Lors du café-géo du 6 décembre 2022 à Montpellier, Nabil Hasnaoui Amri (chercheur associé, UMR Innovation) (1) a présenté les résultats de sa thèse (2) dans laquelle il observe toute une collectivité s’interrogeant sur les emplacements à dédier à l’agriculture. Sont observés les jeux d’acteurs qui président à la mise en place de cette politique de réintroduction d’espaces agricoles au sein de l’agglomération; les leviers d’action  utilisés pour la mise en place de cette agriculture urbaine ainsi que les limites spatiales, foncières et actorielles de ce projet. Quelles sont les réalités géographiques et politiques de ce jeune projet innovant et quelles en sont les dimensions utopiques ?

Contexte général

Le projet P2A s’inscrit dans un contexte général de mutation de l’agriculture :

Une défiance générale des citoyens au sujet de la qualité des produits agricoles suite aux différentes crises sanitaires comme celle de la vache folle dans les années 90. Le souci des pays riches porte désormais davantage sur la qualité des produits agricoles que sur leur quantité.
Une évolution du monde agricole marquée par une baisse des actifs agricoles, une diversification de leur profil social et une crise de légitimité au plan tant politique, social que sur  le plan des pratiques agricoles (usage des ressources, pollutions…)
Une délégation croissante de l’action publique vers les collectivités locales et une prise en charge par ces mêmes collectivités des actions liées à la transition agricole.

Le projet P2A : une transition qui accompagne une vaste transformation politique.

La métropole vise dans ce cas une transition vers une agriculture nourricière en partie implantée au sein des espaces urbains. De nouvelles compétences économiques et de développement ont été déléguées à la Métropole de Montpellier du fait de la loi NOTRe. Elle devient ainsi l’interface entre les problèmes locaux et les changements globaux (environnement, alimentation de proximité) mais aussi entre les différentes sphères sectorielles (agriculture, urbanisme …). La collectivité locale devient médiatrice entre  les échelles et les acteurs  alors que c’était autrefois l’État qui jouait ce rôle de régulation comme l’avait montré P.Muller (Le technocrate et le paysan, 2014, L’Harmattan).  Dans le cas de Montpellier, N.Hasnaoui Amri, est parti de l’hypothèse qu’il existait de nombreux décalages entre les attendus des acteurs urbains, des citoyens engagés dans la transition agro-alimentaire de la métropole et les projets de tout un archipel agricole fait d’une diversité d’agriculteurs devant  coexister dans cet espace.

Une généalogie agraire de l’agglomération permettant de distinguer plusieurs périodes.

1820-70 : un système traditionnel de polyculture et d’élevage + développement du vignoble de masse.
1950-80 : une modernisation de la viticulture et une urbanisation accélérée 1980-2000 : arrachage viticole et « désactivation » des vignes + extension de l’urbanisation
2006-2012 : de plus en plus de désactivation, les terres étant en attente d’urbanisation, on y plante du blé dur subventionné par la PAC. Les travaux du SCOT montrent que la surface urbaine passe de 1000 ha à 10 000 ha entre 1960 et 2004 dans l’agglomération érodant largement les espaces agricoles restants.

Trois modèles urbains se succèdent donc à Montpellier :
Technopole à bâtir
Ville durable ➝ création des Agriparcs
Ville en Transition ➝ P2A: Politique Agroécologique et Alimentaire
L’agriculture devient un objet urbain

 

 

 

Les leviers pour une transition agroécologique et agro-alimentaire existent bien que la métropole ait peu de compétences proprement agricoles :

  • La gestion du foncier peut se faire du fait de compétences d’urbanisme et grâce à des liens avec la SAFER
  • Quelques entrées agricoles peuvent se faire par la gestion des déchets, celle des risques ou de questions économiques.
  • L’impulsion du pôle de compétitivité Agropolis permet également une entrée agricole.
  • La promotion des produits du terroir est un levier d’action.
  • L’application de l’Agenda 21 (issu des préconisations de Rio en 1992) a permis la mise en place d’un projet d’Agriparc pour y répondre.
  • La rédaction des documents d’urbanisme offre une réflexion nouvelle sur les espaces agricoles notamment cette du SCOT 2 qui propose “d’inverser le regard” et de mettre l’accent sur l’aménagement des espaces de nature et des espaces agricoles dans la ville au lieu de les percevoir comme des « vides de la carte ».

L’adhésion en 2010 de Montpellier à la politique des villes en transition a motivé d’autres actions au plan agricole…

L’agriculture est ainsi introduite comme un objet d’aménagement de la ville à travers une complexe superposition de référentiels et d’outils.
En 2010 apparaît ainsi la première politique alimentaire de la métropole ce qui n’empêche cependant pas que la ville ait continué à perdre des espaces agricoles (120 ha perdus entre 1994 et 2008). L’espace occidental de la métropole (autour de Lavérune et Fabrègues) est présenté comme la plaine nourricière à venir. Les demandes sociales d’écologisation des productions et de relocalisation des productions (une proximité entre consommateur et producteur) sont portées en 2015 par le « pacte alimentaire de Milan » qui donne l’occasion aux élus de Montpellier de s’associer à la démarche d’un réseau international de « grandes villes ». L’agriculture change alors de statut, c’est une agriculture multifonctionnelle que l’on promeut : nourricière d’une part mais également apte à résoudre les changements globaux et dotée de fonctions environnementales multiples (alimentation durable, lutte contre les risques, services écosystémiques contre l’inondation, contre l’érosion de la biodiversité …).
Le marketing urbain se transforme dans ce sens comme le montre le marketing territorial de la métropole de Montpellier  (ci-dessous): on passe de l’imagerie de la technopole hors-sol à l’image d’une métropole enracinée…

Hasnaoui Amri évoque enfin les logiques du projet P2A (Politique Agricole et Alimentaire)  qu’il a analysé dans plusieurs articles (voir bibliographie). Ce projet montpelliérain consiste à promouvoir des productions agroécologiques urbaines et des circuits plus locaux  grâce à plusieurs actions :

  • mettre à disposition du foncier public pour les agriculteurs dans la continuité du projet du SCOT de conserver des espaces agricoles et freiner l’étalement urbain à Montpellier (2000) ;
  • introduire des procédures de New public management par appel à projets (un instrument d’action public qui s’est développé depuis 15 ans) pour initier des projets agroécologiques ;
  • négocier directement avec les agriculteurs qui souhaitent s’investir dans le P2A.

Nabil Hasnaoui Amri évoque 3 projets :

1) L’aménagement d’un agri-parc : en 2010, la Communauté d’Agglomération de Montpellier (CAM) acquiert le domaine de Viviers situé au Nord de Montpellier. 20 % des 111ha de terres sont dédiés à des cultures vivrières, viticulture et céréaliculture en conventionnel pour le reste (commercialisées en filières longues). Seul un projet agricole alternatif (TerraCoopa) est présent – plus en adéquation avec le discours tenu sur la multifonctionnalité et qui a réussi à obtenir une part (10 % environ) du foncier alloué.

2) Installation de fermes nourricières: La question agri-alimentaire est alors actionnée comme ressource politique pour favoriser des alliances entre Montpellier et les communes périurbaines et rurales de son territoire. Le choix est ainsi fait d’attribuer à nouveau du foncier agricole appartenant à la Métropole (14 ha sur deux domaines à l’abandon, des friches agricoles dont une part est en attente d’urbanisation) à des agriculteurs pour installer des micro-fermes maraîchères. L’allocation foncière se fait directement sans passer par la SAFER, syndicats viticoles et chambre d’agriculture. Une allocation est donnée en fonction de réseaux affinitaires et idéologiques (la critique du modèle productiviste faisant l’unité). Cela conduit à l’installation de nouveaux agriculteurs sur de petites parcelles dans des interstices urbains. N. Hasnaoui Amri souligne que la marginalité et précarité de ces nouveaux fermiers demeure une donnée qui empêche d’en faire un modèle vertueux au plan social et spatial.

3) Redéploiement pastoral en garrigue : appel à bergers pour entretien des garrigues et de la biodiversité. Les espaces concernés sont le Domaine de Mirabeau à Fabrègues  (il s’agit d’y évincer un projet de décharge), des terres acquises en compensation de grandes infrastructures – achat par les aménageurs selon la procédure Éviter-Réduire-Compenser (dite « ERC ») (renforcée par loi Grenelle 2011 et 2016) et gérées par le Conservatoire des Espaces Naturels (CEN)

La fin de l’intervention a permis à Nabil Hasnaoui Am ri de répondre à quelques questions sur la quantification de cette agriculture urbaine (il ne s’agit pour le moment que d’une centaine d’hectares sur la métropole), sur la nécessité de politiques inter-territoriales intégrant espaces ruraux et espaces urbains, sur les actions de « Terres de liens » dans l’acquisition du foncier.

Pour aller plus loin

ASNAOUI AMRI Nabil, « Entre utopie, transition et rupture, quelle politique pour accompagner le développement d’une agriculture écologique et nourricière ? Illustration à partir du cas de Montpellier Métropole », Pour, 2018/2-3 (N° 234-235), p. 271-278. URL : https://www-cairn-info.ezpupv.scdi-montpellier.fr/revue-pour-2018-2-page-271.htm
HASNAOUI AMRI Nabil, « La ville comme moteur de recompositions viticoles ? Réflexions à partir du cas montpelliérain », Pour, 2019/1-2 (N° 237-238), p. 319-334.  URL : https://www-cairn-info.ezpupv.scdi-montpellier.fr/revue-pour-2019-1-page-319.htm
HASNAOUI AMRI Nabil, MICHEL Laura, SOULARD Christophe-Toussaint, « Vers un renouvellement du dialogue entre agriculteurs et r
égions urbaines autour de laccès au foncier agricole. Cas de la Métropole de Montpellier, France », Norois, 2022/1 (n° 262), p. 61-78. URL : https://www-cairn-info.ezpupv.scdi-montpellier.fr/revue-norois-2022-1-page-61.htm

 

Prise de notes : Sian CERRATO, Margot PEREMARTI, Ch.CASTAN,  juin 2023

 

(1) Agronome et géographe, N. Hasnaoui Amri travaille sur la re-territorialisation de l’agriculture en ville dans le cadre de la politique de transition P2A à Montpellier (Politique Agro-écologique et Alimentaire menée par les 31 communes de l’Agglomération).

(2) HASNAOUI AMRI Nabil, «  La participation des agriculteurs à une politique alimentaire territoriale : le cas de Montpellier Méditerranée Métropole », thèse soutenue en 2018 à Montpellier (Direction Laura Michel et Christophe Soulard – Géographie sociale et approche cognitive des politiques publiques).

Thèse fondée sur des observations participantes, l’analyse des délibérations des collectivités, des entretiens qualitatifs avec élus, agriculteurs, éleveurs, agents de développement (= métropole, communes, autres collectivités, chambre d’agriculture…), travaux sur des appels à projets, travaux dans le cadre du renouvellement du SCOT de Montpellier)