En 1843, Victor Hugo découvre Pasajes (Pasaia en basque), tombe sous le charme de ce port de pêche et le décrit en des termes élogieux[1]. La petite cité côtière est, depuis, devenue un port polyfonctionnel : aux produits de la mer (13 000 tonnes déchargées en 2013, ce qui en fait le troisième port de pêche espagnol derrière Vigo et La Coruña), s’ajoutent des trafics de marchandises variées à forte base industrielle.
Un petit port placé dans un environnement logistique concurrentiel
Le port de commerce de Pasajes, dans la province du Guipúzcoa, s’inscrit dans la vaste conurbation basque espagnole qui réunit la ville frontalière d’Irún à la métropole touristique qu’est San Sebastian et comprend les cités industrielles de Lezo, Rentería et Pasajes Antxo.
De prime abord, ses trafics apparaissent modestes. En 2015, 3,79 millions de tonnes de marchandises ont été manipulées sur les terminaux du port. L’objectif actuel des autorités portuaires est d’atteindre et de dépasser les 4 millions de tonnes. De fait, Pasajes en impose peu, face notamment à Bilbao, dont les trafics ont atteint 32,8 millions de tonnes en 2015. Qui plus est, l’environnement concurrentiel du port guipuzcoan est renforcé par la proximité de Bayonne. Le port français a certes connu une année 2015 assez difficile (2,3 millions de tonnes) mais il n’en reste pas moins pour Pasajes un adversaire d’autant plus coriace que les orientations logistiques de trafics de part et d’autre de la frontière sont assez analogues.
Le port de Pasajes doit aussi composer avec des contraintes de site non négligeables. Les terminaux s’articulent autour d’une vaste rade qui, sur le plan géomorphologique, correspond à la ria en bouteille du petit fleuve Oyarzun. L’accès à la haute mer est commandé par un chenal (en A sur la photographie) qui échancre le chaînon montagneux côtier du Jaizkibel (en B). Or, ce chenal limite considérablement les conditions d’accès au port. Les navires ne peuvent dépasser 185 mètres de long, 30 mètres de large et leur tirant d’eau ne peut excéder 29 pieds (soit 8,9 mètres).
Pour Pasajes, de telles conditions nautiques sont nécessairement un facteur limitant majeur dans les stratégies de développement du port. Impossible, à la différence de Bilbao, d’accueillir des navires de très grande taille. Certes, les autorités portuaires autorisent les entrées de navires dont les dimensions sont à la limite[2] des conditions de navigabilité dans le chenal d’entrée. La presse locale s’en fait d’ailleurs régulièrement l’écho[3]. Mais il n’en demeure pas moins que Pasajes reste un port corseté par son site.
Quelles stratégies de développement ? Positionnement sur des niches logistiques et modernisation des infrastructures de manutention
Dans leurs stratégies de développement, les dirigeants du port ont spécifiquement ciblé trois types de trafic. Ferrailles, produits sidérurgiques et automobiles représentent environ deux tiers de l’activité totale du port de Pasajes.
Les trafics rouliers[4] font aujourd’hui de Pasajes le cinquième port espagnol dans l’importation/exportation d’automobiles. En 2014, les trafics Ro/Ro ont représenté l’équivalent de 328 000 tonnes, soit 9,5 % du trafic total du port.
L’essentiel de celui-ci procède néanmoins de la manutention de produits sidérurgiques et de ferraille. Les premiers représentent 40 % du trafic portuaire total quand le déchargement de ferraille assure 18 % du mouvement complet du port. Le terminal de Molinao, ici photographié, offre près de 40 000 m2 de stockage sur le quai et illustre le positionnement du port sur ces deux types de trafics spécifiques.
En effet, en C, une grue automotrice décharge de la ferraille. Celle-ci est directement déchargée sur le quai où elle s’amoncèle en de vastes tas avant d’être transbordée sur des camions pour être acheminée vers les aciéries de l’arrière-pays. En D, une grue électrique charge des poutrelles métalliques dans un vraquier. Une noria de chariots élévateurs (en E) amène sur le lieu de chargement ces produits sidérurgiques jusque-là stockés dans des magasins positionnés sur les terminaux (en F).
La présente photographie permet également de souligner la modernisation des matériels de manutention. La grue électrique (D) procède d’une ancienne génération d’équipements. D’une capacité de traction assez limitée (16 tonnes), elle fait partie des outils de levage désormais parmi les plus anciens du port. En revanche, la grue automotrice qui décharge de la ferraille fait partie des équipements les plus récents du port. Dotée d’une capacité de levage supérieure à 80 tonnes, polyvalente et mue par des moteurs diesel/électriques de forte puissance, elle est munie, sur la photographie, d’une pince grappin adaptée au déchargement de la ferraille. Ce type de grue a notamment permis de considérablement accélérer les temps de manutention dans le port et, partant, de réduire d’autant les temps d’escale des navires.
Un port strictement ajusté à son environnement économique régional
Pasajes reste, essentiellement, un port d’envergure régionale. Son hinterland est principalement positionné sur le Guipúzcoa qui accapare 70 % des importations et qui produit 87 % des exportations passant par le port de commerce. L’essentiel des flux transite par la voie routière, deux compagnies de transport (Ortagui et la Cooperativa de Transportes del Puerto de Pasajes) assurant l’essentiel de la prise en charge par camion des marchandises manipulées sur le port.
Le caractère industriel du port est directement inhérent aux systèmes productifs de son arrière-pays. Le Pays basque espagnol a conservé, en effet, de nombreuses unités d’industrie lourde. Ainsi, ArcelorMittal dispose à Bergara, Zumárraga et Olaberría de trois grosses aciéries. Le site de Bergara possède une capacité de production de 550 000 tonnes de produits sidérurgiques longs profilés, Zumárraga de 320 000 tonnes de barres et poutrelles d’acier ainsi que de 730 000 tonnes de produits sidérurgiques tréfilés. Quant au site d’Olaberría, il peut produire jusqu’à 900 000 tonnes de produits profilés par an. Le port est également connecté à la grande aciérie de Zaragoza, en Aragon, dont le processus de production repose sur un four électrique traitant de la ferraille et capable de produire 615 000 tonnes d’acier par an.
Quant au trafic automobile, il procède directement des nombreuses usines d’assemblage situées au nord de l’Espagne. Les groupes Mercedes et Volkswagen disposent d’unités industrielles respectivement à Vitoria (Alava) et à Pamplona (Navarre) tandis qu’Opel possède un site de montage à Zaragoza. Le choix réalisé à Pasajes de cibler les flux maritimes de véhicules s’avère alors logique et économiquement très pertinent – d’autant que, au vu de leur gabarit (moins de 200 mètres de long), la plupart des navires rouliers naviguant en Europe peuvent entrer dans le port.
De fait, les trafics du port sont très dépendants, dans leur évolution, des soubresauts de l’économie basque. Ces dernières années, les marchandises manipulées à Pasajes ont varié du simple au double. En 2003, au cœur de cette décennie 1995/2005 de croissance forte qu’a connue l’Espagne, Pasajes avait quasiment atteint un record historique de 6 millions de tonnes (5,9 millions de tonnes). En 2013, alors que le pays est en pleine dépression[5], les trafics passent sous la barre des 3 millions de tonnes (2,9 millions de tonnes).
Le port de Pasajes reste donc une synapse économique vitale pour l’économie régionale. En 2009, une analyse émanant des autorités portuaires[6] mettait en lumière que celui-ci représentait 2 % du PIB du Guipúzcoa, fixait l’activité de 150 entreprises et assurait plus de 3 00 emplois directs et indirects.
Pour conclure. Deux défis actuels : intégrer et diversifier
Pour le port de Pasajes, deux défis majeurs demeurent. Le premier réside dans l’intégration du port dans un environnement très urbanisé dont la population est de plus en plus sensibilisée aux questions environnementales. Or, le déchargement de la ferraille génère du bruit et surtout de grandes quantités de poussière. Les opposants au port utilisent massivement les réseaux sociaux (facebook, youtube) pour exprimer leurs critiques auxquelles les autorités portuaires ont notamment répondu par l’édification de filets anti-poussières (en G).
Le second consiste à diversifier les trafics, tout en poursuivant l’objectif de croissance de l’activité. L’impressionnant projet d’ériger un port en eau profonde situé au-delà du chaînon du Jaizkibel est pour l’heure abandonné. Il s’agissait notamment d’accueillir des navires sans limitation de gabarit tout en ciblant un objectif de trafic supérieur à 20 millions de tonnes. Le contexte de crise qui sévit en Espagne depuis 2010 a entraïné le report sine die de la construction. En revanche, une liaison conteneurisée de feedering[7] vient d’être lancée entre Pasajes et le grand port belge d’Anvers[8]. C’est là une orientation prometteuse… et qui mérite sans doute une nouvelle analyse photographique…
Stéphane Dubois, février 2016
[1]. « Cet endroit magnifique et charmant comme tout ce qui a le double caractère de la joie et de la grandeur », Victor Hugo, En Voyages, Alpes et Pyrénées.
[2]. A l’instar du navire Lípica, entré dans le port en janvier 2009, et dont les dimensions étaient véritablement extrêmes pour Pasajes : 182 mètres de long, 31 mètres de large.
[3]. Lire par exemple : http://www.diariovasco.com/gipuzkoa/201504/27/buques-grandes-dimensiones-arcelor-20150427130423.html
- Un roulierest un navireutilisé pour transporter entre autres des véhicules, chargés grâce à une ou plusieurs rampes d’accès. On les dénomme aussi Ro-Ro, de l’anglais Roll-On, Roll-Off signifiant littéralement « roule dedans, roule dehors ».
[5]. Même si, indéniablement, le Pays basque espagnole a été la région d’Espagne la moins affectée par la crise. En témoignent, en 2013, les taux de chômage du Guipúzcoa (13,6 %) et d’Andalousie (36,3 %).
[6].http://www.diariovasco.com/20090906/opinion/articulos-opinion/puerto-pasajes-gran-desconocido-20090906.html
[7]. Le feedering est une action de transbordement entre les grands navires de ligne (navires-mères) qui font escale dans un nombre limité de grands ports (hubs), et les plus petits navires (feeders) qui acheminent les marchandises vers des ports de plus petite taille que les armateurs ne desservent pas en ligne directe.
[8]. En grande compétition avec le port allemand d’Hambourg, Anvers est aujourd’hui le troisième port à conteneurs d’Europe (8,96 millions d’EVP en 2014).