Le dessin du géographe n° 68

Ce dessin est issu des archives du Service Historique de l’Armée de Terre, au Château de Vincennes. Il a été réalisé après novembre 1915 date à laquelle les troupes de l’armée d’Orient du général Sarrail pénètrent dans la ville de Monastir, aujourd’hui Bitola en République de Macédoine.

Le dessin représente une partie de la ville de Monastir, actuellement Bitola n Macédoine, et son environnement montagneux du côté nord. Le tout est dessiné à partir d’un point d’observation au sud de la ville, dit « observatoire de l’Orénoque ».La ville est située dans un bassin correspondant à un fossé d’effondrement, autrefois partiellement occupé par un lac.

Jusqu’en 1912, c’est-à-dire jusqu’au déclenchement de la Première Guerre Balkanique, Monastir est une importante ville de 50.000 habitants capitale d’un vilayet étendu au sein de l’Empire Ottoman. Sa composition est composite : Turcs, Grecs, Albanais, Macédoniens que l’on appelle alors Bulgares, sans qu’aucune nationalité ne domine. On verra à ce sujet l’excellent article de Bernard Lory dans les Cahiers Balkaniques de 2011 (Revue en ligne) «  Un poste consulaire en Macédoine, Bitola-Monastir 1851-1912 ».

Monastir a été conquise par les troupes serbes au cours de la Première Guerre Balkanique, puis intégrée en 1913 dans le Royaume de Serbie.

Mais les Serbes sont peu nombreux à Monastir beaucoup moins que les Bulgares ou Macédoniens et lorsque la Bulgarie rentre dans la Première Guerre Mondiale, en octobre 1915, aux côtés des Empires Centraux, elle envahit cette partie de la Serbie qu’elle revendiquait et les troupes serbes sont submergées.

Avec le débarquement des troupes françaises à Salonique, à la fin de 1915, un front s’établit entre les Français, les Anglais, les Serbes du  côté sud  et les Germano-bulgares au nord. Ce front passe par Monastir et se stabilise peu à peu. La ville reste aux mains de l’Armée d’Orient mais toujours sous la menace des canons allemands et bulgares.

Le dessin présenté ici témoigne de l’évolution de ce front de part et d’autre de Monastir. Il est orienté vers le nord. Il est dessiné à partir de « l’Observatoire de l’Orénoque » au sud de la ville, clin d’œil aux efforts des explorateurs de la fin du XIX° siècle qui s’efforcent de remonter jusqu’aux sources de ce fleuve. Les troupes de l’Armée d’Orient entrent dans Monastir le 19 novembre 1916 et s’efforcent de progresser vers le nord, pour protéger la ville. Elles conquièrent ainsi le village de Crnobok et le monastère de Krklina, dont les noms figurent sur ce dessin. Ce sont presque les seuls toponymes en langue locale sur ce dessin, car les seuls connus des militaires français.

On notera en bordure du dessin sur la gauche la cote 1248, à partir de laquelle l’artillerie germano-bulgare bombarde la ville. Les troupes de l’Armée d’Orient livrent du 14 au 18 mars 1917 une bataille sanglante qui leur permet de dégager la cote 1248, mais non pas de s’y installer.

Une citation de l’Est Républicain décrit la situation de Monastir sous la menace des canons allemands.

A Monastir, la vengeance boche

Monastir, bien que solidement en notre possession, demeure sous les obus des Allemands qui bombardent la ville de leurs grosses marmites. Les pièces causent des victimes parmi la population civile, qui ne semble cependant pas s’émouvoir outre mesure. Il est vrai qu’elle a déjà subi trois guerres et les fluctuations d’administrations diverses.

Peu de boutiques sont ouvertes, pour la raison bien simple qu’il ne reste plus rien où les Allemands et Bulgares ont passé. Un seul estaminet dans cette population de 60.000 âmes débite quelques maigres portions vite épuisées. Le pain est introuvable. Les pommes de terre elles-mêmes manquent. Il est inutile de songer à trouver du vin, du café, du sucre, de l’huile, du pétrole ou des bougies. Les Allemands ont tout pillé, tout emporté.

Dès la tombée de la nuit, la ville est plongée dans des ténèbres absolues que troue seulement l’éclair fulgurant des obus, tombant plus particulièrement sur le quartier turc, que ses habitants ont dû évacuer. ( L’Est Républicain 5 dec . 1915)

Le dessin donne une idée sommaire d’un paysage urbain dominé par les minarets des mosquées. Dans l’Empire Ottoman la hauteur des clochers des églises ne devait pas dépasser celle des minarets. Un seul monument est indiqué avec précision, une « Tour carrée ». En revanche, les traits du relief de l’environnement montagneux au nord de la ville sont décrits et dénommés avec soin. C’est là qu’ont eu lieu les affrontements les plus durs, à portée de la cote 1248. En revanche les ravins et crêtes de la partie droite, plus loin du front ne sont pas nommés. On peut relever les termes employés : ravin de l’Empereur, crête Tisserand, Centre Schmidt, qui sont des évocations internes aux unités engagées, le Ravageur, le Harnais, le Harpon, dont les noms devaient être clairs pour les destinataires du dessin, qui partageaient nécessairement une sorte de connivence topographique.

Le dessin est beaucoup plus lisible que la photographie et, grâce à cette toponymie fantaisiste et au carroyage on peut  désigner un point précis du paysage.

Avec les célébrations du centenaire de la Première Guerre Mondiale, de multiples articles ont été publiés à propos du front d’Orient,  avec une compétence variable de la part des auteurs.

Ainsi un long papier paru dans le numéro  de Marianne N° 854 (31 Août au 6 septembre 2013) sous la plume de Guy Konopnicki, évoque les Guerres balkaniques, comme prélude à l’affrontement de 14-18.

 

On y voit une photo de l’artillerie serbe devant Monastir durant la première guerre balkanique. Mais on y apprend dans la légende que ces combats se déroulent en Tunisie et alors le lecteur  ne comprend plus rien. C’est que  l’article  ignore l’existence du Monastir de Macédoine  confondu  avec le Monastir de Tunisie, qui pourtant se trouve dans un pays qui est alors un protectorat français et où jamais un soldat serbe n’a mis les pieds.

Un peu de savoir historico-géographique ne fait pas de mal.

Michel Sivignon juillet 2017