Vous avez dit « paradis » ou « prison dorée » pour honeymooners ? La Polynésie française ou l’envers du décor des pratiques touristiques.

Hôtel Bora Bora Pearl Beach Resort and Spa, Bora Bora, Polynésie française Source: Caroline Blondy, 2006

Hôtel Bora Bora Pearl Beach Resort and Spa, Bora Bora, Polynésie française
Source: Caroline Blondy, 2006

Quand on imagine Tahiti et ses îles et que l’on fantasme sur une lune de miel dans ces îles du bout du monde, ce couple amoureusement enlacé dans la piscine à débordement de l’hôtel Bora Bora Pearl Beach Resort and Spa est assez archétypal. Au premier plan, la piscine reprend les formes d’un lagon entouré de plage, ici carrelée où des transats et parasols en bois exotiques et tissu beige évoquent les couleurs du sable et du bois flotté. Cocotiers et autres arbres tropicaux, rochers et massifs aux fleurs exubérantes autour de la piscine semblent vouloir nous faire croire que l’hôtel se fond dans ce paysage lagonaire. La Polynésie est une destination touristique caractérisée par la présence d’hôtels à la silhouette bien particulière mettant en scène un décor paradisiaque et luxueux. Les infrastructures se développent à moitié sur la terre et sur le lagon. La piscine est souvent au cœoeur de l’hôtel comme le montre le plan ci-dessous et symbolise souvent la limite entre terre et mer. Autour d’elle, bars et restaurants permettent de boire un verre ou de manger avec l’illusion d’être sur la plage. L’illusion se poursuit avec la seconde auréole, celle des bungalows. Sur l’image, on ne distingue que les bungalows sur pilotis. Ils avancent loin dans le lagon surplombant les eaux turquoises. Ils imitent le style architectural traditionnel du fare [1]. polynésien et sont construits à partir de matériaux essentiellement locaux. Les cloisons sont en bois et couverts de panneaux de bambous ou de nattes en feuille tressées. La charpente est chapeautée d’un grand toit en feuille de pandanus. Le plancher de ces fare est en partie vitré et peut s’ouvrir directement sur le lagon pour observer et nourrir les poissons qui viennent nicher dans le jardin de corail qui a été reconstitué artificiellement sous les pilotis. Ces fare de forme carrée ou rectangulaire montés sur des pieux en béton sont rattachés à la terre ferme par des pontons de bois.

Plan de l'hôtel Bora Bora Pearl Beach Resort and Spa Source:  http://www.pearlresorts.com/bora/bbpr_map.htm

Plan de l’hôtel Bora Bora Pearl Beach Resort and Spa
Source: http://www.pearlresorts.com/bora/bbpr_map.htm

Ces petites constructions pourraient donner l’illusion d’une cabane au confort rudimentaire mais elles proposent en fait des équipements qui en font des chambres ou des suites de luxe. A l’arrière plan, les pentes raides couvertes de végétation des Monts Otemanu et Pahia déchirent un ciel qui offre une nouvelle tonalité de bleu.

Dans cette piscine de rêve, on distingue un couple. Depuis une bonne demi-heure, ils nagent à peine, l’un contre l’autre ou enlacés, ils regardent l’horizon, plongés dans une contemplation des lieux. Plus tard, ils nous disent « retrouver le décor des cartes postales [2]. ». Ils sont en lune de miel et restent quatre jours dans cet hôtel avant de partir pour Rangiroa. C’est la première fois qu’ils logent dans un hôtel aussi « féerique ». Pourtant après quelques paroles échangées, le paradis se révèle être aussi une prison dorée. Il existe un envers de ce décor de luxe. En effet, certaines pratiques des touristes permettent de montrer que ce luxe et cette volupté ne sont pas l’apanage de tous les couples en lune de miel en Polynésie …

L’ISPF considère que « les jeunes mariés ne lésinent pas à la dépense durant leur courte lune de miel [3] » Le séjour dure en moyenne 9,5 jours pour un coût moyen par personne de 205000 FCFP [4] soit environ 1723 euros comprenant hébergement, croisières, excursions et loisirs. Cette affirmation nécessite d’être largement nuancée.

Hôtel Méridien, Tahiti, Polynésie française Source: Caroline Blondy, 2006

Hôtel Méridien, Tahiti, Polynésie française
Source: Caroline Blondy, 2006

Sur cette seconde photographie, le contraste ou l’envers du décor est saisissant. Le principal bâtiment de l’hôtel Méridien de Tahiti se détache en arrière plan. Son toit en forme de pagode recouvre l’accueil, un bar, un restaurant et les chambres côté jardin. Derrière ce grand bâtiment, il faut imaginer, au centre, une autre de ces piscines aux formes peu ordinaires bordée d’une plage de sable, agrémentée d’un fare d’activités et d’un bar-restaurant, et entourée de jardins aux couleurs flamboyantes, puis sur la plage, un ponton qui s’étire sur le lagon et dessert douze bungalows sur pilotis. A l’abri de ce bâtiment sombre, se cache donc un de ces décors de rêve. Sur les allées qui conduisent à l’entrée de l’hôtel, de nombreuses voitures sont garées. Pas de voitures de sport ou de voitures de luxe. Des petites berlines en grande majorité. Certaines sont plus récentes et portent à l’arrière un point rouge, rappelant que ce sont des voitures de location. D’autres appartiennent à des locaux qui fréquentent l’hôtel. Première fausse note ou premier décalage ? Les touristes hébergés dans ces hôtels ne seraient-ils pas tous aussi fortunés que l’on ne le pense et se contenteraient de petites voitures ? Au premier plan, un couple marche vers l’entrée de l’hôtel. La femme porte un sac plastique rempli de provisions. Ils reviennent du centre commercial Tamanu se trouvant à proximité. Ces personnes nous ont expliqué que « [leur] budget journalier était réduit même si [ils] n’étaient pas de tout jeunes mariés [5] ». Les restaurants de l’hôtel ou sur l’île sont très chers. Pour un repas de base dans un hôtel (menu fixé), il faut compter le midi environ 40 à 50 euros sans les boissons et le soir entre 50 et 70 euros. Ils préfèrent donc faire leurs courses et manger par leurs propres moyens dans la chambre ou ailleurs. L’argent économisé ainsi leur permet de faire des activités non prévues dans le package qu’ils ne pourraient pas faire sans cela. Ils ont loué une voiture pour faire le tour de l’île à Tahiti. Monsieur a convaincu Madame de faire un baptême de plongée et il a offert à son épouse des soins dans le Spa de l’hôtel à Tahiti. A Huahine, ils ont fait du farniente car ils voulaient se réserver un pécule pour Bora Bora où, ils se sont offerts un tour de l’île en pirogue et une traversée de l’île en 4×4. Ils peuvent également ramener quelques souvenirs : un pendentif avec une perle, des pareo, du monoï, un livre sur la Polynésie, une chemise à fleurs, un bracelet en nacre, deux petits paniers en feuilles de pandanus tressées.

En effet, il existe un décalage fort entre le coût de la vie en Polynésie et les moyens dont disposent beaucoup de ces touristes honeymooners. Notre couple photographié nous explique que « sans ce mariage, [ils] ne seraient sans doute jamais venus ici. Le voyage [leur] a été offert par la famille, les enfants et les amis. » Si tout ce qui concerne l’acheminement, l’hébergement et les transports entre les îles est pris en charge dans le package vendu, la restauration et les activités ne sont que partiellement intégrées. Certains couples se retrouvent dans une situation parfois un peu frustrante : ils « [ne peuvent] pas profiter du paradis [6] » ! C’est d’autant plus vrai que certains ont choisi un voyage où ils se logent dans des hôtels dits de luxe isolés et se retrouvent un peu captifs en termes de restauration, d’achats de souvenirs, etc. Il n’est pas rare d’entendre dire des touristes hébergés sur les motu [7] à Bora Bora, une des îles les plus romantiques du monde : « Nous nous ennuyons. L’hôtel est coupé du reste de l’île. On se sent un peu à l’étroit dans notre paradis qui devient vite une prison dorée. Nous sommes en demi-pension. Les restaurants de l’hôtel sont hors de prix et nous n’avons pas un commerce pour acheter à manger. Les navettes entre la terre ferme et l’hôtel sont hasardeuses et contraignantes. Donc les repas sont frugaux : biscuit achetés à la boutique de l’hôtels, fruits, pain et confiture pris lors du buffet du matin ! On vit vraiment d’amour et d’eau fraîche ! Nous n’avons pas pu vraiment visiter l’île comme on l’aurait souhaité [8] » . En effet, pour les honeymooners, qui ne veulent pas se contenter du farniente et de leurs chambres d’hôtel, cet enclavement touristique renforce l’aspect frustrant de ces voyages en lune de miel dans ce paradis inaccessible… Néanmoins, cette destination reste mythique, c’est un lieu magique car lié à une étape fondamentale de la vie, voyage que l’on ne peut pas « râter »…

La Polynésie est une destination chère mais peu importe, « ce qui compte c’est d’être là et d’y être venu, de pouvoir regarder en amoureux l’horizon turquoise, les doigts de pieds en éventail et d’accomplir un rêve de gamins. On s’en fiche de faire Bidochon avec notre sac de courses dans l’entrée de l’hôtel, ça nous permet de profiter du soleil et du lagon en faisant des activités. [9] ».

Finalement, on retrouve auprès des honeymooners, le même raisonnement que chez certains touristes qui ont privilégié l’hébergement dit chez l’habitant moins onéreux. L’économie réalisée par rapport à un logement dans un hôtel classique est réinvestie dans des activités et des souvenirs [10]. Il existe donc une adaptation des touristes aux lieux touristiques et leurs contraintes.

De quoi faire réfléchir certains professionnels du tourisme ou politiques qui ne souhaitent attirer que des touristes haut de gamme en Polynésie…

Caroline Blondy

1 Fare signifie maison en langue polynésienne
2 Enquête réalisée auprès de touristes à Bora Bora par Caroline Blondy
3 ISPF (Institut de la Statistique de Polynésie française), Point forts de la Polynésie française, n°6, 2002.
4 FCFP : Francs des Colonies Françaises du Pacifique
5 Enquête réalisée auprès de touristes à Tahiti par Caroline Blondy
6 Enquête réalisée auprès de touristes à Tahiti par Caroline Blondy
7 Ilots coralliens entourant le lagon
8 Enquête réalisée auprès de touristes à Tahiti par Caroline Blondy
9 Enquête réalisée auprès de touristes à Tahiti par l’auteur.
10 BLONDY (C.), 2005, « Le tourisme en Polynésie française : les acteurs privés de l’hébergement dit « chez l’habitant ». (exemples des îles hautes de Tahiti et Moorea, archipel de la Société) », Les Cahiers D’Outre-Mer, n°230, Avril-Juin 2005, pp153-188