Centre Pompidou – Jusqu’au 4 novembre 2013
Il s’appelle Roy Lichtenstein, il est américain. Il peint et sculpte jusqu’à sa mort à l’âge de 73 ans. Vous le connaissez sans le connaître, car ce fut un homme discret, disparu seulement en 1997. Vous savez que ce fut un des maîtres du Pop Art, mais vous ne savez que cela. L’exposition réalisée au Centre Pompidou présente 130 tableaux et sculptures et révèle toutes les facettes de cet artiste qui oscille sans cesse entre abstraction et figuration, entre thèmes modernes, postmodernes et classiques. La force de Roy c’est aussi une attitude, une distance amusée, critique, mais jamais cynique. Une œuvre fascinante, qu’il est encore temps d’aller découvrir.
Un homme en accord avec son temps
Un jeune homme de bonne famille
Il a vu le jour à Manhattan, en 1923, dans une famille aisée. Dès son plus jeune âge il visite des musées, il étudie la clarinette et joue du piano. Et surtout il dessine : des maquettes d’avion, des natures mortes, des paysages romantiques. En 1940, il suit des cours de peinture et de dessin et il produit des œuvres inspirées par Braque et Picasso.
De 1943 à 1945, il sert comme officier dans l’armée américaine. On lui demande de dessiner des cartes et d’agrandir des vignettes de BD pour le journal de l’armée, Stars and Stripes. Il est envoyé en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, en France. D’octobre à décembre 1945, il est admis à la Cité internationale universitaire de Paris. Il y prend des cours de langue et de culture française.
A son retour aux Etats-Unis, il enseigne à l’OSU (Université de l’Etat de l’ Ohio) et expose des toiles semi abstraites inspirées du cubisme. Il se marie et devient père de deux fils.
Au début des années 1960 il s’installe à Manhattan et devient célèbre dès sa première exposition. A la quarantaine, une nouvelle vie commence, riche d’expérimentations techniques et picturales et avec une nouvelle compagne. Il expose dans le monde entier et travaille sans relâche jusqu’à sa mort en 1997. Il a 73 ans. Il est resté jusqu’au bout un jeune homme mince, discret, timide et souriant.
Un pointilleux magnifique
Roy Lichtenstein est avant tout un esprit logique qui applique les principes du monde moderne à l’activité artistique et impose un style et une marque à son nom. A l’âge de la production et de la consommation de masse, l’artiste est parfaitement à son aise. Son œuvre est impitoyablement régulière et méthodique. Tout est net, propre et dur, ainsi qu’il l’énonce en 1967. « Je veux que mon tableau ait l’air d’avoir été programmé. Je veux cacher la trace de ma main. Je veux rendre les dessins aussi clairs que possible ».
Expérimentateur de matériaux, inventeur d’icônes, amateur érudit de la peinture moderne, Lichtenstein est tout cela à la fois.
Des p’tits points, des p’tits points, toujours des p’tits points….
Pendant ses années de jeunesse il a créé des cahiers sur lesquels il collait des publicités, des BD, des images issues de magazines. C’est dans ce répertoire qu’il puise des images, qu’il les sélectionne, les agrandit, les recadre et les recompose.
Sa technique picturale, élaborée, renvoie à la précision du pointillisme de Seurat à Signac. Reprenant la technique de reproduction inventée par le typographe Ben Day en 1879, l’artiste réalise une image indirecte, médiate. Il projette une vignette sur une toile et en dessine les traits. Il repasse les contours avec d’épaisses lignes noires et emplit les formes ainsi découpées avec un réseau serré de petits points peints avec des couleurs primaires. Ces points, de taille égale car exécutés au moyen d’un pochoir, recréent sur la toile la trame typographique.
Les points minuscules du papier d’imprimerie vont grossir avec l’œuvre de l’artiste. Plus tard, une même toile pourra comporter des petits et des gros points, peints de couleurs différentes et parfois complétées par des hachures.
Entre 1961 et 1965 il réalise une série de peintures en blanc et noir, représentant des objets manufacturés isolés sur un fond neutre, qui pousse à l’extrême la simplification de la figuration. La fonction première de la loupe est de grossir l’objet pour mieux le voir. C’est donc une allusion au processus de création du peintre.
Une inventivité exploratoire
Si les petits points constituent sa marque de fabrique, sa signature, il faut y ajouter la volonté farouche de rester dans des couleurs primaires (jaune, rouge, bleu) passées en aplats et aussi l’habitude de présenter des personnages aux traits simplifiés, avec des contours soulignés, nets !
Il élabore une manière d’encyclopédie de tous les modes d’expression plastique. Il utilise les supports et les médiums les plus variés, tels le feutre, le bronze, la céramique, la photographie, la gravure, le plastique (Plexiglas, Mylar, Rowlux) etc.
Enfin, il travaille en séries et s’attaque à tous les thèmes picturaux. Si sa peinture oscille sans cesse entre abstraction et figuration, elle oscille aussi entre paysages, portraits, natures mortes et références à l’histoire de l’art, car la grande force de l’artiste est sa culture… et son humour.
Un maître de l’humour
« Qu’est ce que vous pouvez bien peindre qui ne soit absolument ridicule » s’exclamait-il en 1972, avant d’éclater de rire.
L’artiste ne se prend jamais au sérieux. Lorsqu’on lui reproche le recours systématique à la reproduction, il répond : « Plus mon travail est fidèle à l’original, plus il est critique et lourd de sens».
L’humour est au centre de son œuvre, il va même le considérer comme l’une de ses rares inventions personnelles. Son regard s’amuse de la société de consommation, des stéréotypes et même de la célébrité. Il parodie Picasso, Matisse, Mondrian, les maîtres chinois du paysage zen, comme il se parodie lui-même. Il reste pour cela toujours jeune et souriant.
Parcours de l’exposition
L’exposition est réalisée en adéquation avec l’esprit de l’artiste. Deux galeries se font face, séparées par un corridor central où sont alignées les sculptures polychromes de Roy. Le parcours est chronologique et thématique.
Pop Art et célébrité (années 1960)
Tirés de la culture de masse, les sujets du Pop Art donnent naissance à une imagerie de mythes, de stéréotypes et d’icônes du présent, sans distinction de niveau. Même si ce mouvement artistique est né en Angleterre, il incarne le rêve américain de la société d’abondance. Il donne de la visibilité au monde immense des objets qui constituent désormais notre environnement ordinaire.
Ce retour à la figuration après quelques décennies d’expressionnisme abstrait, eut un effet de choc, de même que la présentation d’icônes abêtissantes d’une civilisation sans âme.
Regarde, j’en ai attrapé un gros…
L’œuvre met en scène Mickey Mouse et Donald Duck tout en reprenant le langage stylisé de l’illustration commerciale de la BD.
– Citation :
« J’avais envie de dire quelque chose qui n’avait jamais été dit et il me semblait que la meilleure façon d’y parvenir était d’introduire un aspect industriel. Après tout le monde ressemblait à çà. »
Les critiques, féroces ou enthousiastes y voient du plagiat, de l’anti-art ou au contraire une approche nouvelle et une critique habile de la société de consommation. Le magazine Life, en 1964 se demande: Is he the worst artist in US ?
Il regarde d’un œil amusé un objet conventionnel (une bague de fiançailles) mais cependant très convoité par la femme américaine traditionnelle. Cette toile montre parfaitement la tension entre abstraction et figuration qui est au centre de son œuvre.
– Citation :
« Je pense que ce qui me plaît dans l’art commercial, c’est son énergie et son impact, sa franchise, la sorte d’agressivité et d’hostilité qu’il véhicule. »
C’est l’une de ses toiles les plus connues. Elle s’inspire d’une BD de DC Comics, All-American Men of War. Elle est immense, 1,7 m x 4 m. Elle présente un avion de combat tirant une roquette sur un avion ennemi, dans une explosion jaune et rouge marquée par l’onomatopée « Whaam ». Il agrandit l’avion à gauche et les flammes à droite afin de remplir la toile et d’exprimer l’horreur. Dans ses scènes de bataille, clins d’œil à la peinture d’histoire, il privilégie une palette de couleurs criardes et charge l’intrigue de tension dramatique.
– Citation :
« Je tiens à ce que mes images soient aussi critiques, menaçantes et appuyées que possible. »
Ce tableau et cette sculpture sont représentatifs de la série de portraits de femmes, issus de BD sentimentales et de romans à l’eau de rose. Ils représentent des femmes apprêtées, coiffées, maquillées qui incarnent l’idéal masculin de la femme glamour, belle, passive et sans défense. L’artiste joue sur le contraste entre un sujet émotionnel (une femme éplorée) et une technique pictural détachée. Avec Blonde, sculpture en céramique vernissée, il conserve sa technique de points de couleurs primaires cernés de gros traits noirs.
Brushstroke : la tentation de l’abstraction
L’abstraction inspire sa série des coups de pinceau dans laquelle il explore le geste du peintre. Il trace de larges rubans de couleur sur une trame de petits points. Les coulures de peinture s’opposent à la trame mécanique de l’arrière-plan.
Ses « coups de pinceau » sont une interrogation sur l’acte de peindre et sont inspirés de l’expressionnisme abstrait en vogue dans les années 1950.
Dans « Soleil Levant », il reprend le thème classique du paysage, mais il en détourne les codes. C’est l’aspect stéréotypé qui l’intéresse. Il est difficile de savoir quel plan se situe devant l’autre. L’artiste incorpore des ambiguïtés spatiales, créant une tension dans le paysage et un certain mystère. On discerne néanmoins le ciel, l’eau, la lumière, éléments essentiels de l’esthétique chinoise des paysages que l’on retrouvera à la fin de sa vie. Il ne peint pas une œuvre néozen à contempler mais une version industrialisée.
Vous avez reconnu un pastiche de Mondrian, à la différence près que Lichtenstein lui applique sa touche tramée. La tentation de l’abstraction est toujours présente, ainsi que les aplats de couleurs primaires.
Vous avez reconnu un Matisse, passé à la moulinette pop. Lichtenstein y associe cependant une de ses œuvres, la Balle de Golf. Il cite les autres sans oublier de se citer lui-même !
Dans les années 1970, il travaille des matériaux nobles comme le bronze, mais relégués sous une couche de peinture. Ses sculptures sont quasiment plates, mais dans des perspectives frontales et forcées à l’aide de hachures.
– Citation :
« Mes sculptures sont vraiment des espèces de peintures découpées. J’ai un penchant pour les miroirs, l’eau, le verre et tous les objets réfléchissant, ainsi que pour les lampes. »
L’artiste a déjà représenté une loupe, mais ici son miroir ovale devient plus abstrait, composé de bandes de points de tailles graduées sur fond blanc. Le miroir ne reflète rien et le spectateur, censé y percevoir son reflet comprend l’artifice du trompe l’œil.
Côte à côte un bronze patiné qui plagie Brancusi et une gravure sur bois qui reprend Brancusi et y associe une œuvre de Roy. Se citer va devenir une habitude.
Son admiration profonde pour Matisse lui inspire des toiles monumentales. Il reprend le thème de l’atelier d’artiste développé par Matisse en 1911. Il y représente des motifs chers au peintre : la plante verte, les fruits, la carafe, sans oublier de citer ses propres œuvres, dont Look Mickey. N’est-ce pas amusant de se regarder en égal du maître ?
Il reprend le thème des tableaux dans le tableau…. On ne peut plus classique.
La dernière décennie, enfin zen (années 1990)
L’artiste prend de la distance vis-à-vis de son œuvre.
Il revient sur sa série de femmes stéréotypées, mais il oublie le regard adolescent et les peint nues, alanguies, un rien érotiques et toujours kitsch. Il inaugure un nouvel usage des points. A présent les points s’affranchissent des contours noirs et prennent des couleurs.
Enfin, surprise, il se tourne vers la philosophie zen et les paysages chinois à l’encre sur papier.
– Citation :
« Je pense que ces paysages impressionnent les gens à cause de cette aura de mystère propre aux peintures chinoises qui s’en dégage, mais à mon sens, c’est une subtilité plutôt pseudo contemplative ou mécanique… »
Jusqu’au bout, il surprend et nous laisse au bord de l’émotion. Mais comme tous les grands artistes, Roy était moins préoccupé par le sujet que par sa mise en forme.
Roy Lichtenstein laisse à sa mort 4 500 œuvres en circulation dans le monde. Les plus grands musées se sont arraché ses toiles et ses sculptures. En 1989, Torpedo… Los, s’est vendue chez Christie’s pour 5,5 millions de dollars, un record pour un artiste vivant.
Successivement malmené par la critique puis adulé, Roy ne laisse personne indifférent. Allez voir Roy Lichtenstein au Centre Pompidou, ça fait pop… ou pas.
Maryse Verfaillie
Bibliographie
Catalogue de l’exposition Roy Lichtenstein, présenté par Camille Morineau, Commissaire de l’exposition.
Beaux Arts, Roy Lichtenstein au Centre Pompidou