Café géo de Toulouse 17.04.2013 

Discours de Michel Rocard (09.11.2010)

Ambassadeur de France chargé des négociations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique

Je pense que je devrais me présenter. Personne n’est parfait : je viens de très loin de l’Arctique. Je suis Français. Je suis même un ancien Premier ministre, ce qui aggrave mon cas : pour un politicien, la relation avec le sérieux et la rigueur scientifique est moins claire qu’elle ne l’est pour la plupart d’entre vous. Mais j’ai néanmoins été nommé Ambassadeur français chargé de la négociation internationale pour les pôles Arctique et Antarctique. Inutile de le demander, j’entends vos deux questions : pourquoi, et pour faire quoi ?

Pourquoi ? Mesdames et Messieurs, je peux jurer ici que je n’avais jamais entendu parler ou n’avais jamais été concerné en aucune manière par les pôles Nord et Sud jusqu’au 17 juin 1989. Le seul détail préalable est qu’avant cette date, et pour d’autres raisons, je m’étais lié d’amitié avec mon partenaire australien, le Premier ministre Robert Hawke. Ce jour là, il visitait Paris pour une visite d’Etat. Nous nous sommes inquiétés conjointement de la convention de Wellington, un traité qui venait juste d’être signé l’année d’avant, en 1988, comme troisième protocole au traité sur l’Antarctique, consacré aux activités sur les ressources minérales dans cette région. Sans consulter aucun membre de nos gouvernements, ou aucun conseil juridique d’aucune sorte, nous avons décidé conjointement que nous n’enverrions pas ce document à nos parlements pour ratification, ce que nous avons fait effectivement, et avons demandé au reste du monde de rouvrir des négociations avec le désir de parvenir à une solution plus aboutie. De manière surprenante, elles ont été rouvertes, se sont déroulées étonnamment rapidement, en deux ans, et avec une surprise encore plus grande, ont abouti, à Madrid. C’est là qu’en décembre 1991, l’Antarctique a été désigné comme partie du patrimoine mondial de l’humanité, une réserve naturelle interdite à toute activité humaine autre que le tourisme et la recherche scientifique. L’un des résultats de cette mention est la préservation efficace de l’Antarctique. Un autre a été que la communauté scientifique, particulièrement mais pas seulement francophone, a changé d’opinion et a commencé à me considérer comme un politicien potentiellement utile, ce qui est rare dans cette catégorie, capable concrètement de partager et traduire dans des décisions leurs craintes ainsi que leurs espoirs. D’où ma nomination pour les deux pôles et naturellement en particulier pour la région Arctique. Voilà pourquoi.

Pour faire quoi ? L’histoire que je viens de vous raconter, que j’accompagne de mes excuses pour le caractère personnel de ces détails, explique clairement la naissance d’un mythe, le mythe d’un traité unique pour l’océan Arctique, sur le modèle de celui relatif à l’Antarctique, qui puisse résoudre au moins les questions de sécurité, les normes pour l’Arctique, un code de navigation, les activités autorisées et interdites, la pêche etc… Je dois confesser ici une certaine culpabilité, en particulier dans l’expression de ce rêve, souhait du Parlement Européen. Mais j’ai bien reçu le message, nul besoin de me le répéter : le refus des pays riverains est légitime et suffisant pour rendre une option impossible. Nous devons suivre d’autres chemins, c’est clair et accepté maintenant, pour la France et en grande partie pour l’Union Européenne.

Alors que faire ? La France n’a pas d’intérêts stratégiques dans la région, et très peu d’intérêts économiques. Nous n’avons rien de français à y sauver ou préserver. Notre diplomatie, principalement à la demande de la communauté scientifique, essaye de contribuer à la formation des décisions de la communauté internationale pour ce qui concerne l’océan Arctique et la région.

Nous sommes des observateurs permanents au Conseil arctique, et fiers de l’être depuis le début, grâce à la contribution scientifique significative que les explorateurs et scientifiques français ont apportée depuis plus d’un siècle. Nous voulons être, et je pense que nous le sommes, des membres fiables. Nous approuvons tout le travail scientifique et politique du Conseil. Nous comprenons aussi, même si nous ne la partageons pas complètement, la perplexité des membres permanents devant la possibilité d’avoir un jour plus de membres observateurs que de membres permanents. Qui plus est, nous admirons la qualité du travail de recherche conduit sous l’autorité du Conseil arctique, et spécifiquement la coopération et la confiance mutuelle qui se sont développées entre les membres du Conseil arctique. Cette confiance doit être respectée, approfondie, et si possible élargie.

En fait, pour être clair et court, nous les Français, en tant qu’observateurs au Conseil arctique, et que je sache la plupart des pays européens membres du Conseil, avons une seule peur. Cette peur concerne la lenteur de notre capacité à produire de la réglementation. Après des millénaires d’inaccessibilité et de désengagement, le changement climatique ouvre l’Arctique à toutes les activités humaines, au tourisme, à la pêche, à la navigation commerciale, à la production de pétrole et de gaz, aux extractions minérales, aux activités militaires sur les côtes.

Certaines de ces activités, même si elles sont inexistantes actuellement, pourraient évidemment devenir massives dans les prochaines années, comme le tourisme, la pêche, la navigation commerciale, et concernent le monde entier. Nous n’avons aucun droit d’empêcher ou d’interdire, et l’OMC et l’UNCLOS confirment ces interdictions.

Certaines autres activités, comme la production de gaz et pétrole et les extractions minières, dépendent des pays propriétaires riverains, mais concernent aussi le monde entier eu égard aux dommages collatéraux qu’elles peuvent induire. Les atteintes à la biodiversité, les marées noires comme dans le golfe du Mexique, tout ceci sont des préoccupations pour l’humanité tout entière, qui peut vouloir être associée aux mesures de sécurité et aux précautions à prendre.

Le plaisir que nous avons à travailler au sein du Conseil arctique à notre rythme, en toute confiance mutuelle, lié au mécontentement d’envisager des règles obligatoires, des limites et contrôles imposés, nous fait aller lentement. Que pourrait-il arriver si des chalutiers et d’énormes cargos arrivaient en grand nombre avant que des normes soient définies, avant qu’un code soit adopté, avant que les espèces à protéger soient précisées ?

Nous voulons juste que le Conseil arctique prenne cette question en considération et réfléchisse au processus à adopter. La France et l’Europe sont prêtes à aider, et nos capacités financières pourraient être utiles pour les infrastructures nécessaires. J’espère que vous admirerez la modestie de notre unique demande.

Merci pour votre attention.

 

Compte-rendu sur http://www.canal-u.tv/