Promenade dans le Paris Art déco
(samedi 21 mars 2015 après-midi)

Après la journée Paris Art nouveau en 2014, les Cafés géographiques ont  proposé à leurs adhérents pour le début du printemps 2015 un après-midi Paris Art déco, sous la conduite de la même conférencière, Sylvie Gazannois.

Dans un périmètre circonscrit aux quartiers limitrophes des XVIe et VIIIe arrondissements, une promenade relativement courte a permis d’apprécier de nombreuses réalisations Art déco qui ont marqué l’urbanisation parisienne des années 1920-1930.

Près du palais de Tokyo , le groupe des Cafés géo, Tokyo très attentif aux propos éclairés de la conférencière Sylvie Gazannois (cliché de Daniel Oster)

Près du palais de Tokyo , le groupe des Cafés géo, Tokyo très attentif aux propos éclairés de la conférencière Sylvie Gazannois (cliché de Daniel Oster)

Les étapes de la promenade :

13h45 : Rendez-vous devant le Musée de l’Homme  (Palais de Chaillot)

14h : Immeuble 1, avenue Paul Doumer. Evocation des grandes lignes architecturales et décoratives du style Art déco.

14h30 : Façade du cimetière de Passy (années 1930) avec son entrée, refaite en 1934 et ornée de bas-reliefs.

15h : Palais de Chaillot (construit pour l’Exposition internationale de 1937).

15h45 : Palais du Conseil économique et social (bâtiment construit en 1936-1938 par Auguste Perret pour le musée des Travaux publics). Evocation seulement de l’extérieur pour cause de  travaux en cours.

16h : Palais de Tokyo (construit pour l’Exposition de 1937)

16h15 :Visite des salles Art déco et école de Paris au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (Palais de Tokyo)

17h : Eglise de Saint-Pierre-de-Chaillot (construite de 1933 à 1937 d’après les plans d’Emile Bois).

17h30 : Théâtre des Champs-Elysées (construit en 1911-1913 par les frères Perret).

L’actualité de l’Art déco

La Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris, a présenté une vaste et passionnante  exposition sur  l’Art déco entre le 16 octobre 2013 et le 17 février 2014. L’ampleur et la clarté pédagogique de cette exposition avaient séduit les nombreux visiteurs, parfois surpris de constater la capacité de l’Art déco à essaimer dans le monde entier, souvent sous la forme de réinterprétations nationales en Europe, en Amérique, en Asie et même en Afrique. Cette même année 2014 a vu également de nombreux hommages à l’architecte français Auguste Perret (1874-1954), figure emblématique de l’Art déco. Il était donc tentant de visiter un quartier de Paris où l’empreinte de l’Art déco est important pour bien comprendre les caractéristiques essentielles d’un style bien plus complexe qu’on ne le croit généralement.

Les frères Perret et l’immeuble de la rue Franklin

La sortie Art déco devait commencer par cet immeuble du 25 bis de la rue Franklin que les frères Perret ont construit en 1903 sur un terrain appartenant à leur famille. Avec l’utilisation du béton armé dont l’usage commençait tout juste à se répandre, cet immeuble est considéré comme un jalon essentiel de la naissance de l’architecture moderne du XXe siècle. Malheureusement il n’a pas été possible d’observer la modernité du bâtiment masqué par les échafaudages d’un ravalement en cours.

L'immeuble 25 bis rue Franklin, Paris 16e (source: structurae.info)

L’immeuble 25 bis rue Franklin, Paris 16e (source: structurae.info)

L’immeuble 1, avenue Paul Doumer

Cet immeuble est l’occasion de présenter les principales caractéristiques de l’Art déco, esthétique du béton armé prônant la simplicité et la sobriété de la droite,  revendiquant sa préférence pour les lignes incisives et arbitraires, les angles cassés et volontaires, c’est-à-dire tout le contraire des sinusoïdes et des arabesques de l’Art nouveau.

Le nom d’Art déco, né tardivement en 1968 de la plume de l’historien d’art britannique Bedis Hillier, fait référence à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et modernes qui se tient à Paris en 1925 et qui consacre le triomphe d’un style nouveau dans les années 1920 et 1930, se déployant d’abord en France puis dans le reste du monde. Ainsi on peut dire que l’Art déco a existé sans jamais être nommé. Peut-être parce qu’il ne s’est appuyé sur aucune théorie et qu’il est traversé par une diversité plus grande que l’idée qu’on en a eu pendant longtemps.

En tout cas, insistons sur la conjonction historique unique qui a présidé à sa naissance et sa diffusion : des transformations rapides d’une industrie en mutation, une nouvelle mobilité portée par l’automobile et l’aviation, une société bouleversée par le premier conflit mondial avec en particulier une certaine émancipation féminine.

L’entrée du cimetière de Passy

Depuis 1874 le cimetière de Passy est la nécropole élégante de Paris. Dans le cadre de la restructuration du quartier voisin de Chaillot dans les années 1930, l’entrée du cimetière est refaite en 1934 dans le style Art déco avec des bas-reliefs sculptés par Janthial. Quant au pavillon d’accueil datant de 1937, il adopte le type des grands édifices publics à colonnade et grands bas-reliefs (également sculptés par Janthial).

Le pavillon d'accueil du cimetière de Passy (source: <a href="http://www.parismamanetmoi.com">parismamanetmoi.com</a>)

Le pavillon d’accueil du cimetière de Passy (source: parismamanetmoi.com)

Le palais de Chaillot

Cet ensemble monumental le plus important bâti dans les années 1930 à Paris s’inscrit dans le contexte de l’Exposition internationale de 1937. Les architectes retenus (Boileau, Azéma et Carlu) font le choix d’une vaste esplanade encadrée par deux pavillons massifs en réutilisant les fondations et les structures du bâtiment existant (le palais du Trocadéro construit en 1878) tout en construisant en béton armé l’ossature du nouveau palais. La partie décorative est répartie en trois ensembles : la peinture pour le décor du théâtre, le bas-relief pour le palais, la sculpture en ronde bosse pour les terrasses et les jardins. Les thèmes sont en harmonie avec les programmes intérieurs : l’iconographie des continents et de la navigation pour l’aile de Passy, les thèmes de la sculpture et de l’architecture pour l’aile de Paris.

Le palais de Chaillot, qui relève du classicisme au dire même de ses concepteurs, est devenu un modèle de l’architecture monumentale des années 1930 avec « son axialité, la symétrie de ses pavillons et de ses ailes, la simplicité et la clarté des volumes, et son vocabulaire décoratif » (Enora Prioul, L’Art déco, TDC n° 1063, novembre 2013).

Le palais de Chaillot vu des jardins du Trocadéro (source: paris1900.lartnouveau.com)

Le palais de Chaillot vu des jardins du Trocadéro (source: paris1900.lartnouveau.com)

Le palais de Tokyo

Ce palais, destiné à abriter les musées d’art moderne de l’Etat et de la ville de Paris, date des années 1934-1937 (architectes: Dondel, Aubert, Viard et Dastugue) ouvre une belle échappée sur la Seine entre deux bâtiments d’importance différente mais donnant  l’illusion de symétrie grâce aux choix architecturaux. La légèreté de la corniche et l’absence de frise apportent « une touche de modernité élégante qui épargne au bâtiment la lourde monumentalité des monuments publics de l’époque  » (Gilles Plum, Paris Art déco, Parigramme, 2008). Cela n’empêche pas la franche modernité d’apparaître avec l’implantation de reliefs par Alfred Janniot hors de tout cadre et de toute fonction architecturale.

Le palais de Tokyo (source: structurae.info)

Le palais de Tokyo (source: structurae.info)

L’ancien Musée des travaux publics (aujourd’hui Conseil économique, social et environnemental)

Considéré comme le testament architectural d’Auguste Perret , ce bâtiment construit entre 1936 et 1939 tente comme toujours chez cet architecte de faire la synthèse entre la perfection académique et la perfection technologique. « Plutôt que de procéder par simplification des formes classiques, Perret élabore un nouvel  architectural complexe qui tire parti des qualités du béton et s’attache à les mettre en valeur. » (Gilles Plum, op.cit.)

L'ancien Musée des travaux publics de la place d'Iéna (source: economie.gouv.fr)

L’ancien Musée des travaux publics de la place d’Iéna (source: economie.gouv.fr)

Un ensemble de trois corps de bâtiments accolés, le long des trois voies qui le bordent, s’organise autour d’une cour intérieure de forme trapézoïdale.. Le péristyle composé de colonnes isolées de plus de 12 m de hauteur supporte le toit-terrasse tout en étant totalement indépendant de l’ossature interne d’une trame de 6 m qui supporte le plancher.. Ce système autorise une dimension monumentale et permet d’offrir un large plateau d’exposition dans les salles supérieures. Les colonnes conçues pour ce monument s’inspirent de la grande tradition classique, issue elle-même de l’héritage grec, tout en exprimant les caractéristiques physiques et structurelles des poteaux en béton armé. (pour plus de détails, lire Claude Loupiac, Un artiste dans son temps. Auguste Perret, CNDP, 2008).

L'ancien Musée des travaux publics de la place d'Iéna. Vue du grand escalier intérieur avec son envolée en spirale (site (source: archi59.e-monsite.com)

L’ancien Musée des travaux publics de la place d’Iéna.
Vue du grand escalier intérieur avec son envolée en spirale (site (source: archi59.e-monsite.com)

L’église Saint-Pierre-de-Chaillot

L’unité de cette église aux vastes dimensions est renforcée par le faible nombre de ses créateurs : un architecte (Emile Bois), un sculpteur (Henry Bouchard), un peintre (Nicolas Untersteller). Donnant sur l’avenue Marceau, une imposante paroi presque aveugle présente au passant un immense tympan couvert par des motifs évoquant l’art roman. Pourtant la façade s’éloigne des références romanes dans un sens archaïque et abstrait : pas de toiture visible, clocher s’efforçant de rester sur le même plan.

L’intérieur de Saint-Pierre-de-Chaillot (source: patrimoine-histoire.fr )

L’intérieur de Saint-Pierre-de-Chaillot (source: patrimoine-histoire.fr )

A l’intérieur cinq coupoles octogonales dessinent une croix à branches égales et  marquées par l’archaïsme et la dureté de plans formant des angles entre eux.. Le béton est laissé apparent avec la trace de traits parallèles. Untersteller a peint directement sur le béton de grandes figures aux couleurs de terre inspirées de l’art paléochrétien.

Le Théâtre des Champs-Elysées

Le parcours Paris Art déco s’achève avec l’observation d’une création précoce par rapport à l’épanouissement du style Art déco, puisque le Théâtre des Champs-Elysées est construit de 1911 et 1913 (entre la crue de 1910 et le premier conflit mondial). Ce sont les frères Perret qui succèdent à l’architecte Henry Van de Velde et font adopter leur projet tout en collaborant étroitement avec Bourdelle pour la mise au point de la façade. Le résultat concilie modernité et tradition. La modernité de l’ensemble s’affiche dans le « brutalisme » des façades sur passage et sur cour, l’ossature apparente des plafonds, les colonnes sans base ni chapeau, la géométrisation des motifs décoratifs des salles, le dépouillement et la nudité de la façade principale. Quant à la tradition, elle se manifeste par exemple par l’apparence de colonnes cannelées dans la grande salle ou par la disposition des balcons, des loges et des baignoires. Mais ce qui l’emporte, il faut bien l’avouer, c’est la modernité qui paraît avant-gardiste à l’époque grâce à la géométrie rigoureuse des lignes orthogonales et à la simplicité des encadrements. Une modernité que l’on a qualifié de « classicisme moderne » ou encore de « classicisme structurel ».

Le Théâtre des Champs-Elysées (source: culture.fr )

Le Théâtre des Champs-Elysées (source: culture.fr)

Au total, une bien belle promenade culturelle qui doit beaucoup à notre conférencière Sylvie Gazannois et cela malgré un temps maussade et très frais.

Pour aller plus loin :

  • L’Art déco, TDC n°1063, Scérén-CNDP, novembre 2013
  • Victoria Charles et Klaus H.Carl, L’Art déco, Parkstone, 2013
  • Gilles Plum, Paris Art déco, Parigramme, 2008
  • Claude Loupiac, Un artiste dans son temps, Scérén-CNDP, 2008.
  • Emmanuel Bréon et Philippe Rivoirard, 1925. Quand l’Art déco séduit le monde, Catalogue de l’exposition, coédition Cité de l’architecture et du patrimoine / Editions Norma, 2013

Daniel Oster, mars 2015