Café de la Mairie – 3ème – Lundi 18 novembre 2019

Cliché de Jean-Pierre Némirowsky

 

Henry Jacolin, notre intervenant ce soir, est géographe de formation et aussi ancien ambassadeur à Fidji, Tonga, Tuvalu, Kiribati et Nauru. C’est donc une double vision (du géographe et du diplomate) qu’il nous propose du Pacifique Sud, qu’il a habité et exploré. Il a mis cinq documents à notre disposition.

 

►Un monde immense, lilliputien, dispersé.

Réalisée par le Ministère des Affaires étrangères – Division Géographique – Direction des archives. Les ressources cartographiques du Ministère des Affaires Étrangères https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/archives-diplomatiques/s-orienter-dans-les-fonds-et-collections/cartes/

  • Dans ce monde immense, l’unité de distance est le millier de km. Le Pacifique sud, c’est 8 millions de km2, mais moins de 100 000 km2 si l’on enlève l’Australie, la Nouvelle Zélande et la Papouasie Nouvelle Guinée.
  • Mais ce monde ne compte que 40 millions d’habitants, et seulement 3,4 millions si l’on enlève l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Papouasie Nouvelle Guinée. Cela représente 24 entités territoriales et 4 sous ensembles humains :

– Les Australoïdes sont arrivés les premiers, entre 60.000 et 7 000 ans avant J.C.

– Les Austronésiens ont suivi, vers 2 000  avant J.C. (culture Lapita)

– Les Polynésiens se sont ensuite répandus dans tout le Pacifique sud, entre – 2.000 et + 1.000, des Marquises à l’île de Pâques et à la Nouvelle Zélande, dans un triangle de 7.000 km de côté : Hawaï / Pâques / Nouvelle Zélande, où l’on parle la même langue. L’écrivain Le Clézio en parle comme de « la plus grande odyssée maritime de tous les temps », une odyssée qui dénote  une grande maîtrise de la mer.

– Les Micronésiens, partis des Philippines (1.000 avant JC)

 

  • Enfin, une 5ème migration, à partir du XVI ème siècle : celle d’aventuriers, de bagnards, de négriers, d’hommes d’affaires, venus d’Occident. Le contact des îliens avec les Européens a eu des effets désastreux: violence, travail forcé, transferts de populations (100.000 Mélanésiens vers l’Australie, Indiens d’Inde vers Fidji), maladies, alcool, qui ont provoqué une diminution brutale des populations insulaires.

 

Tout oppose les grandes terres, peuplées par les Mélanésiens et  les petites îles peuplées par les Polynésiens et les Micronésiens.

Les Mélanésiens ont l’espace, des ressources naturelles (cuivre, nickel). Les  groupes humains sont cloisonnés (700 langues en Papouasie) et le pouvoir limité à des chefferies locales (« big men »). A l’inverse, les petites îles sont fragiles, isolées, sans ressources. L’organisation politique est très hiérarchisée (nobles à Tonga et à Samoa, grands chefs à Fidji, et même, dans le passé, caste de prêtres en Polynésie française).

Géopolitiquement parlant, les 24 entités politiques comptent 11 États indépendants, 6 territoires appartenant ou liés aux États-Unis, 3 États liés à la Nouvelle Zélande, 3 territoires  français et 1  territoire britannique.

 

► Et pourtant l’Océanie a une réelle cohérence,  qui repose sur quatre  facteurs:

 

  • L’empreinte d’une culture commune: même cosmologie (l’homme du Pacifique est sorti de la mer), cérémonies coutumières régies par un formalisme très strict (palabre dans les maisons communautaires en Polynésie, cérémonie du kawa (décoction de la racine du poivrier) en Mélanésie. Un modèle culturel commun (Université du Pacifique sud à Fidji: 10 000 étudiants.

 

  • L’empreinte des Églises protestantes (Méthodistes, etc.): lecture littérale de la Bible, forte religiosité, imposition par les missionnaires de la « robe mission ». Cette empreinte tient au fait que les missionnaires se sont appuyés à l’origine sur les chefferies, d’où, alors, une quasi fusion entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel.

 

  • L’empreinte de la colonisation britannique: usage de l’anglais (les Francophones ne représentent que 1,4%), institutions imprégnées du parlementarisme westminstérien dans sa forme (perruques) et dans son esprit (élections régulières, vraies démocraties). L’appartenance au monde occidental n’a pas été remise en cause, sauf au Vanuatu, tenté un moment par le non alignement.

 

  • Enfin cette cohérence est due à la multiplicité des liens institutionnels régionaux: politiques (Commission du Pacifique sud créée en 1947 à Nouméa, Forum des îles du Pacifique, créé en 1971 à Fidji), religieuses (Conférence des Églises du Pacifique sud, séminaire régional à Fidji), syndicales, économiques (Agence des pêches du Pacifique sud, Organisation du tourisme), culturelles (Université du Pacifique sud),  écologistes (Programme régional océanien pour l’environnement). Ces organisations servent d’interface entre les micro États et le monde extérieur, notamment l’Union européenne (groupe ACP, Asie, Caraïbes, Pacifique)

 

Toutes ces organisations contribuent à forger une conscience commune et un brassage permanent des dirigeants et des cadres techniques. En Océanie, tout le monde se connaît.

 

 

►L’Océanie est en proie à de graves difficultés,  l’envers de la carte postale

 

Aux difficultés traditionnelles:

– isolement (tyrannie des distances: Tuvalu, 26 km2, 9 atolls étalés sur 600 km),

– petitesse des sociétés, parfois à la limite de la survie (consanguinité),

– précarité des ressources alimentaires (coprah, tarot), manque d’eau, cyclones

 

Se sont ajoutés des problèmes nouveaux.

  • Une croissance démographique supérieure à la moyenne mondiale, que les micro territoires ne sont pas capables d’absorber, leur densité de population étant souvent inversement proportionnelle à leur superficie (Nauru: 520/ km2, Tuvalu: 350, Australie: 3). D’où chômage et forte émigration des jeunes vers l’Australie et la Nouvelle Zélande, plutôt rétives à accepter de nouveaux venus.
  • Des rivalités ethniques. En Australie, les Aborigènes demandent réparation aux colons. En Nouvelle Zélande, les Maoris demandent la restitution de leurs terres ancestrales. En Nouvelle Calédonie, les Kanaks mettent en avant leur droit de premier occupant. A Fidji, coexistence difficile entre les autochtones et les Indo-Fidjiens qui représentent la moitié de la population: entre 1987 et 2006 quatre coups d’État menés par les Fidjiens de souche, s’estimant dépossédés de leur propre pays.
  • La résurgence de particularismes tribaux, qui affectent surtout l’arc mélanésien: en Papouasie, tentative de sécession de Bougainville. Aux Salomon, conflit entre deux îles. Ces, troubles  ont entraîné la mise en place de forces d’interposition par l’ONU et le Forum
  • Problèmes sociaux et politiques. Le « vernis westminstérien », qui souvent n’avait fait que figer les structures coutumières et geler l’accaparement des terres par les nobles, se craquelle: émeutes à Tonga en 2006.
  • La dépendance économique des micro-Etats: L’Australie et la Nouvelle Zélande sont insérées dans l’économie monde. Les territoires non autonomes bénéficient de transferts importants des métropoles. Mais les micro-Etats indépendants sont sous perfusion: l’aide au développement représente 30 à 40% de leur PNB.

 

En conclusion, Henry Jacolin parle de la France en Océanie.

Elle est le seul État  de l’UE activement présent. Avec ses trois territoires,  elle dispose de la deuxième ZEE mondiale. Elle a endossé le rôle du « méchant colon » pratiquant de surcroît des essais nucléaires  jusqu’en 2006. Après les événements tragiques de la grotte d’Ouvéa, Michel Rocard a mis en place  une politique d’insertion de nos territoires dans le Pacifique sud, qui a été perçue de façon très positive. Henry Jacolin y a contribué en organisant, avec l’aide d’Alain Christnacht, haut commissaire à Nouméa,  de nombreuses visites de personnalités entre la Nouvelle Calédonie et les micros États.  Aujourd’hui, la France est  reconnue comme un acteur qui contribue:

– au développement des micros États (fonds du Pacifique sud doté de 2 millions d’euros par an)

– à la sécurité régionale: accord avec l’Australie et la Nouvelle Zélande pour l’aide aux micro États en cas de catastrophes naturelles (cyclones), surveillance par la Marine nationale de la ZEE de Fidji, etc.

 

L’auditoire a beaucoup appris, grâce aux documents présentés par l’intervenant et grâce à son expérience et à son vécu des lieux. Qu’il en soit remercié.

 

Compte rendu de Maryse Verfaillie –novembre 2019 – Relu et corrigé par Henry Jacolin

 

Ce tableau a été réalisé par Henry Jacolin