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Tous les ans, au début de l’automne, la géographie donne rendez-vous à ses aficionados à  Saint-Dié-des-Vosges. Cette année, c’est la 26e édition du Festival International de Géographie avec au programme « Les territoires de l’imaginaire. Utopie, représentation et prospective » et l’Australie comme pays invité. Pendant trois jours, conférences, tables rondes, cafés géographiques, Salon du Livre, Salon de la Géomatique, Salon de la Gastronomie, animations de toute sorte, lectures et débats de toute nature, drainent un public important, d’autant plus que cette année le beau temps s’est invité et que le thème de l’imaginaire choisi pour cette édition interpelle de nombreux participants.

En effet, le FIG s’est consacré au fil des ans à des sujets souvent « classiques » tels que des continents, des activités économiques, des milieux, etc., même si quelquefois des thèmes plus originaux comme la santé en 2000 et les religions en 2002 ont également été proposés. Mais un quart de siècle après sa création, le FIG a choisi de traiter de l’imaginaire, suscitant des réactions très diverses, souvent de l’enthousiasme, parfois de l’étonnement, plus rarement de la réprobation. Enfin !  Pour les uns : « La géographie assume sa mue esquissée depuis les dernières décennies, ce n’est pas trop tôt ! ». Ah bon ? Disent d’autres : « mais qu’est-ce que la géographie vient faire dans cette galère ? ». Pour ma part, il n’y a aucun trouble mais au contraire une adhésion enthousiaste à explorer les multiples facettes de l’imaginaire à l’aide des lunettes de la géographie.

Rappelons qu’il existe trois principales dimensions dans la science géographique[1]. Une dimension « verticale » lorsqu’il s’agit d’étudier les sociétés humaines dans leurs relations avec le milieu qui les accueille. Une dimension « horizontale » qui s’intéresse à la vie de relation favorisant ici la dispersion, là au contraire la concentration des hommes, des biens et des informations. Et n’oublions pas une troisième composante, celle qui est liée aux représentations des hommes qui entrent pour une part plus ou moins importante dans leurs entreprises de transformation de l’espace où ils vivent…Il est certain que la géographie scolaire aborde peu cette dernière dimension, même si les programmes les plus récents ne s’interdisent pas de l’évoquer, même au collège. Mais depuis les années 1970 la recherche géographique, de plus en plus diversifiée, revivifiée au contact d’autres sciences (sciences sociales mais aussi sciences « dures »), a abandonné ses habits positivistes et néopositivistes. Par exemple, « l’approche culturelle est indispensable pour percer les différentes dynamiques à l’œuvre dans les sociétés qui se partagent la terre » (Paul Claval, Histoire de la géographie, PUF, collection Que sais-je ?, 4e édition, 2011).

Le texte ci-dessous se limite à donner une idée (très lacunaire) de la richesse du thème de l’imaginaire du FIG 2015 à partir de mon expérience personnelle – et donc de mes choix – pendant un peu plus d’une journée à Saint-Dié-des-Vosges.

Les mondes imaginaires de Tintin et de Corto Maltese (conférence)

Arrivant à Saint-Dié vendredi 2 octobre vers midi, je choisis d’assister à une conférence (14h à 15h) dont les intervenants, Christian Grataloup et Gilles Fumey, se proposent d’aborder en géographes deux univers de bande dessinée parmi les plus célèbres du monde. D’entrée de jeu, Christian Grataloup rend hommage au travail universitaire qui a nourri sa présentation, celui de Julien Champigny : L’espace dans la bande dessinée, thèse de doctorat en géographie, Université de Paris 7, 2010. Ajoutons que le choix de Corto Maltese tombe bien puisqu’il correspond à la sortie d’un 13e album, vingt ans après la mort de son créateur Hugo Pratt. Christian Grataloup montre de façon à la fois rigoureuse et vivante combien les géographies des deux héros de BD sont différentes. D’excellentes cartes projetées sur écran permettent de suivre l’exposé qui passionne l’important auditoire présent à l’IUT de Saint-Dié.

Carte des déplacements de Tintin extraite de L’Atlas global (dir. C. Grataloup et G. Fumey, Editions des Arènes, 2014)

Carte des déplacements de Tintin extraite de L’Atlas global (dir. C. Grataloup et G. Fumey, Editions des Arènes, 2014)

Deux cartes tirées du travail de Julien Champigny permettent de comparer les voyages de Tintin et ceux de Corto Maltese. Dans les deux cas les lieux fréquentés ont une extension mondiale mais la forme des parcours est éminemment dissemblable. Dans le cas de Tintin il existe un lieu central (sa résidence usuelle :  Moulinsart ou son appartement) où il revient une fois son devoir accompli, il reste toujours un étranger dans les pays qu’il traverse.  Avec Corto Maltese, « l’espace vécu par le héros prend la forme d’un réseau, d’un ensemble de lieux structuré par des liens, dont chaque élément semble presque équivalent, comme si le gentilhomme de fortune était chez lui. » (Julien Champigny, L’Atlas global, Editions des Arènes, 2014). La différence d’organisation de ces deux mondes va de pair avec un fonctionnement temporel très différent. C’est ainsi que les aventures de Tintin ne sont pas situées historiquement et chronologiquement, ce qui fait de Tintin un éternel jeune homme dans « un monde sans histoire, sans évolution ». Alors que Corto Maltese vit toujours plus loin dans « un monde aventureux, ouvert et incertain » (Julien Champigny, op. cit.).

François Place et l’atlas des géographes d’Orbae (entretien)

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Il faut faire vite, j’ai à peine un quart d’heure pour me rendre à la Médiathèque Victor-Hugo. Au programme de 15h15 à 16h15 : regards croisés entre un auteur, François Place, et deux géographes, Christophe Meunier et Brice Gruet, autour de l’ouvrage « L’atlas des géographes d’Orbae » (éditions Casterman/Gallimard, 3 volumes, 1996-1998). C’est une grande chance de rencontrer François Place, illustrateur et écrivain de grande renommée, qui a composé un chef-d’œuvre avec cet atlas. Nos deux géographes n’ont pas de mal à faire parler François Place sur cette belle entreprise qui raconte et montre de façon magnifique 26 voyages imaginaires s’inscrivant à chaque fois dans un contexte géographique particulier. L’art de l’auteur, guidé par un regard critique mais souvent tendre ou amusé, tient à la façon dont il articule le réel et l’imaginaire grâce aux pouvoirs des cartes et aux planches ethnographiques avec ses dessins minutieux et  précisément légendés.

Les terres du couchant de Julien Gracq, une analyse de Jean-Louis Tissier (conférence-lecture)

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Cela tombe à pic : la conférence-lecture de mon ami Jean-Louis Tissier a lieu dans la même salle de la Médiathèque Victor-Hugo. J’ai un quart d’heure pour passer de l’enchantement suscité par les propos de François Place aux commentaires sensibles et intelligents d’un géographe qui a beaucoup fait pour relier l’œuvre de Gracq à la géographie et qui poursuit toujours cette entreprise[2]. En 1981, Jean-Louis Tissier avait révélé de belle manière l’ « esprit géographique » de l’œuvre de Julien Gracq. Aujourd’hui, à Saint-Dié, il montre comment cet esprit imprègne de la même façon un roman inachevé de l’auteur disparu en 2007 et finalement paru en 2014 aux éditions Corti[3].

Grâce à Jean-Louis Tissier nous entrons dans la fabrique de l’écrivain. Avec Les terres du couchant nous sommes dans l’ambiance du Rivage des Syrtes : un empire peu à peu submergé ou assimilé (on pense à la fin de l’Empire romain), un empire autrefois maîtrisé mais aujourd’hui dilaté et négligé. L’analyse du géographe insiste sur l’itinéraire (qui renvoie à la réalité des voies romaines), la notion de limite (spatiale et existentielle), les milieux traversés avec leurs significations (le passage de la forêt aux marais, le domaine des vastes steppes), la toponymie (différente pour les espaces barbares et civilisés). Pour Gracq, l’imaginaire correspond à la « pente de la rêverie » (l’expression est de Victor Hugo) qui autorise la production d’images dans une prose poétique belle et complexe.

Jean-Louis Tissier n’oublie pas de nous montrer une esquisse de croquis où une route empruntée par le héros suggère l’avant et l’après, favorisant ainsi rêveries et fabuleuses découvertes qui prennent l’allure d’une quête, sinon d’une errance.

Les îles méditerranéennes font-elles toujours rêver ? (café géographique)

L’île de Malte, une destination touristique et… migratoire (www.lexpress.fr). Un navire de l’ONG MOAS (Station d’assistance offshore pour les  migrants) devant le port de La Valette à Malte

L’île de Malte, une destination touristique et… migratoire (www.lexpress.fr). Un navire de l’ONG MOAS (Station d’assistance offshore pour les  migrants) devant le port de La Valette à Malte

J’ai le temps de passer au Salon du livre pour saluer mon éditeur (Nathan)  et jeter un coup d’œil sur les nouveautés de la production géographique. Le FIG c’est cela aussi : des rencontres, des découvertes, et bien d’autres choses encore. Il est maintenant 18 heures, il est donc temps de se mettre en route vers La cabane au Darou, un café situé de l’autre côté de la Meurthe qui accueille un café géographique que je dois animer pour le compte de l’association du même nom qui m’est chère comme vous le savez peut-être. Surprise ! La salle du premier étage réservée aux participants est bondée, peut-être que l’actualité « migratoire » y est pour quelque chose ? En tout cas, mon travail d’animation est réduit à la portion congrue tellement les deux intervenantes, Nathalie Bernardie-Tahir (Université de Limoges) et Marie Redon (Université de Paris 13), ont bien préparé leur affaire et maîtrisent leur sujet. Tout est réuni pour un café géo très réussi : un lieu d’accueil convivial et bien équipé, un sujet attractif, un public nombreux et participatif, des intervenantes de haut vol. De 18h 30 à 20h, les mises au point et les échanges avec la salle permettent de faire le tour de la question. Sans doute l’actualité des migrants est-elle souvent évoquée mais l’imaginaire n’est pas pour autant négligée. Nos deux intervenantes déclinent à tour de rôle les principales problématiques : pourquoi les îles font-elles rêver ? Ont-elles toujours fait rêver ? Qui font-elles rêver ? Font-elles toutes rêver de la même façon ? Font-elles encore rêver ?

Des éléments de réponse sont proposés. Dans l’imaginaire collectif occidental, l’île incarne la figure de l’Ailleurs que Nathalie Bernardie-Tahir aime décrire à travers les quatre « i » : l’isolement, l’immobilité, l’identité, l’idéalité[4]. Les îles méditerranéennes suscitent une tension entre le proche (proximité géographique, étymologique, culturelle, etc.) et le lointain. Elles n’ont pas toujours fait rêver, bien au contraire (prisons, lazarets). Qui rêve ? Cette question débouche sur l’antagonisme entre les conditions de vie des insulaires (longtemps difficiles (émigration, formation de diasporas…) et l’attractivité touristique depuis deux siècles. La situation n’est pas la même entre les grandes îles et les petites îles (par exemple, ces dernières font l’objet d’un intérêt particulier de la part du Conservatoire du littoral), entre les îles de la rive Nord de la Méditerranée et celles (beaucoup moins nombreuses) de la rive Sud. Le rêve insulaire existe-il encore ? Sans aucun doute pour les touristes même si ceux-ci modifient leurs pratiques (exemple des croisières), mais non pour les migrants qui utilisent ces îles comme des relais obligés vers les lieux rêvés de l’Europe continentale.

Pendant près d’une heure le jeu des questions-réponses rend compte d’une interactivité remarquable entre la salle et les deux intervenantes. Beaucoup de questions portent sur la situation migratoire mais d’autres interrogent l’imaginaire insulaire. Laissons le mot de la fin à Nathalie Bernardie-Tahir :

« Alors oui, les îles font rêver, incontestablement, et tant mieux d’ailleurs, mais elles ne se limitent pas à cela. Elles forment des lieux et des objets particulièrement éclairants et opérants pour l’analyse géographique de ce qui, à mes yeux, représentent les deux principaux enjeux contemporains : l’avancée de la mondialisation d’une part, et la progression du désir de différenciation d’autre part, tous deux porteurs de certains espoirs, mais tous deux capables des pires dérives. De l’usage de l’île pour connaître les tourments du monde[5].

Les territoires de l’imaginaire dans Alice au pays des merveilles (conférence-débat)

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Samedi 3 octobre, 9h du matin, je file à l’Espace Georges-Sadoul assister à une conférence-débat sur les territoires de l’imaginaire dans Alice au pays des merveilles. Surprise ! La grande salle Yvan-Goll est entièrement remplie ou presque. Je n’imaginais pas que Lewis Carroll pouvait attirer autant de monde de si bon matin dans une petite ville des Vosges, même investie par le FIG. Yann Calbérac et Eudes Girard, deux géographes-enseignants proposent une lecture de deux classiques pour la jeunesse, Alice au pays des merveilles (1865) et De l’autre côté du miroir (1871). L’objectif des deux conférenciers est audacieux : montrer qu’une grille de lecture géographique de ces deux livres est tout à fait pertinente et que cette lecture propose des réponses à beaucoup de questions que se posent les géographes. La démonstration s’avère encore plus intéressante que prévu car Yann Calbérac et Eudes Girard présentent des points de vue différents mais complémentaires. Un powerpoint intelligemment conçu soutient l’attention du public manifestement captivé par l’exercice.

Après avoir précisé le contexte de l’écriture des deux récits, l’originalité de la carrière de l’auteur et les premières critiques littéraires et/ou philosophiques (par les freudiens, les surréalistes, etc.), nos deux géographes en viennent à l’essentiel : leur lecture géographique d’Alice. Avec l’appui de citations bienvenues, ils montrent qu’Alice se pose des questions éminemment géographiques : où suis-je ? qui suis-je ? Entre héritages et dynamiques, cette quête de l’identité est rendue difficile par ce qu’on appelle le nonsense[6]. Celui-ci s’appuie largement sur la confusion des échelles : Alice change sans cesse de taille, sa volonté de changer d’identité est en lien avec sa localisation (par exemple sa position sur l’échiquier). Que fait le géographe sinon changer d’échelle pour varier son point de vue sur le monde, tout comme Alice le fait de son côté ? Quand Alice cherche la taille idéale lorsqu’elle se trouve dans un environnement hostile, le géographe cherche un point de vue idéal pour découvrir le monde (il s’aperçoit d’ailleurs qu’il en faut plusieurs pour mieux comprendre une situation ou un phénomène).

Un autre passage d’Alice au pays des merveilles interpelle nos deux géographes qui découvrent dans le chapitre 2 (La mare aux larmes) un modèle, celui de la station balnéaire, qu’il traduise par un schéma simple mais éclairant. La géographie « modélisatrice » de Roger Brunet dans les années 1970 et 1980 nous a habitués à ces représentations graphiques mettant en valeur certaines lois d’organisation de l’espace. Mais Lewis Carroll vit et travaille un siècle avant ! Il nous propose malgré tout un modèle dans De l’autre côté du miroir  après qu’Alice a suivi un sentier pour arriver au sommet d’une colline où elle découvre le pays qui s’étendait devant elle :

« (…) c’était vraiment un drôle de pays. Plusieurs petits ruisseaux le parcouraient d’un bout à l’autre, et l’espace compris entre les ruisseaux était divisé encarrés par plusieurs haies perpendiculaires aux ruisseaux. « Ma parole, on dirait exactement les cases d’un échiquier ! » s’écria Alice. » (Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir, traduction française de Jacques Papy, Gallimard, édition Folio, 1994).

Lewis Carroll propose ici un modèle à partir d’un paysage de bocage du Sud-Est de l’Angleterre qu’il connaît bien.

D’autres problématiques géographiques sont mises en valeur par les conférenciers comme celle de la nature, refuge protecteur ou mise en danger par l’homme. Lewis Carroll inverse la symbolique traditionnelle des espaces dans les contes en décrivant Alice en sécurité au sein d’une épaisse forêt alors que la maison apparaît comme un lieu de confrontation avec la violence.

Dans le chapitre 3 d’Alice (Une course à la Comitarde), le positionnement ordonné des individus et des éléments de l’espace produit du sens en établissant une hiérarchie comme dans la géométrie euclidienne (Lewis Carroll était mathématicien de profession). Qu’est qui fait un chemin ? C’est la direction qui donne sens au chemin parcouru. On est toujours dans la géographie, celle de l’espace rendu possible par les pratiques des acteurs (voir Michel Lussault). Dans De l’autre côté du miroir Lewis Carroll reformule le questionnement du chemin, il s’intéresse ici au « pourquoi » plutôt qu’au « où » ? Il complexifie le rapport à l’espace, il s’interroge sur les intentions de l’acteur.

Dans Alice il est aussi question  de peuplement et de densité. Le livre fait réfléchir à certains endroits aux logiques d’occupation de l’espace : une occupation extensive peut déboucher sur la confrontation pour l’espace ou pour le besoin de matières premières : à l’inverse, une occupation intensive favorise la compétition pour l’innovation.

Bien d’autres problématiques géographiques sont abordées au cours d’une conférence dense mais toujours vivante, comme celle de la représentation cartographique. Ainsi l’échiquier sur lequel Alice se déplace est une carte qui non seulement rassemble toutes les étapes du récit mais aussi tous les déplacements, y compris ceux qui auraient pu avoir lieu (penser aux coups des joueurs d’échec) ! C’est finalement une carte de tous les possibles. Avec l’entrée dans un nouveau monde imaginaire, il est nécessaire de faire une nouvelle forme de  géographie en lien avec l’apparition d’une géométrie non euclidienne (qu’on peut appeler elliptique ou hyperbolique).

On l’aura compris, cette remarquable conférence-débat fut un grand moment du FIG 2015 et pour moi une magnifique démonstration de l’utilité de la géographie pour lire une œuvre littéraire et tout simplement pour mieux nous faire comprendre le monde où l’on vit.

L’espace de l’imaginaire (présentation d’un ouvrage)

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Encore subjugué par le talent des deux géographes lecteurs d’Alice, il ne faut pas perdre de temps pour aller à pied jusqu’à l’IUT où je souhaite entendre Bernard Debarbieux présenter son dernier ouvrage, L’espace de l’imaginaire, qui vient tout juste de paraître aux éditions du CNRS. Vais-je trouver enfin les clés de compréhension des territoires de l’imaginaire ?

D’entrée de jeu Bernard Debarbieux rappelle que l’imaginaire n’est pas un concept facile à définir, que le FIG a fait le choix de privilégier l’imaginaire conçu comme contrepoint du réel (par exemple avec les utopies), mais qu’il entend  se situer sur un terrain différent, celui de l’ « imaginaire social » qui se construit entre les pratiques, les significations et les valeurs sociales. Et de citer les travaux de Cornelius Castoriadis dans les années 1970 et plus récemment de Charles Taylor pour mieux se faire comprendre. Il se propose de « rendre compte des effets d’un imaginaire social sur la conduite des pratiques individuelles, mais aussi du potentiel d’invention de l’imagination individuelle, et donc de la transformation ou à l’émergence d’un imaginaire social[7]. » Devant l’impossibilité d’aborder la totalité des thèmes traités dans son livre en aussi peu de temps (45 minutes !), le conférencier choisit trois exemples qui, espère-t-il, permettront de comprendre que l’analyse des imaginaires sociaux gagne toujours à caractériser les formes de spatialité qui y sont à l’œuvre. Ce seront dans l’ordre : l’argent, la propriété, la carte.

Ayant pris trop peu de notes pour bien transcrire ici la pensée de Bernard Debarbieux je préfère renvoyer à son ouvrage tout en rappelant son excellent petit texte rédigé il y a vingt ans déjà, « Imagination et imaginaire géographique », paru dans Antoine Bailly, Robert Ferras et Denise Pumain (dir.), Encyclopédie de géographie, Editions Economica, 1995.

Une illustration proposée par Bernard Debarbieux au cours de sa présentation et qui figure dans son livre. Un portrait d’Elisabeth 1re peint par Marcus Gheeraerts et conservé à la National Gallery de Londres. L’originalité de ce tableau tient à la carte d’Angleterre sur laquelle l’artiste la fait tenir. Si la passion anglaise pour la cartographie n’est pas née de la curiosité de la monarchie et de l’Etat anglais, ceux-ci s’en emparent très vite.

Une illustration proposée par Bernard Debarbieux au cours de sa présentation et qui figure dans son livre. Un portrait d’Elisabeth 1re peint par Marcus Gheeraerts et conservé à la National Gallery de Londres. L’originalité de ce tableau tient à la carte d’Angleterre sur laquelle l’artiste la fait tenir. Si la passion anglaise pour la cartographie n’est pas née de la curiosité de la monarchie et de l’Etat anglais, ceux-ci s’en emparent très vite.

Repas de l’association des Cafés Géographiques

Depuis quelques années, l’association profite de la présence de nombreux adhérents au FIG pour organiser un repas-rencontre à leur intention à la brasserie « Au bureau ». Maryse Verfaillie s’est chargée de mettre en œuvre ce repas convivial qui réunit Parisiens et provinciaux, jeunes et moins jeunes, responsables et simples adhérents. C’est l’occasion  de faire connaissance pour certains, de se renseigner pour d’autres, d’échanger pour tous. Cette année encore, l’excellente ambiance  parfois émoustillée par la saveur de steaks de kangourou (en hommage au pays invité) a débouché sur des projets concrets pour des territoires qui n’ont rien… d’imaginaire !

Imaginaire et cartographie (café géographique)

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Ma dernière activité au FIG 2015 avant mon retour à Paris  consiste à présenter un café géographique avec mon ami Christian Grataloup, éminent géohistorien qu’on ne présente plus, et Olivier Godard, professeur d’histoire-géographie à Gennes (Maine-et-Loire), entouré de plusieurs collègues, tous membres de l’association « Cartographier au collège ». Celle-ci fondée en 2012 regroupe une vingtaine d’enseignants de quatre académies (Pays de la Loire, Bretagne, Paris et Versailles) qui travaillent collectivement sur la pratique de la carte. Elle organise un concours carto pour les élèves de 4ème, un concours de cartographie d’actualité (CCA) pour les élèves de 3ème, un concours de cartographie imaginaire (CCI) pour les élèves de 6ème et de 5ème. C’est l’expérience de ce dernier concours qui nourrit le café géographique de Saint-Dié qui se tient au Café de la Poste et qui a choisi l’intitulé « Imaginaire et cartographie ». Plusieurs questions sont suggérées : peut-on cartographier l’imaginaire ? Si oui, quel imaginaire et comment le cartographier ? C’est ainsi qu’en 2013 les élèves ont dû plancher sur « Cartographie de nos héros de bandes dessinées » et en 2014 sur « Habiter Mars en 2035, un espace à fortes contraintes ».

N’ayant pu assister qu’au début du café géographique je ne peux rendre compte de l’événement qui a rencontré un  franc succès auprès de l’auditoire présent (on me l’a rapporté). Pour cette raison l’équipe de « Cartographier au collège » conduite par Olivier Godard et Marie Masson, va publier très prochainement un compte rendu complet de leur café déodatien sur le site des Cafés géographiques. En attendant cette publication vous pouvez aller sur Internet  aux adresses suivantes : http://www.facebook.com/concours et http://concourscarto.blogspot.fr/

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A peine deux jours pour une participation au FIG 2015 c’est bien peu pour évoquer la richesse d’un festival très réussi avec ce beau thème des territoires de l’imaginaire qui a fait écho à l’Australie, pays invité de cette 26ème édition, source de nombreux imaginaires dont ceux des aborigènes qui ont à faire par essence aux territoires (les fameuses songlines). Bien sûr, la composition de mon programme reflète largement mes goûts, avec au premier rang la littérature, mais la composition de l’agenda du FIG  ne m’a pas permis de faire certaines choses qui m’importaient comme d’assister à la conférence d’Olivier Milhaud sur « la géographie en chansons : de Brassens à Bénabar », à la conférence de Nathalie Bernardie-Tahir, sur « Imaginer Tahiti : de l’imaginaire de l’Ailleurs aux imaginaires de l’Ici », à la conférence de Brice Gruet sur « La géographie du monde de Tolkien », à la table ronde sur « Les imaginaires au risque des frontières », à la conférence géomatique de Laurent Jegou sur « L’imaginaire dans la création de la carte », à la conférence de Marion Plien, sur « Géographies imaginaires cinématographiques des jeunes », et à bien d’autres choses encore. Mais le mieux est l’ennemi du bien…

Daniel Oster, le 13 octobre 2015.

[1] Voir Paul Claval, L’espace géographique, n°2, avril-juin 1989.

[2] Jean-Louis Tissier, Pratique et poétique de la carte chez Julien Gracq, Séminaire de l’Université Sorbonne nouvelle- Paris 3, séance du 13 mars 2015

[3] Julien Gracq, Les terres du couchant, postface de Bernhild Boie, éditions Corti, 2014.

[4] Nathalie Bernardie-Tahir, L’usage de l’île, Editions Pétra, 2011. Un très beau livre : un livre de géographie sans doute, mais aussi  un livre qui se nourrit de littérature et  de sociologie entre autres.

[5] Nathalie Bernardie-Tahir, op. cit., p 14

[6] Nonsense : anglicisme utilisé pour désigner une réalité étrange que l’on veut faire paraître comme évidente et presque normale, décalée certes, mais pas incompréhensible. Il s’agit en fait d’un absurde qui déstabilise dans un premier temps mais qui, « de l’autre côté du miroir », s’appuie sur une logique à toute épreuve.

[7] Bernard Debarbieux, L’espace de l’imaginaire. Essais et détours. CNRS Editions, 2015.