqué, mais le fruit d’une observation attentive. Par ailleurs, quand il peint les témoignages de la Grèce antique il prend soin de les inscrire dans le paysage qu’il a devant lui.
Ainsi les ruines du Parthénon n’effacent-elles pas les constructions turques, dont la mosquée édifiée après l’explosion de 1687, pendant le siège de la ville par les Vénitiens, alors que les Turcs utilisaient le Parthénon pour y entasser poudre et munitions. La dernière garnison turque quitte la ville le 29 avril 1833. Cette mosquée sera détruite peu de temps après qu’Athènes ne devienne capitale de la Grèce indépendante, en juin 1833.
Même souci d’exactitude pour décrire un quartier en ruines d’Athènes , qui s’appelle maintenant Monastiraki, avec au second plan le temple du Theseion, le mieux conservé parmi les témoignages architecturaux antiques. Athènes comptait plus de 1500 maisons lors du recensement de 1824. 60 seulement restaient debout en 1833.
Les travaux du cartographe dans le Péloponnèse lui laissent assez de loisirs pour peindre un café de Patras où les costumes sont décrits sans souci particulier du pittoresque, parfaitement situés dans leur environnement.
Bien sûr le pittoresque sous une forme plus convenue apparaît aussi avec ce portrait à la plume d’un des chefs de la rébellion de 1821, Petrobey MAVROMICHALIS, d’une des grandes familles du Magne. Ce thème n’est pas particulier aux dessins de Peytier ; on le trouve dans tous les dessins des Bavarois qui à partir de 1833 accompagnent le roi Othon.
On remarquera la pose inhabituelle de cette femme à la cruche et le soin avec lequel sont représentés les nattes, le châle, les robes superposées, les chaussures.
Les femmes à la fontaine sont un motif favori des dessinateurs. Le sujet est ici moins fugitif : il faut du temps pour remplir la cruche et pour discuter.
[1] Pour plus de détails sur la cartographie, on pourra se reporter à l’article de Michel Sivignon « La nation, l’Etat, la carte. A la naissance de la Grèce moderne. » (Hérodote n° 76, 1995, p. 207-220).
[2] Le 25 mars 2021 a lieu le 200e anniversaire de la Révolution grecque. L’Institut Français d’Athènes y consacre une exposition accessible en ligne.
Sources :
Les aquarelles et dessins à la plume sont issus de :
Eugène Peytier, Liberated Greece and the Morea scientific expedition. The Peytier Album an the Stephen Vagliano Collection, Banque nationale de Grèce, Athènes, 1971.
Michel Sivignon, le 18 mars 2021