Cher(e)s ami(e)s des Cafés géo, après le panorama de Rouen (décembre 2015), je vous présente aujourd’hui celui de Paris !

Utagawa Yoshitora, Paris, 1862 (cliché Denis Wolff)

Certains d’entre vous pensent que je fais une erreur, que je me suis trompé en manipulant mon ordinateur… Eh bien, non ! J’ai vu et photographié cette estampe pendant l’été 2018 à Paris, au Musée Guimet (consacré aux arts asiatiques), lors de la superbe exposition intitulée Le monde vu d’Asie-Au fil des cartes.

Affiche de l’exposition

Catalogue de l’exposition

 

Utagawa Yoshitora est dessinateur d’estampes sur bois et illustrateur de livres et de journaux. Ses dates de naissance et de décès sont inconnues. On sait cependant qu’il est né à Edo (renommée Tokyo en 1868, lors de la Révolution Meiji). Il est actif à partir de 1850 et sa dernière oeuvre date de 1882. L’artiste étant japonais, son nom de famille, Utagawa, précède son prénom (Yoshitora).

Elève de Utagawa Kuniyoshi (1797-1861), grand maître japonais de l’estampe sur bois de style ukiyo-e, terme signifiant « image du monde flottant », il peint dans la même facture que son maître. Sa production est abondante : plus de soixante séries d’impression sur bois et l’illustration de plus de cent livres ! Il a dessiné de nombreuses images de Yokohama (yokohama-e), c’est-à-dire des estampes ukiyo-e représentant des scènes de cette ville, avec notamment des étrangers (qui peuvent y venir à partir de 1859) ; c’est un acteur majeur de l’école de Yokohama. Mais il est aussi spécialiste des estampes représentant des vues de pays étrangers, auteur d’une série intitulée Bankoku Meisho Zukushi no Uchi ce qui signifie Enumération complète des lieux célèbres des pays étrangers ou, plus simplement, Sites célèbres de tous les pays. Chaque oeuvre de cette série est accompagnée d’une description du pays en question ; ces textes descriptifs sont rédigés par Kanagaki Rogun (1829-1894), écrivain devenu célèbre après ses écrits sur le séisme d’Edo en 1855.

Mais, contrairement à d’autres artistes japonais, Utagawa Yoshitora ne connaît pas toujours les lieux qu’il peint (il n’a peut-être jamais quitté le Japon). Il s’inspire des gravures des livres venus d’Europe pour imaginer les paysages de ce continent lointain ! Kanagaki Robun, qui ne voyage sans doute guère plus que lui, rédige un texte imprécis : Paris serait « construite autour d’un château, proche de la mer et de Londres ». Dépourvu de documentation, il imagine une capitale dont le port n’est pas fluvial mais maritime et qui ressemble vaguement à Venise dont il a dû découvrir des vues.

Sa représentation de Londres qui, comme celle de Paris, date de 1862, est légèrement plus crédible (on reconnaît vaguement la cathédrale St-Paul) ; mais que peut-on dire, de celle de la France (1857) ? Le centre est occupé par une énorme machine (civile ou militaire ?), les personnages semblent plus japonais que français et, depuis les palmiers jusqu’aux hautes montagnes du fond, on se demande quelle région est représentée…

Utagawa Yoshitora, Le port de Londres, 1862, exposé à New York (© MET)

Utagawa Yoshitora, La France, 1867, exposé à New York (© MET)

Finalement, représenter ce que l’on ne connaît pas est un art difficile ; mais le résultat est loin d’être dépourvu d’intérêt…

Bibliographie. Je me suis largement inspiré du cartel de l’exposition Le monde vu d’Asie-Au fil des cartes et de son catalogue que je recommande vivement : Fabrice ARGOUNES, Pierre SINGARAVELOU, Le Monde vu d’Asie. Une histoire cartographique, Paris, MNAAG et Seuil, 2018, 192 p.

Denis Wolff, janvier 2019