Pour ce nouveau Café Géo à Annecy, Philippe Piercy, professeur de géographie en classes préparatoires au Lycée Berthollet et organisateur des Cafés Géo d’Annecy-Chambéry, a invité Virginie Chasles, maître de conférences en géographie à l’Université Jean Moulin Lyon 3. Elle a notamment soutenu une thèse en 2004 sur le sujet suivant : « Entre genre et société : les espaces de la maternité en Inde rurale : le cas du district d’Anantapur dans l’État sud-indien de l’Andhra Pradesh ». C’est une spécialiste dans le domaine des inégalités de la santé ; ses travaux portant beaucoup sur l’Inde, mais aussi plus récemment sur la France et le Brésil. Son intervention du jour aborde le sujet des castes et des inégalités en Inde.

En guise d’introduction, Virginie Chasles rappelle que le thème des castes en Inde est incontournable dans l’évocation de ce pays et représente un fait social dont les géographes n’ont pas le monopole. En effet, les sciences sociales se sont largement approprié la question. Beaucoup de stéréotypes à propos de ces castes restent ancrés dans les représentations sociales. La confusion qui subsiste chez pléthore de gens est celle d’une abolition des castes en Inde qui n’existe pourtant pas en réalité. De plus, le mot « caste » pose lui-même problème. Les gens confondent souvent jati et varna, qui sont pourtant des réalités très différentes.

Plus généralement, l’Inde suscite beaucoup d’idées reçues et de fantasmes. Souvent, quand on parle d’Inde, des thèmes récurrents reviennent. L’Inde est souvent vue comme une mosaïque indienne. On trouve souvent un pluralisme religieux. D’autres religions, en plus de l’hindouisme, s’exercent en Inde, notamment l’islam, le bouddhisme, le jaïnisme, le sikhisme. L’Inde est aussi marquée par un pluralisme linguistique. En effet, en plus de ses deux langues officielles (l’hindi et l’anglais), s’ajoutent 20 langues majeures, ainsi qu’une centaine de langues régionales. Par ailleurs, le pluralisme social est double, avec le système de castes et les inégalités socio-économiques. Celles-ci font partie des caractéristiques des pays émergents. En effet, l’Inde a connu une croissance économique qui s’accompagne d’un creusement des inégalités important. Ces inégalités socio-économiques n’ont jamais été si importantes qu’aujourd’hui. La segmentation sociale qui interpelle le plus est liée au système de castes.

80% des Indiens sont hindous et appartiennent donc à ce système de castes. Cependant, d’autres religions ont également adopté ce système, comme l’islam, le sikhisme. Quasiment tous les Indiens s’inscrivent ainsi dans ce système de castes. La hiérarchisation se fait, dès la naissance, dans les groupes sociaux, les varnas et les jatis, qui déterminent les normes, les besoins, les relations des groupes les uns avec les autres. Il y a eu des évolutions au fil du temps. Parmi ces évolutions, il y a ce tout qui a trait à la profession.

Le système de castes est donc un système qui hiérarchise les individus les uns par rapport aux autres et discrimine une grande partie de la population, tout en étant producteur d’inégalités qui s’expriment dans de multiples domaines.

Le système de castes n’a pas été aboli. La constitution indienne, qui a été promulguée 3 ans après l’indépendance de l’Inde en 1947, interdit toute discrimination sur la religion, le sexe, la caste et sur le critère de l’intouchabilité. Le système de castes est donc légal et reconnu par la constitution. Il est revendiqué par une grande partie de la population. D’un point de vue rituel, ce système recule, mais, du point de vue politique, il se réaffirme. Il est présenté souvent comme immobile et archaïque, alors qu’il est en constante évolution.

Virginie Chasles propose de diviser sa présentation en deux parties : une première partie sur la présentation des castes et une segmentation horizontale de la société, une deuxième partie sur une segmentation verticale de la société, toujours plus inégalitaire et accentuée par l’émergence économique des années 1990.

I – Qu’est-ce que le système de castes ? Une segmentation horizontale de la société

Le mot « castes » est un terme issu du portugais « casta », qui signifie « non mélangé ». Cela renvoie à deux notions : la varna et la jati.

  • Varna: c’est un découpage religieux de la société hindoue. Celle-ci est divisée en 4 varnas. A chaque varna est associé un degré de pureté qui fixe le statut de chacun et le positionne dans la hiérarchie sociale. Cette varna est donnée à la naissance par le père et les individus la conservent jusqu’à leur mort.

Ces 4 varnas émanent de l’homme primordial, le purusha, et sont liées à chaque partie de son corps :

  • Les Brahmanes: ce sont ceux qui sont en haut de la hiérarchie, les tenants du sacré et les dépositaires du savoir. Ils occupent la plus haute place et exercent des professions religieuses surtout. Sur le purusha, ils correspondent à la bouche.
  • Les Kshatriyas: ce sont ceux qui portent les armes (les guerriers, les rois et tous les corps de métiers qui utilisent des armes). C’est une caste supérieure mais moins élevée que la précédente. Sur le purusha, ils correspondent aux bras.
  • Les Vaishyas: ce sont les commerçants, les producteurs, les hommes du commun. Sur le purusha, ils correspondent aux cuisses.

On appelle parfois les personnes appartenant à ces hautes castes les « deux fois nés », puisqu’elles sont nées avec un grand degré de pureté. Ils ne représentent qu’une minorité de la population pourtant, à peine 13%.

  • Les Shudras: ce sont les basses castes (souvent paysans, travailleurs agricoles et artisans), qui représentent la majorité de la population, environ 70%. Ils sont considérés comme non-purs et sont subordonnés aux trois varnas précédentes. Sur le purusha, ils correspondent aux pieds.
  • Les hors-castes: ils forment une catégorie à part et sont appelés ainsi, en raison de leur impureté. D’autres termes sont utilisés pour les désigner. Le plus courant d’entre eux est celui d’IntouchablesGandhi les nommait Harijans (« enfants de Dieu ») pour atténuer cette impureté. Ambedkar, le père de la constitution indienne, lui-même Intouchable, les appelait les Dalits (« les opprimés »). On les connait aussi sous le nom de Parias, terme ayant pour origine une caste d’Intouchables du Tamil Nadu (Etat fédéré du Sud de l’Inde), les Paraiyars. Ce sont des joueurs de tambour, jugés comme impurs en raison de leur contact permanent avec la peau d’animaux morts. Ils ne peuvent, de fait, pas faire partie de cette hiérarchie des varnas. Ils sont affiliés aux activités polluantes, c’est-à-dire à tout ce qui émane du corps humain ou du corps animal, comme les métiers d’éboueurs, de vidangeurs, de barbiers, de bouchers, etc.

Globalement, il y a une bonne acceptation de cette hiérarchisation dans la société indienne. En effet, les hindous croient en la transmigration des âmes, le samsara. Ils s’inscrivent dans un cycle de renaissance. L’objectif est de se conformer aux règles de sa varna pour espérer renaître dans une varna de niveau supérieur. Cela participe grandement à l’acceptation de cette hiérarchisation.

En outre, dans l’hindouisme, il y a l’idée d’une responsabilité individuelle des actes et de leurs conséquences. Les Brahmanes doivent obéir aux règles les plus strictes, puisque leur degré de pureté est le plus important. Ils sont souvent végétariens. Les Intouchables n’ont pas obligation d’être végétariens. Seuls les Brahmanes peuvent et doivent l’être. Cependant, au cours du temps, certaines castes, dans l’espoir de renaître dans une caste supérieure, ont pu adopter des règles qui ne leur étaient pas dévolues. C’est une forme de mimétisme social. Si on fait plus que ce qu’on attend de soi, on peut espérer renaître dans une caste supérieure. De même, la pratique de la dot était obligatoire pour les Brahmanes seulement. Aujourd’hui, ce système de dot se retrouve dans toutes les castes. Cela pose d’ailleurs des problèmes financiers, puisqu’une grande partie de la population s’endette pour la payer.

Selon le dernier recensement de 1931, les trois premières varnas représentaient ensemble 13% de la population : 6% de Brahmanes, 4% de Kshatriyas, 3% de Vaishyas. Les Shudras formaient le groupe le plus nombreux, aux alentours de 70%. Les Intouchables représentaient, quant à eux, environ 16% de la population.  Depuis 1931, on ne recense plus la varna, à la différence de la jati. Les varnas ont été remplacées par des catégories administratives. Les basses castes forment les OBC (Other Backward Classes), les Intouchables forment les SC (Scheduled Castes). S’ajoutent les populations tribales, les Adivasis, formant les ST (Scheduled Tribes).

Cette question des varnas est la composante des systèmes de castes qui recule le plus. Cependant, la deuxième composante, la jati, est toujours plus importante même si elle connait des évolutions.

  • Jati : c’est un découpage socio-professionnel des varnas. Jati signifie « espèce », « naissance ». Chaque varna est découpée en jatis. Il y aurait environ 4600 jatis en Inde. Il se crée continuellement de nouvelles jatis, en lien avec les professions. Ce sont des groupes de naissance héréditaires qui n’ont de sens qu’au niveau local.

Ils sont structurés autour de 4 principes :

  • L’endogamie: le mariage ne peut se faire qu’à l’intérieur de la jati, garantissant que les époux auront le même niveau social, le même niveau de pureté. Les mariages inter-jatis peuvent se faire, mais c’est un fait minoritaire.
  • La division professionnelle des jatis: elle est héréditaire. Cela évolue, tout comme la nature des professions. En effet, les jeunes générations ont suivi des études plus importantes et essayent de faire fructifier ce capital intellectuel.
  • La commensalité: c’est le principe qui règle le partage des repas. C’est une question très importante. Normalement, il est interdit d’accepter de la nourriture de personnes plus impures que soi. Mais, il y a aussi des dérogations au système. Dans des circonstances exceptionnelles, dans l’espace public, ces individus peuvent déjeuner ensemble. Mais, dans l’espace domestique, ce n’est pas possible.
  • La hiérarchie: chaque jati conserve une hiérarchie. Aucune n’a le même degré de pureté rituelle. Il y a toujours des jatis supérieures et inférieures à soi. Cela participe à l’acceptation et au maintien du système.

Les jatis n’ont de réalité qu’à l’échelle locale et régionale. Il existe une dizaine de systèmes de castes différents. Par exemple, une caste de barbiers du nord de l’Inde n’a pas le même degré de pureté rituelle qu’un barbier du sud de l’Inde.

Source : Landy F., L’Union indienne, Editions du Temps, 2002.

Traditionnellement, le système de castes est fondé sur la complémentarité. Cela évolue également. En effet, aujourd’hui, une concurrence se met de plus en plus en place. Les castes s’évitent pour ne pas se polluer et échapper à tout contact physique. Néanmoins, elles ne s’excluent pas pour autant, puisqu’elles ont besoin les unes des autres. Même les castes les plus dénigrées ont une fonction, une reconnaissance sociale, avec des revenus, même si ceux-ci sont peu élevés.

Ce système hiérarchique est producteur d’inégalités sociales majeures très importantes. Si on rappelle qu’il ne faut pas confondre castes et classes, la relation est quand même forte entre le niveau socio-économique et la caste. Il existe, néanmoins, des exceptions. Par exemple, des Intouchables peuvent être chefs d’entreprises et occuper de hautes fonctions dans l’administration. De 1997 à 2002, un Intouchable, Kocheril Raman Narayanan, a été élu comme président de la République de l’Inde. En Inde, le président a une fonction honorifique, puisque c’est le Premier Ministre qui dirige le pays. En 2009, une femme Intouchable, Meira Kumar, a été élue pour la première fois à la tête du Parlement indien. De même, les Sikhs sont puissants du point de vue économique. Toutefois, ces inversions sociales restent rares. Le plus souvent, les basses castes et les Intouchables vivent dans la plus grande pauvreté.

Selon une enquête sur le niveau de développement humain et sur les indications par rapport aux revenus, réalisée en 2010, il a été estimé que le revenu annuel des hautes castes était équivalent à 40 000 roupies, soit 700 euros. Pour les basses castes, il représente 26 000 roupies, soit 350 euros. Les Intouchables gagnent généralement moins de 20 000 roupies, soit en-dessous de 300 euros. Il faut néanmoins considérer ces chiffres avec des précautions. En effet, beaucoup d’Indiens travaillent dans le secteur informel qui n’est pas du tout recensé.

Environ 10% des hautes castes vivent en-deçà du seuil de pauvreté fixé à 1,25 dollar par jour par la Banque Mondiale. Pour les basses castes, ce chiffre atteint 21% et pour les Intouchables, il monte jusqu’à 35%. Cela est lié aux fonctions professionnelles. Les basses castes et les Intouchables ont un accès très limité à la terre. Ce sont généralement des travailleurs agricoles, mais sans terres. Ils dépendent de riches propriétaires. Leurs salaires sont limités. Ces inégalités monétaires se doublent d’autres inégalités. En effet, les basses castes et les Intouchables ont un accès plus limité à l’eau. L’économie rurale reste une économie agricole, tributaire de l’accès à l’eau. Les puits sont contrôlés par les hautes castes. Quand on regarde la productivité des cultures, elle est moindre pour les basses castes et des Intouchables. Ils ont un accès à l’eau plus limité, ce qui pose problème du fait de la mousson instable.

À cette segmentation socio-religieuse, s’adjoint une ségrégation spatiale.

Source : Cadène P., Atlas de l’Inde. Une fulgurante ascension, Éditions Autrement, 2008

Philippe Cadène propose ce schéma concentrique pour expliquer la répartition spatiale des castes dans les villages. Généralement, les hautes castes sont installées dans la partie nord du village à proximité du temple. Chaque varna occupe un point cardinal particulier. Plus on s’écarte du temple et plus le niveau de pureté recule. Les Intouchables vivent souvent dans des hameaux à l’extérieur du village, séparés de celui-ci par une rupture et une discontinuité physique (ex : une rivière, une forêt). Chacune des parties du village est organisée par une jati. Cela s’applique dans les espaces ruraux surtout.

Dans les petites villes, c’est un peu différent. Il faut rappeler que 69% de la population vit dans les espaces ruraux en Inde. Malgré tout, les villes sont nombreuses et il faut en tenir compte. Si on considère la ville d’Amaravathi (dans l’Etat fédéré de l’Andhra Pradesh), les hautes castes sont au nord, les basses castes sont au sud.

Source : Landy F., L’Union indienne, Editions du Temps, 2002.

Avec la croissance urbaine et l’étalement urbain, il y a installation des nouveaux arrivants dans les espaces interstitiels des villes. Il y a donc coprésence, mais non mixité. On parle parfois d’explosion urbaine, parce que les grandes villes ont connu une croissance importante. Il est impossible au niveau des métropoles d’organiser les choses de la même façon. S’il n’y a pas de séparation spatiale, il y a d’autres logiques ségrégatives qui existent. Ex : dans les quartiers centraux et anciens, on est dans du monocaste, du monovarna. Il y a peu de mixité.

Dans les nouveaux quartiers, situés dans les extensions de la ville, il y a plus de mixité de varnas, mais c’est encore une fois relatif. Par exemple, on reste entre hautes castes, ou entre basses castes et Intouchables. De nouvelles formes de ségrégations émergent dans les villes, en lien avec l’émergence économique. En lien avec l’élévation du niveau de vie de la population, l’enrichissement de la minorité donne lieu à l’émergence de nouveaux quartiers. Dans ces quartiers, les niveaux de standings sont disparates. La sélection socio-économique s’exerce. Il y a là une surreprésentation de castes supérieures, qui ont le plus profité de l’émergence économique. Dans les slums, c’est l’inverse, il y a une surreprésentation de basses castes et d’Intouchables.

Si le statut rituel des castes recule, pour autant, la hiérarchie reste importante et est même revendiquée. On fait le constat d’un renforcement de la caste, en tant qu’identité socio-politique. Cela se renforce depuis l’indépendance de l’Inde en 1947. Mais, cela existait déjà avant, avec des mobilisations et des associations de castes qui luttent pour défendre leurs droits et revendiquer leurs positions dans la hiérarchisation sociale. Les colons britanniques avaient proposé une autre hiérarchie de castes. Certains s’étaient retrouvés plus hauts ou plus bas dans la hiérarchie. Malgré tout, même quand l’erreur leur avait été favorable, ils l’ont dénoncée et ont revendiqué leur statut de basse caste. Ils luttent pour être rétrogradés dans la hiérarchie et bénéficier ainsi des aides de l’État.

En effet, l’Etat a mis en place des politiques de discrimination positive, donnant droit à des quotas aux populations en retard dans l’économie. Ils ont des places et des bourses dans les administrations, dans les assemblées locales et régionales, ainsi que dans les universités. Au départ, ces politiques étaient destinées uniquement aux Intouchables et aux Tribaux (les Adivasis) représentant des catégories à part. En tout, ce sont 80% des campagnes qui sont composées par les Adivasis, les Intouchables et les basses castes. Ces politiques se sont étendues vers les basses castes de plus en plus, c’est-à-dire les OBC. En effet, 3743 autres jatis, en plus des Intouchables, ont le droit de bénéficier de ces politiques de discrimination positive. Cela signifie qu’environ 58% de la population indienne peuvent demander ces aides. Mais beaucoup ne le font pas. Par exemple, les basses castes n’ont souvent pas le niveau scolaire nécessaire pour intégrer les universités.

  • Cette politisation de la caste participe au fait que ce système reste important et revendiqué. Mais cela entraine également des tensions entre les castes.

Certaines jatis revendiquent le statut de basse caste. Cependant, les hautes castes sont contre ce système de discrimination positive. En effet, beaucoup de places dans l’université sont laissées vacantes à cause de cela. Si elles ne sont pas occupées par les basses castes, elles ne peuvent pas être prises par les hautes castes et sont donc perdues. De fait, avant chaque rentrée universitaire, des étudiants des hautes castes manifestent contre ce système. De même, beaucoup revendiquent le fait qu’ils n’obtiennent pas d’emplois dans le service public. Depuis les années 1990, c’est la libéralisation économique de la société indienne. La masse d’emplois relevant du système privé représente désormais la grande majorité et cette politique de discrimination positive ne s’y applique pas. Il y a donc une instrumentalisation politique des castes. La société indienne est très politisée et impliquée dans la vie politique et électorale, avec des taux de participation aux élections très importants. Chaque jati représente un réservoir de votes de plusieurs millions de personnes. Des partis politiques peuvent faire miroiter des reconnaissances de basses castes contre des promesses de voix.

II – Une segmentation verticale, toujours plus inégalitaire, accentuée par l’émergence économique

Cette segmentation est toujours plus importante. Depuis 1991, l’Inde enregistre un taux de croissance économique important, de l’ordre de 7%. Paradoxalement, le pays compte le plus grand nombre de pauvres. Cela s’explique par le fait que la croissance a un caractère prioritaire. Amartya Sen a parlé de « croissance sans développement ». L’amélioration des conditions de vie est lente. L’IDH progresse lentement, mais moins vite depuis que la croissance économique est importante. L’indice de GINI, l’indicateur qui formalise l’importance des inégalités au sein des populations, est plus fort après la croissance économique des années 1990.

Ce creusement des inégalités s’explique par l’enrichissement important d’une minorité. La nouvelle classe moyenne est très différente de la classe moyenne traditionnelle dans ses choix de lieux de vie. Elle choisit d’habiter dans des espaces situés en dehors des villes et d’exhiber sa richesse. A l’inverse, la classe moyenne traditionnelle vit dans le centre-ville et se montre discrète. Cela se voit toujours plus. Aujourd’hui, dans certaines villes indiennes, on retrouve des paysages urbains similaires à ce qui se fait en Afrique du Sud et au Brésil. Depuis le début des années 2000, la visibilité des extrêmes est toujours plus importante.

Christophe Jaffrelot, spécialiste de la politique indienne, dit que la question de la pauvreté est associée à l’inégalité et il parle même d’une « bombe à retardement ». Les tensions sont toujours plus vives entre des catégories de population qui n’existaient pas alors. Cela a lieu à l’échelle locale.

Source : Jaffrelot C., La pauvreté en Inde. Une bombe à retardement ? CERISCOPE Pauvreté, 2012.

À l’échelle nationale, le corridor rouge (bande s’étirant à l’est de l’Inde), correspondant à un mouvement de rébellion naxalite, s’est diffusé massivement. Ce mouvement dénonce les inégalités, l’expulsion de populations des territoires, ainsi que l’exploitation des ressources par les grandes entreprises. En effet, l’appropriation des ressources des plus faibles par les plus puissants est de plus en plus forte. Le mouvement naxalite est né au Bengale occidentale (État fédéré de l’Est de l’Inde) et il descend toujours plus vers le Sud aujourd’hui. Il dénonce de plus en plus les inégalités.

è De fait, cette question des inégalités constitue des défis, notamment ceux de l’unité nationale dans la diversité. Mais, la question est malmenée du fait des inégalités grandissantes.

Questions :

  • Qui a inventé l’hindouisme ?

C’est d’abord le brahmanisme qui est apparu, inventé par les Indo-Aryens. Le peuplement de l’Inde a connu plusieurs étapes au cours du temps : la civilisation de l’Indus, avec les Dravidiens, puis les Indo-Aryens qui ont poussé les Dravidiens vers le sud. Il y a une différence entre Inde du nord et Inde du sud au niveau du peuplement, des langues et de la culture. En Inde du Nord, l’hindouisme est plus sévère qu’en Inde du sud. Quoiqu’il en soit, l’hindouisme n’est pas une religion révélée. On ne devient pas hindou. On naît hindou. On ne peut donc pas se convertir à l’hindouisme.

  • Le système de castes se retrouve-t-il dans les diasporas ?

Oui. La diaspora est très conservatrice que dans le pays (sex ratio déficitaire, système de castes, pratique de la dot, etc). Elle est également très nationaliste.

  • Le système de castes passe par les religions, mais comment après cinq siècles de domination de l’islam, ce système a pu résister ? Que se passe-t-il au Bangladesh et au Pakistan ? Y a-t-il un système de castes dans ces pays ?

En Inde, les échanges entre les hindous et les musulmans sont anciens (scientifiques, culturels, commerciaux). La proximité entre les communautés a entrainé un mimétisme social. La communauté musulmane en Inde est donc également organisée en systèmes de castes (qui n’est pas exactement le même que le système hindou). Le regain identitaire est élevé de chaque côté des religions.

  • Qu’en est-il des autres religions ?

A la différence de la communauté chrétienne, le jaïnisme, le bouddhisme et le bouddhisme ne reconnaissent pas le système de caste.

  • Quel est le lien entre politique et hindouisme ?

En Inde, on observe depuis la fin des années 1980 à une montée du nationalisme hindou.  Les nationalistes parlent d’hindouité. Est hindou celui qui fait allégeance à ces principes de l’hindouité, les autres ne sont pas considérés comme hindous et peuvent être discriminés. Le BJP, incarné par l’actuel Premier Ministre Narendra Modi, est au pouvoir depuis 2014.

  • Dans l’éducation, ce système de castes est-il intégré ?

C’est intégré dans la communauté. Il y a une différenciation par le niveau socio-économique. Quand on appartient à des hautes castes on fréquente des écoles publiques de qualité ou des écoles privées. Les Intouchables et les basses castes ont longtemps été exclus du système scolaire. Aujourd’hui, la ségrégation se fait surtout par le type d’écoles fréquentées.

  • Y a-t-il eu des contestations vis-à-vis de cette éducation inégalitaire ?

Oui, il y a eu des contestations sur l’accès, la qualité, l’absentéisme des professeurs, du fait du peu de moyens. Des castes veulent avoir une éducation de qualité, afin de pouvoir entrer à l’université. Sinon, il ne leur est pas possible d’y accéder.

  • Selon les castes, y a-t-il une place différente des femmes ?

Plus on monte dans la hiérarchie des castes, plus le statut de la femme est difficile (beaucoup plus de règles, de normes, avec un niveau de pureté à conserver). Elles ont plus d’aisance matérielle, mais restent limitées en termes de liberté décisionnelle et de mobilité. Les discriminations restent fortes également au sein des castes inférieures. Le statut des femmes évolue quelque peu si elles ont eu des garçons.

  • Comment sait-on que quelqu’un appartient à telle caste ?

C’est une question urbaine, puisque dans les campagnes, le regard social et la connaissance des uns des autres est grande. En ville, l’anonymat, la mobilité fait que c’est plus difficile. On reconnait les Brahmanes, parce qu’ils ont la peau la plus claire. De même, leurs habits, leurs prières, ainsi que leurs marques rituelles sur le visage permettent de les identifier. Les basses castes sont dans une grande précarité, qui est visible sur leur corps. L’entre-deux est plus flou. Par rapport à l’identité, grâce au nom, on sait que ça renvoie à telle jati, à telle localité.

  • Est-il pire de se marier avec quelqu’un de haute caste, ou de se marier avec un étranger ?

Se marier avec un étranger reste une chose rare. Un étranger n’est pas hindou, il est hors du système. C’est un phénomène minoritaire. En fait, les deux cas sont compliqués. Cela défraye souvent la chronique dans les journaux ou les médias.

  • De nouvelles jatis se créent-elles encore aujourd’hui ?

D’anciennes jatis disparaissent, d’autres émergent. En lien avec la vie moderne, ce qui change également, ce sont les professions traditionnellement occupées par les jatis.

  • Vis-à-vis des différences de jatis entre régions, quand on déménage, comment change-t-on de jati ?

On ne change pas de jati. Seul le lieu de naissance importe. On conserve le niveau du lieu de naissance.

Bibliographie :

Cadène P. & Dumortier B., Inde : une géographie, Armand Colin, 2015.

Cassan G., La caste dans l’Inde en développement, Editions Rue d’Ulm, 2015.

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Fourmont G., Rivalités de langue en Inde, Carto n°26, novembre-décembre 2014.

Landy F., L’Union indienne, Editions du Temps, 2002.

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Woessner R. (dir.), L’Union indienne, Atlande, 2015.

Compte-rendu de Yohanna Vauclin, relu et amendé par Virginie Chasles