Dans une récente intervention à la Fondation Jean Jaurès, Roland Castro a usé de toute sa fougue pour dévoiler quelques points forts du rapport qu’il a remis au président de la République, il y a quelques mois, sur le projet du Grand Paris. Tout l’humanisme de ce texte est contenu dans son joli titre à la Prévert : « Du Grand Paris à Paris en grand ».[1]
Pour l’architecte passionné qui se définit comme « un artiste égaré en politique urbaine », la dernière pensée urbaine est celle des Jauressiens, telle qu’elle s’est exprimée lors du Front Populaire, dans les cités-jardins par exemple. A la situation dégradée actuelle de la métropole parisienne, il donne deux raisons principales.
La première repose sur un réquisitoire sévère contre Le Corbusier, architecte génial mais « penseur assassin », dont la Charte d’Athènes qui instaure un zonage de la ville entre quatre fonctions (habiter/travailler/recréer/circuler), est baptisée « totalitaire ».
La seconde tient à la suppression du département de la Seine en 1964, qui casse le système permettant une sorte d’unité entre communes pauvres et communes riches. Cette fois c’est la pensée technocratique de Paul Delouvrier, promoteur des villes nouvelles oublieuses de la géographie, qui est accusée.
Aujourd’hui, le projet du Grand Paris qui avait suscité la créativité de nombreux urbanistes, est réduit à la seule construction du Métro Grand Paris Express, souterrain sur 80% de son parcours contre l’avis des architectes qui voulaient en faire un lien entre des territoires discontinus.
Comment repenser la ville ?
Trois données sont absentes de la réflexion générale, la beauté, la poésie et la géographie, inséparables de l’attractivité du Paris intra-muros. Pour que la métropole devienne une « oasis métropolitaine » et non une « smart city » sur laquelle R Castro est dubitatif, pour qu’elle ait un « supplément d’âme », il faut redonner toute sa place à la géographie. Lignes de crête, plateaux, vallées, cours d’eau doivent être mis en valeur. Et surtout la Seine… la Seine des poètes et des chansons populaires. Le fleuve doit redevenir un lieu de vie, voie de transport pour les Parisiens et lieu d’activités mixtes sur ses rives. L’architecte insiste sur les possibilités du port de Gennevilliers qui pourrait accueillir bateaux de plaisance et péniches, opéra et bistrots, écoles et bureaux.
Il faut abandonner le processus de « destruction/reconstruction » au profit du remodelage de l’ancien et mêler agriculture et urbanité.
La métropole doit être conçue comme un ensemble de 3000 villages où cohabitent des activités différentes. Le périphérique doit perdre son caractère de barrière et il faut arrêter l’étalement diffus de la ville au profit d’une coupure nette entre ville et nature. Un « scénariste » doit mettre en œuvre le projet et discipliner des architectes qui veulent construire « leur » bâtiment, différent du voisin.
Quels acteurs pour réaliser le projet ?
Premier acteur, l’Etat donneur d’ordres.
En deuxième temps les maires, qui doivent agir en coalitions de communes.
Troisièmes acteurs, les civils auxquels doivent être laissées des initiatives comme l’aménagement des rez-de-chaussée et la réalisation de jardins. R. Castro donne l’exemple d’une de ses tours construite à Aubervilliers avec un jardin tous les quatre étages. Mais le référendum local ne semble pas recueillir son adhésion car il présente comme une « bêtise urbaine » l’abandon du beau projet de Jean Nouvel sur l’emplacement des Halles à cause de l’opposition de riverains à une construction en hauteur.
Pour R. Castro, la ville doit offrir du « merveilleux » et tous les habitants ont droit à l’urbanité. On ne sait pas quel a été l’accueil du président de la République à ce rapport.
Michèle Vignaux, janvier 2019
[1] www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_r.castro_grandparis.pdf