Tintin plus marin que montagnard ? Planète bleue et monde blanc 

Café géo du 20 septembre 2018 – Annecy

Pour ce premier café géo de la saison, Paul Arnould se fait géographe tintinophile et nous propose une sorte d’hergéographie.

Il commence par retracer la manière, dont le géographe forestier qu’il est, en est venu à s’intéresser à Tintin. Tout commence avec son livre Au plaisir des forêts, pour lequel il planche sur un chapitre « Au plaisir enfantin de la BD ». Ensuite, les occasions de croiser Tintin et géographie se multiplient, dans le cadre du Labo Junior « Sciences dessinées » à l’ENS de Lyon[1], d’une conférence sur « Tintin forestier » à la Société de géographie[2], et enfin d’un colloque scientifique autour de Tintin en janvier 2017[3], qui a donné lieu à la publication des Géographies de Tintin en avril 2018[4].

Ce qu’il propose pour ce café géo, c’est de relire les Aventures de Tintin, en géographe, à partir d’une série de notions et d’archétypes géographiques.

  1. Tintin, la mer et la montagne

En écho à la localisation annécienne de ce café, il commence par souligner que l’univers de Tintin est beaucoup plus marin que montagnard.

Parmi les couvertures des albums de Tintin, 6 font directement référence à la mer, tandis que la montagne est beaucoup moins présente : elle figure seulement sur la couverture de Tintin au Tibet et de L’Affaire Tournesol, auxquels on pourrait ajouter les deux albums se déroulant sur la lune, sur la couverture desquels l’on aperçoit le relief lunaire.

Deux dictionnaires sont récemment parus qui permettent de nourrir la comparaison. Dans son Dictionnaire amoureux de Tintin (2016), Albert Algoud ne propose ni d’entrée « Mer », ni d’entrée « Montagne », et la seule allusion à l’univers marin concerne quelques erreurs sur la codification des grades dans la marine. A l’inverse, dans le Dictionnaire Tintin (2017) de Robert Nattiez, on trouve une entrée « Mer » et une entrée « Montagne » proposant des informations de qualité mais ne permettant pas de départager les deux milieux.

Dans l’ouvrage  « Les Géographies de Tintin », trois communications ont trait à la mer (Alain Miossec ; Laurence Le Dû-Blayo, Jean-Louis Tissier). Aucune ne concerne la montagne. Le désert n’a pas plus suscité de propositions.

Les injures du capitaine Haddock, quant à elles, n’ont pas de registre géographique privilégié et jouent plutôt sur l’euphonie, l’exotisme et les jeux de mots. Comme le souligne Aymeric Landot dans un chapitre des Géographies de Tintin, intitulé « Bachi Bouzouk et autres Tonnerres de Brest : des insultes géographiques ? » 10% des injures du capitaine font référence à l’univers marin (« mille millions de mille sabords », bien sûr, mais aussi « bougre d’amiral de bateau-lavoir » ou encore « simili-martien à la graisse de cabestan ») auxquelles s’ajoute toute la gamme des « corsaires, forbans. flibustiers, frère de la côte, négriers, pirates ». Seules 3 des injures d’Haddock ont trait à la montagne (« bougre d’extrait de crétin des Alpes », et son pendant tibétain « crétin de l’Himalaya », ainsi que crétin des Balkans).

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Les forêts d’exception, une labellisation inégalitaire ?

Café Géographique Annecy 1er mars 2018 avec Paul Arnould

Paul Arnould, Professeur émérite à l’ENS de Lyon, membre du Comité Scientifique de l’Office National des Forêts (ONF), a longuement étudié les questions forestières, en France et en Europe surtout, du point de vue biogéographique comme du point de vue territorial, socio-économique et politique. Il a été d’abord biogéographe, mais a aussi été président du Comité Scientifique de l’ONF, où il fut le premier à venir des Sciences sociales et non des Sciences naturelles.

Le choix du thème du café s’inscrit dans le cadre d’un intérêt plus global pour le marketing territorial, d’une réflexion sur l’ensemble des démarches de labellisation, en vue d’une promotion de produits, de territoires. L’ONF, créé en 1965 par E. Pisani mais vieille institution s’il en est, puisque héritière d’une longue histoire de l’administration étatique des eaux et forêts depuis Philippe Auguste, a donc franchi le pas de cette pratique. Il sera intéressant de comprendre quand, comment, pourquoi, avec quels enjeux locaux pour des acteurs aussi divers que les collectivités, les acteurs économiques, associatifs.

La labellisation est une pratique proliférante, pour les territoires locaux notamment, entraînant une hiérarchie (du Patrimoine Mondial aux “plus beaux villages de France”), une profusion de candidatures, souvent « retoquées », d’initiatives pour inventer des « auto-labellisations » à usage unique et local (« Villages de pierres et d’eau en Charente- Maritime »).

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Forêts : retours en enfance. Deux BD revisitées. Tintin et Astérix écologues ?

 

Paul Arnould, professeur de géographie à l’ENS de Lyon et chercheur à l’UMR 5600, Environnement Ville Société, évoque, le 16 septembre 2015, les « Forêts : retours en enfance. Deux BD revisitées. Tintin et Astérix écologues ? », au Café de la Cloche.

Spécialiste des forêts, il a écrit dernièrement « Au Plaisir des forêts. Promenade sous les feuillages du monde », où le sixième chapitre (sur 43) porte sur les plaisirs enfantins de la BD. De l’enfance à la BD, il n’y a alors qu’un pas. Sa jeunesse en forêt est marquée par les Vosges, les cabanes et les mini-défrichements pour faire du bois de feu. Elle est occupée aussi par la lecture des albums de Tintin et par l’abonnement au journal Pilote où paraissent les aventures d’Astérix le gaulois. Ayant lu son premier Tintin Objectif Lune a un peu plus de 7 ans, Paul Arnould, approchant des 77 ans, la deuxième date fatidique utilisée par les publicitaires pour borner le lectorat de Tintin, a décidé de revisiter Tintin au prisme de l’environnement. Y ajouter des constatations et des interrogations avec un autre héros au succès phénoménal, Astérix, permet de proposer une lecture jumelle des deux bandes dessinées.

Comment la forêt est-elle représentée par les auteurs de ces deux BD, comment les questions écologiques y sont-elles évoquées ? Tintin et Astérix peuvent-ils être considérés comme des spécialistes de l’environnement forestier ?

Tintin et Astérix sont, pour de nombreux bédéphiles, des BD un peu datées. Ces deux séries sont parmi les plus vendues dans le monde. Les chiffres sont impressionnants : 365 millions d’albums pour Astérix, plus de 230 millions pour Tintin. Le dernier Astérix « Le papyrus de César », paru en octobre 2015, a été tiré à plus de 4 millions d’exemplaires. Tintin est désormais traduit en plus de cent langues, Astérix en plus de 120.

Astérix est très lié à l’Hexagone (Le gaulois, la serpe d’or, le tour de Gaulele combat des chefs, le bouclier arverne, le chaudron, la zizanie, le domaine des dieux, les lauriers de César, le devin, en Corse, le cadeau de César…), mais avec une forte dimension européenne (Les Goths, les Bretons, les Normands, aux jeux olympiques, en Hispanie, chez les Helvètes, chez les Belges….). Astérix est incontestablement plus européanocentré que Tintin.

Tintin s’impose au premier abord comme un chasseur non-écologue, surtout dans Tintin au Congo, livre de massacres et de tueries d’animaux ; mais d’autres représentations vont progressivement nuancer cette posture simplificatrice.

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