Grand Palais, Galeries nationales
[5 mars-21 juillet 2014]

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 Le Grand Palais accueille pour la première fois une  exposition de vidéos. Elle est consacrée au vidéaste américain Bill Viola qui travaille depuis quarante ans déjà et qui n’avait pas encore connu un tel honneur en France, alors que les grands musées américains (New York, Los Angeles) et européens (Londres, Berlin) avaient déjà porté son œuvre devant le grand public. Une vingtaine d’œuvres majeures ont été scénographiées.

Bill Viola le sculpteur de temps

« Je suis né en même temps que la vidéo » proclame l’artiste.

Bill Viola est né à New York en 1951. Il part faire des études de peinture et de musique électronique à l’université de Syracuse (Etat de New York), mais il y découvre la vidéo : un art irréductible à toute catégorie ancienne.

Il se place sous l’autorité de Nam June Paik, un Coréen exilé aux Etats-Unis, fou de philosophie zen autant que de technologie. Il l’assiste sur ses expositions.

Le maître de l’illusion bricole des outils pour capter ce qui est aux limites de la visibilité.

Il peut travailler sur d’antiques magnétoscopes à cassettes ou  sur la dernière version d’un écran plasma, tourner dans l’intimité d’un studio (le sien, près de Los Angeles) ou mobiliser des équipes géantes de techniciens( plus de deux cents personnes pour la vidéo The Dreamers).

Dans toutes ses vidéos règne le silence. Le son chez Viola est actif, jamais illustratif. Il permet la création d’un espace sensible capable d’agir sur tout le corps. Le son peut-être : murmures, battements de cœur, cris étouffés, bulles d’air, vol d’une chouette, souffle dans les bosquets.

L’éloge du ralenti

Sa réflexion majeure porte les vertus du ralenti. Puisque notre monde est obsédé par la vitesse, de plus en plus folle, l’artiste va nous en délivrer et nous rendre un bien précieux : le temps. Selon Paul Virilio, « l’amour est un ralentissement ». Il y a beaucoup d’amour, en effet, dans les vidéos de Bill, un amour pour les gens, pour les mythes et pour un rapport pacifique à notre environnement.

L’immersion du spectateur dans ses œuvres.

Souvent le spectateur se retrouve entre plusieurs écrans, il est cerné par un torrent d’images qui le renvoie à ses peurs, ses angoisses, ses phobies mais aussi qui l’en délivre.

Enfant, il a failli mourir noyé. Cette expérience l’a profondément marqué et l’immersion du spectateur sous l’eau est une constante dans son œuvre. L’affiche de l’exposition en témoigne.

Pour autant elle ne fut pas vécue comme un drame mais comme un accès à la beauté.

Son œuvre tente d’ailleurs une synthèse entre la beauté et le sublime, en s’inspirant de Schiller : « En présence de la beauté, la raison et la sensibilité se trouvent en harmonie et c’est à cause de cette harmonie que le beau a de l’attrait pour nous… En présence du sublime au contraire, la raison et la sensibilité ne sont pas en harmonie, et c’est précisément cette contradiction entre l’une et l’autres qui fait le charme du sublime, son irrésistible action sur nos âmes. »

Le sculpteur de temps, c’est ainsi qu’il se définit.

Lire, écrire, dessiner, ces activités accaparent une grande partie de ses journées. Il faut lire  Reasons for Knocking at an Empty House, recueil de ses écrits personnels de 1973 à 1994. Peu d’artistes parlent aussi bien de leur travail. Pétri de culture et d’histoire de l’art, il fait référence de manière explicite aux maîtres du passé et particulièrement à ceux du Quattrocento, dont Giotto.

Il voyage beaucoup, surtout en Asie(Japon surtout) et dans les déserts.

Il n’est pas pratiquant mais s’intéresse à toutes les formes de spiritualité. Il fait sienne la pensée d’un chef amérindien : « La naissance n’est pas un commencement, la mort n’est pas une fin ». Il pense qu’il existe une chaîne universelle des êtres : ses parents continuent à vivre en lui et lui continuera à vivre en son fils après sa mort. Proche des idées bouddhistes, il a cette vision du monde d’un cycle vie-mort-résurrection.

Les images qu’il produit obéissent aux principes de répétition et de ralenti qui permettent de décomposer les choses et les émotions et relèvent  parfois de la séance de méditation.

 Une œuvre « à quatre mains » celles de Bill Viola et de  Kira Perov.

Photo du couple

Photo du couple

Kira Perov est sa femme et collaboratrice depuis 1977. Ils voyagent ensemble, ils créent ensemble. C’est Kira qui réalise les photos de ses œuvres. C’est Kira encore, qui a scénographé l’exposition au Grand Palais.

Malgré leur notoriété ils vivent toujours dans la zone pavillonnaire de long Beach près de Los Angeles, où ils se sont établis en 1981. Le studio où il réalise ses vidéos est situé à Signal Hill, à 15 km de leur habitation et au pied des champs de pétrole, du désert, de l’océan Pacifique, éléments naturels dans toute leur puissance.

 Parcours de l’exposition

Comme un voyage introspectif, cette exposition propose un itinéraire en trois temps, autour de questions métaphysiques majeures : Qui suis-je ? Où suis-je, Où vais-je ?

Dans ses œuvres, Bill Viola interroge la vie, la mort, la transcendance, la renaissance, le temps et l’espace. Il  utilise souvent la métaphore d’un corps plongé dans l’eau pour représenter la fluidité de la vie.

Vous, les visiteurs,  allez être plongés dans le noir, le silence, la méditation pourquoi pas. Que cet éloge de la lenteur ne vous effraie pas ! Allez librement où bon vous semble. Vous ne pourrez pas tout voir, cela supposerait que vous restiez durant 6h 37 minutes !

Je vous propose de vous guider, en privilégiant la deuxième partie qui a beaucoup parlé à mon âme de géographe et de voyageuse

Qui suis-je

L’exposition commence par cette phrase du penseur soufi Ibn Arabi : « Si tu t’engages dans le voyage, tu arriveras ».

La première partie peut saisir le visiteur et lui donner un instant l’envie se s’en retourner. Vous pouvez faire le choix de passer rapidement sur certaines œuvres, mais je vous suggère trois arrêts.

The Reflecting pool, 1977-79 [Le bassin miroir.] Performeur Bill Viola Studio Bill Viola

The Reflecting pool, 1977-79 [Le bassin miroir.]
Performeur Bill Viola Studio Bill Viola

Prenez un peu de temps pour observer cette première oeuvre et vous habituer à l’obscurité et au silence et à la lenteur.

Quand il avait six ans, Bill est tombé d’une barque et a failli se noyer. Il a ressenti une plénitude totale. Il a vu sous l’eau des images d’une extraordinaire beauté, qu’il n’a eues de cesse de reproduire. Tout commence et tout finit dans l’eau.

Four Hands, 2001 [Quatre mains] Studio Bill Viola

Four Hands, 2001
[Quatre mains] Studio Bill Viola

Sur ce polyptique en blanc et noir 4 paires de mains se contorsionnent, comme pour une cérémonie religieuse, en forme de méditation sur l’avancée de la vie. Elles appartiennent à 4 « performers », c’est ainsi que l’artiste nomme ses acteurs. Ils sont jeunes ou âgés. Leurs gestes sont à la fois quotidiens et étranges.

 Catherine’s Room, 2001 [La chambre de Catherine] Studio Bill Viola

Catherine’s Room, 2001
[La chambre de Catherine] Studio Bill Viola

Il  s’agit d’un polyptique vidéo en couleur projeté sur 5 écrans. Une femme accomplit une série de rituels quotidiens qui s’étalent sur une journée. La matinée commence avec une séance de yoga et la soirée s’achève dans un état méditatif à la lumière des bougies. Par une petite fenêtre le monde extérieur déroule ses saisons : arbre en fleur puis dénudé. C’est très beau, très zen.

Où suis-je

Il dit « Le paysage est le lien entre notre moi extérieur et notre moi intérieur ».

Bill a une prédilection pour les déserts, ces terres vierges où se cristallisent toutes ses réflexions : soufies, amérindiennes, chrétiennes et bien sûr bouddhiques. Les conjuguer dans l’image vidéo c’est une invitation à passer au-delà du miroir.

Il croit aux mirages résultants des vibrations de l’air montant du sable ou du sel chauffé à blanc.

Chott El-Djerid (A Portrait in Light and Heat), 1979 [Portrait dans la lumière et la chaleur]

Chott El-Djerid (A Portrait in Light and Heat), 1979
[Portrait dans la lumière et la chaleur]

Qu’est ce qu’un chott ?

Définition du géographe Roger Brunet dans Les mots de la géographie.

Sur les cartes et dans le langage commun, étendue d’eau salée permanente, mais aux rivages changeants, dans les régions semi-arides ; ex : le chott El-Djerid devant Tozeur. «  J’ai vu, sur les chotts pleins de mirages, la croûte de sel prendre l’apparence de l’eau » (A. Gide, les nourritures terrestres). Mot arabe qui n’est employé qu’en Afrique du Nord, et qui signifie à vrai dire rivages : des géomorphologues puristes le limitent à la partie tantôt ennoyée tantôt découverte autour du lac, portant quelque végétation et faisant partie d’un ensemble plus grand nommé sebkha.

Pendant 28 minutes saisissez vous du mystère. Où êtes-vous ? Le monde que vous voyez, que vous avez éprouvé si vous êtes allés dans le désert, est-il réalité ou seulement apparence ?

Vous êtes dans l’obscurité, devant un écran géant qui vous fait rentrer dans le paysage.

Installez vous confortablement sur le banc, préférez le milieu de la pièce, vous pourrez simultanément voir dans la pièce suivante deux autres vidéos de paysage : Walking on the Edge, 2012 et The Encounter, 2012. Ces œuvres [Marcher à la lisière et La Rencontre]  ont été réalisées avec chacune deux performers.

Eblouissement, aveuglement, tout commence par la vision du Canada en hiver, dans le blanc de la neige : ferme en bois, silos, pylône électrique, bouquet d’arbres. Tout semble paisible comme dans les paysages arcadiens des toiles du XVIII è siècle.

Puis affolement, formes au loin qui se profilent puis avancent vers nous dans une immensité vide et plane, sous un soleil pâle puis ardent. Mirages ? On pense voir des hommes, une route, des tentes puis non, ce ne sont que des rochers et une mare d’eau bien improbable où éclosent des bulles, en surface. On est dans l’attente. Tout devient abstrait, avec des plans horizontaux comme dans les tableaux de Rothko ou de Hopper. Des silhouettes vacillent, des ombres qui font penser aux hommes qui marchent dans les sculptures de Giacometti.

Sans transition on est arrivé dans le chott du sud tunisien : herbes folles au raz du sol. Une montagne tout à coup bouche l’horizon, presque tabulaire. Des formes à nouveau surgissent que l’on cherche à identifier. Ah, ce sont des motos, je ne rêve pas, elle sont sur une route qui ressemble à de l’eau…. Satané mirage, où suis-je ? Incandescence, abstraction, impression soleil levant. Des dromadaires traversent l’espace, puis des moutons. Un douar dans la steppe se devine, un bourricot nous ignore. La palmeraie se profile, un minaret, des maisons de briques crues, une tombe blanche de marabout, une silhouette à nouveau qui marche.

Dans le silence, tout est dit du désert. Going Forth by Day, 2002 [Sortir au jour] Collection Pinault. Panneau : le déluge

Dans le silence, tout est dit du désert.
Going Forth by Day, 2002
[Sortir au jour] Collection Pinault.
Panneau : le déluge

Dans la salle suivante, un cycle d’images projetées en 5 parties vous attend. Chaque partie dure 35 minutes. Pas moins de 13 « performers » vont et viennent.

Installez vous au milieu de la vaste pièce, laissez le temps vous engloutir, les images et les sons guider votre attention.

Les images sont projetées directement sur les murs, à la façon des fresques de la Renaissance italienne, peintes directement sur les enduits de chaux. Le titre de l’œuvre est la traduction littérale du titre original du Livre des Morts des anciens Egyptiens : Livre pour sortir à la lumière du jour.

L’œuvre la plus vaste couvre un mur entier : elle présente une merveilleuse forêt et un chemin sur lequel se déplace un flux constant de personnes. Elles vont constamment de l’avant, vers une destination inconnue.

Le mur du fond présente un petit immeuble, blanc, de style palladien. Sur le trottoir, un flux de personnes se croise. Elles vaquent à leurs activités. C’est toute la société américaine qui défile, perçue dans son quotidien, en toute quiétude … jusqu’à la catastrophe finale : un déluge quasi biblique.

Deux œuvres se partagent le troisième mur. Sur la première un homme vit ses dernières heures, entouré par les siens, dans une maison de théâtre, ouverte sur le spectateur et ouverte sur une nature lumineuse où une colline surplombe une étendue d’eau.

L’eau est encore présente sur la 4è œuvre où des individus harassés  (un groupe de secouristes) se préparent à passer une nuit à la belle étoile.

Le dernier mur présente un incendie. On ne le voit qu’en quittant la salle.

C’est un hymne au cycle de la vie qui se déroule ici.

Où vais-je

La dernière partie de l’exposition s’ouvre sur la citation de William Blake : « Si les portes de la perception étaient ouvertes, alors tout apparaîtrait tel quel, infini ».

Quatre vidéos s’inscrivent dans les salles.

– Homme en quête d’immortalité / Femme en quête d’éternité, 2013, Blain Southern Gallery, Londres.

Trois femmes, 2008, Studio Bill Viola

Trois femmes, 2008, Studio Bill Viola

Filmées en noir et blanc, elles traversent l’une après l’autre un rideau d’eau puis retournent dans la pénombre.

-Ascension, 2000, Studio Bill Viola

Une image de cette vidéo essentielle de l’œuvre de Bill Viola a été retenue pour l’affiche de l’exposition.

The Dreamers Les Rêveurs, 2013, Collection Pinault.

The Dreamers
Les Rêveurs, 2013, Collection Pinault.

Panneau de la jeune fille

Panneau de la jeune fille

Ici 7 panneaux présentent 7 dormeurs, 3 hommes et 4 femmes ; des jeunes et des personnes âgées. On ne sait si ces corps immergés chutent dans l’eau ou si la poussée d’Archimède les propulse lentement à la surface.

Calme, sérénité, rien ne semble troubler la belle Ophélie. Quittons la, sans bruit.

Bill Viola aime le mystère. Il nous y fait accéder par l’émotion. Vous ne savez pas répondre aux trois questions : Qui suis-je, où suis-je, Où vais-je ?
Allez au Grand palais et immergez-vous dans le mystère propre à l’artiste qui vous dit : Vous ne savez pas où aller, vous êtes perdu ? Etre perdu est une des choses les plus importantes ».

Maryse Verfaillie