Cet ouvrage (1) de taille modeste est enrichi d’un lexique, d’une abondante bibliographie et d’annexes présentant des données statistiques. Il traite d’une question d’actualité : l’alya des juifs de France depuis les années 2000, c’est-à-dire leur migration vers Israël depuis deux décennies. Même si ce phénomène est ancien et bien replacé dans son contexte historique par les auteurs, il a connu une recrudescence dans les années 2010. Pourquoi et comment s’effectuent ces flux migratoires ? Les trois auteurs (un historien, une sociologue et un géographe) ont confronté leurs méthodes disciplinaires pour expliquer un mouvement qui pose question à la société française, aux motivations complexes des olim (personnes qui font leur alya) et aux politiques menées par les autorités d’Israël. A l’échelle de la communauté juive mondiale ou de l’Etat israélien, le sujet peut sembler marginal (de 1948 à 2017 les olim venus de France n’ont représenté que 3,5% des immigrants), mais son analyse apporte de nombreux thèmes de réflexion, politiques, culturels et sociologiques que les auteurs exposent avec clarté et nuance.

Qu’est-ce qui amène une personne ou une famille juives à quitter le pays natal, la France, pour s’installer en Israël ?

 Une réponse semble s’imposer : l’antisémitisme et le sentiment d’insécurité qu’il entraîne. Le phénomène est ancien mais ce terme recouvre des réalités différentes selon les périodes. Caractérisant l’extrême-droite dans le passé, il a été ravivé ces dernières décennies par le conflit israélo-palestinien et par l’islamisme radical. En fait le niveau d’antisémitisme est bas dans l’ensemble de la population française, mais attaques ciblées et attentats ont créé une nouvelle peur dans la communauté (une interrogation : quitter la France, même la banlieue est de Paris, pour une colonie en Cisjordanie, est-ce gagner en sécurité ?).

Si l’antisémitisme peut être évoqué par tous les olim, l’étude des entretiens que les auteurs ont réalisés montre une diversité de motivations, même si tous adhèrent au discours nationaliste du gouvernement et voient en Israël un avenir protecteur. L’idéologie socialiste qui animait beaucoup de migrants dans les décennies qui ont suivi la création de l’Etat (1948) a peu à peu été remplacée par des mouvements de droite.

Trois groupes se distinguent par leur âge, leur appartenance religieuse, leur style de vie et le lieu de leur implantation en Israël.

Le groupe le plus déterminé, le plus homogène, est celui des religieux, traditionalistes et surtout ultra-orthodoxes pour qui vivre en Israël dans un entre-soi étroit est une « prescription ». La majorité s’installe à Jérusalem. Les ultra-orthodoxes constituent un « monde à part » au sein d’un Etat qui leur accorde des avantages particuliers : ils sont exemptés du service militaire et bénéficient d’allocations mensuelles qui leur permettent de consacrer leurs journées à l’étude des textes religieux dans les yeshivot et les kollels.

Beaucoup de jeunes, étudiants et actifs, sont attirés par l’image de « pays neuf » que présente Israël, un pays qui leur permettrait de changer de milieu, de « changer de vie ». Le néo-libéralisme qui prévaut dans la société israélienne, sa réputation de « start up nation » sont des atouts pour ceux qui ont le « souci d’entreprendre ». Pour cette catégorie d’olim, le lieu d’implantation est le District Centre (2) et surtout Tel Aviv mais certains gardent des liens professionnels avec la France.

L’héliotropisme et les avantages fiscaux (impôts sur les pensions moins lourds en Israël qu’en France) semblent séduire les retraités qui s’installent sur la frange littorale, dans des stations comme Netanya.

                                                                                                                    Les interviews des nouveaux migrants évoquent aussi des motivations difficiles à classer comme l’échec scolaire en France ou le désir de « vivre près de la mer ».

Le départ de France et l’installation en Israël sont rarement des aventures solitaires. L’Agence juive qui coordonne la politique de l’alya et de la klita (assimilation) joue un rôle considérable auprès des jeunes comme des adultes pour susciter le désir de migrer et faciliter l’installation (elle a pris en charge 70% des olim de France en 2019). Pour promouvoir l’alya, elle dispose de nombreux programmes surtout destinés aux jeunes (voyages offerts, insertions temporaires, accueil de lycéens…) mais aussi organise des Salons où les aspirants au départ trouvent toutes les informations possibles sur les démarches à effectuer, les conditions d’installation, les aides apportées, le soutien donné sur place par les associations francophones, le service national considéré comme intégrateur. Actifs et retraités ont aussi leurs espaces d’information et chaque migrant est en contact avec un chargé de projet en Israël. D’autres associations non étatiques contribuent à cette prise en charge, comme l’association « Alya » qui prône l’idéologie du « Grand Israël » et facilite l’installation dans les territoires palestiniens.

 

Alors l’alya des juifs de France est-il une réussite ?

La réponse des auteurs est nuancée car la recherche bute contre un obstacle majeur : l’absence de données chiffrées sur les olim qui retournent en France, sujet tabou pour le gouvernement israélien. La confrontation avec une société idéalisée est parfois difficile et plusieurs témoignages  décrivent des difficultés d’intégration pour des raisons matérielles et/ou culturelles.

La paupérisation menace une partie des migrants, notamment ceux qui sont munis de diplômes non reconnus en Israël. Un architecte, une dentiste…témoignent de leur déclassement. Leur situation financière est d’autant plus fragile que des services quasiment gratuits en France (santé, éducation…) sont coûteux dans le pays d’accueil.

Même sur le plan religieux, l’ambiance est différente. Les pratiques rigoristes ne correspondent pas exactement à ce qu’un juif de France appelle « judaïsme traditionnel ». L’enseignement en donne un exemple : il est difficile de trouver une école où coexistent enseignement religieux et matières laïques. L’opposition entre orthodoxes et laïcs est totale en Israël.

Les fortes inégalités, la lourdeur du service national, la faiblesse des services publics expliquent aussi les retours d’olim récemment installés. Ce qui caractérise l’alya française aujourd’hui, c’est la forte proportion d’une population mobile qui partage sa vie entre Israël et la France pour conserver son niveau de vie. Ce va-et-vient est source d’inquiétude pour les autorités chargées d’assurer la réussite de l’alya.

Notes :

1) Yann SCIOLDO-ZÜRCHER, Marie-Antoinette HILY, William BERTHOMIERE, Partir pour Israël. Une nouvelle migration des Juifs de France, Presses universitaires François-Rabelais, 2023.

2)District Centre : nom donné à l’un des six districts israéliens, peuplé d’environ 1 800 000 habitants et dont la capitale administrative est Ramla.

 

Michèle Vignaux, septembre 2023