Cafés géographique de Lyon : le 20 décembre 2017 avec Emmanuelle Peyvel

Emmnanuelle Peyvel est doctoresse en géographie et maîtresse de conférences à l’Université de Bretagne occidentale. Spécialiste du tourisme au Vietnam auquel elle a consacré sa thèse, elle a publié à ENS éditions un ouvrage joliment intitulé L’invitation au voyage, qui reprend, en les actualisant, les résultats de ses recherches.

Carte : Touristes étrangers et domestiques au Vietnam (E. Peyvel, 2011)

Je précise que j’étudie seulement le tourisme domestique ou interne, c’est-à-dire les Vietnamiens qui visitent leur pays (ce qui n’équivaut pas au tourisme national qui comprend aussi les Vietnamiens qui partent à l’étranger).

Le Vietnam est situé dans la péninsule indochinoise, à laquelle appartiennent aussi le Laos, le Cambodge et la Thaïlande, cette dernière n’étant pas incluse dans l’ancienne Indochine française. Ce pays de 95 millions d’habitants est un espace du plein et des fortes densités (285 hab/km²), ce qui contraste avec ses voisins laotiens et cambodgiens. Cette population nombreuse, jeune, éduquée et en bonne santé alimente l’émergence économique du pays et l’essor d’une classe moyenne, qui constituent autant de facteurs expliquant l’importance du tourisme domestique .Les sites touristiques les plus connus sont ceux classés Unesco , comme la baie de Hạ Long ou la Citadelle impériale de Huế , classée la première en 1993, ce qui témoigna de sa réintégration dans le concert des Nations suite à la politique de réouverture (Đổi Mới) initiée en 1986.

Graphique : visiteurs domestiques et visiteurs étrangers, 1990–2016

Le tourisme intérieur est beaucoup plus important que le tourisme international : en 2016, 10 millions de touristes internationaux ont été accueillis, tandis que 62 millions de touristes domestiques ont été comptabilisés à travers le pays, soit 6 fois plus. Cela est structurel depuis au moins 20 ans, même si bien sûr on peut discuter la manière de comptabiliser les touristes.

Le tourisme domestique est peu affecté par les crises, alors que le tourisme international connaît des fléchissements lors des crises (économiques en 2008, sanitaire en 2006 avec le SRAS).

Il est aussi beaucoup mieux réparti dans l’espace. Le tourisme international a tendance à se concentrer dans les espaces déjà très reconnus d’un point de vue touristique : les sites Unesco et les stations balnéaires et d’altitude, ainsi que les grandes villes du pays. Le tourisme domestique est beaucoup plus diffus dans l’espace : aucune province ne vit seulement du tourisme international, même en baie de Hạ Long, où la majorité des touristes internationaux sont en fait chinois, soit un tourisme de proximité. À l’inverse, certaines provinces ne vivent que du tourisme domestique. Son avantage réside aussi dans le fait de ne pas forcément nécessiter des investissements de départ importants, ce qui nourrit un développement endogène de l’industrie touristique. Les fêtes religieuses sont également l’occasion d’intenses mobilités, au moment du nouvel an lunaire (Têt) par exemple, où tourisme et pèlerinages s’hybrident.

On a longtemps cru que seul le tourisme international pouvait servir de levier de développement pour les pays pauvres. L’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) mobilise souvent les Maldives, comme exemple de pays sorti de la catégorie « Pays les Moins Avancés » (PMA) de la planète grâce au tourisme. Cette vision s’intègre à la théorie économique du ruissellement, ou trickle-down Economics, selon laquelle les revenus des plus riches finiraient par profiter aux plus pauvres. Toutefois, elle connaît des limites certaines, en particulier parce qu’elle renforce l’extraversion de ces pays vis-à-vis d’un revenu qui peut se tarir.

Le Vietnam est aujourd’hui classé comme « pays à revenus intermédiaires » d’après la banque mondiale (le RNB/habitant était de 2 050 dollars en 2016, contre 42 380 pour la France par exemple), mais cette moyenne cache des inégalités : il y a aussi des très riches et des très pauvres. Cet état de fait est stimulant, car il remet en cause le fait que seule la richesse permet le tourisme. D’autres éléments rentrent en ligne de compte, notamment la question des compétences. En effet, « on ne naît pas touriste, on le devient » pour reprendre la paraphrase beauvoirienne de l’équipe MIT, car cela s’apprend.

L’Etat socialiste est également un acteur important dans le développement du tourisme domestique : depuis 1986 l’économie de marché a été réautorisée sans remise en question du fonctionnement politique. L’État intervient toujours dans l’économie, même s’il s’est désengagé d’une partie de la planification. Face à cet État socialiste, mon approche est relationnelle, je n’étudie pas l’État contre le peuple mais plutôt comment l’État encadre le tourisme (par le code du travail, des documents d’aménagements et des statistiques) et comment certains Vietnamiens ont réussi à se servir de ces structures socialistes pour concrétiser leurs projets touristiques (j’en profite pour remercier l’Institut d’Asie Orientale de Lyon, et en particulier François Guillemot, pour ses trésors d’archives en la matière). Cette approche relationnelle découle des théories post-socialistes, qui considèrent le socialisme non pas comme un système vaincu, mais comme un ensemble d’institutions, de valeurs, d’acteurs et de pratiques formant un répertoire de ressources avec lequel certains Vietnamiens peuvent aujourd’hui encore composer dans la sphère économique, ou urbaine (comment on accapare des terres), mais aussi dans celle du bien-être et du tourisme : comment on devient tourisme dans un cadre de pensée socialiste ?

A partir des années 1960, le tourisme change d’échelle. L’État l’inscrit dans une triple démarche au sein de sa propagande : nationaliste, pour se réapproprier une pratique jusque-là réservée aux colons français qui avaient construit les premières stations d’altitude et balnéaires du pays, sociale, en démocratisant une pratique de l’élite coloniale et locale (appelés alors Annamites), et enfin politique, en se servant du tourisme comme vitrine de l’État socialiste, d’une Nation souveraine et unie, où la prospérité est bien réelle et en théorie équitablement partagée.

Cela nourrit in fine la figure de l’Homme nouveau, qui se définit selon des critères politique (fidélité au parti), technique (récompense aux héros de guerre ou pour des performances remarquables au travail) et social (appartenir ou se sentir proche des masses populaires). Et le tourisme sert à incarner l’homme nouveau socialiste dans la propagande.

Photo : enfants d’ouvriers dans la station balnéaire de Sầm Sơn, au Nord du pays : ils deviennent des symboles heureux de la modernité civilisée promue par le socialisme.

Les ouvriers recevaient aussi des bons de vacances comme il y avait des bons alimentaires, beaucoup moins nombreux bien sûr. Voici Đặng Thị Mai Phương, jeune ouvrière travaillant dans des mines de charbon, à qui l’Etat a offert un séjour balnéaire en 1962 en récompense de ses performances. Photo ouvrière des mines de charbon. Tous les ingrédients de la propagande sont là : contre-plongée qui la mettent en valeur, couleurs saturées, qui mettent en scène une forme d’émancipation féminine, assez musclée pour montrer la vigueur de la classe ouvrière vietnamienne. En cela, cette image revêt un caractère universel : elle donne chair au socialisme, comme d’autres figures de la propagande socialiste (l’institutrice, l’ouvrière, la paysanne…)

Photographie : Dang Thi Mai Phuong, ouvrière modèle, Vietnam n° 81 juin 1964, 4e de couverture.

Et aujourd’hui alors ? On assisterait à un désengagement ? Pas complètement.

Dans l’état vietnamien très centralisé, le tourisme est rattaché au ministère de la culture, du sport et du tourisme. Et cette politique centrale est relayée selon un maillage fin du territoire dans les provinces et les districts par les comités populaires. Le rôle des comités est aussi de donner des permis de construire aux établissements touristiques, et ils peuvent assurer la vente de billets pour certains sites. En cela, le tourisme constitue une recette pour l’Etat, et à ce titre, il encourage son développement. . Toutefois, cet interventionnisme étatique n’est pas à lire selon le modèle de la pyramide : les services sont étoffés là où on veut encourager le tourisme, et notamment le long du littoral, à l’Est du pays, de Hanoi à Saigon, c’est-à-dire là où se concentre la majorité des richesses du pays détenues par l’ethnie majoritaire, les Kinh ou Việt Ailleurs, cause et conséquence d’un tourisme moindre, les services sont moins étoffés. Sur les hauts plateaux, là où on produit le café (dont le Vietnam est 2e producteur mondial), l’hévéa et le poivre, au détriment des ethnies locales, des conflits ont éclaté et ces tensions encore palpables expliquent que cette région soit encore faiblement mise en tourisme.

Il serait caricatural de penser que depuis l’ouverture, le secteur privé est en train de balayer l’État. En fait, au Vietnam comme en Chine, le changement a d’abord été pensé pour permettre à l’État socialiste de perdurer. L’armée reste un acteur très important de la sphère touristique. Historiquement, les militaires ont été les premiers autorisés à s’associer à des groupes étrangers pour faire des joint-ventures. Ils possèdent également beaucoup de foncier et des sites très visités, comme le mausolée de Hồ Chí Minh à Hanoi.

Voir aussi : Yves Duchère, « La République Socialiste du Vietnam est-elle autoritaire ? », Géoconfluences, 2017.

Aujourd’hui, on assiste à un double mouvement : l’État se désengage de ce qui est le moins rentable et stratégique. En 2004, le secteur privé passe devant celui étatique dans les recettes dégagées par les agences de voyages et les hébergements. Dans d’autres secteurs jugés plus stratégiques, l’engagement de l’État reste fort. Vietnam Airlines, compagnie aérienne d’État fondée en 1956, est aujourd’hui une compagnie régionale importante, membre de la 2e alliance aérienne au monde, Skyteam (Air France KLM). Elle a transporté près de 20,6 millions de passagers en 2016 pour un chiffre d’affaires de 3,45 milliards de dollars (source). Elle reste encore majoritairement détenue par l’Etat : son capital a seulement été ouvert en 2014, à hauteur de3,5 %. Saigontourist, fondée en 1975, est un autre exemple : cette agence de voyage du comité populaire de Saigon n’est ni plus ni moins que le premier opérateur du secteur touristique du pays. Elle possède des hôtels en propre, opère également comme gestionnaire et investisseur. En 2016, elle a compté plus de 2 millions de clients et réalisé un chiffre d’affaires de 720 millions d’euros (source).

L’État encadre également les mobilités touristiques domestiques via le code du travail : il octroie congés et jours fériés, selon des temporalités à la fois traditionnelles (la fête du Têt pour le nouvel an lunaire, ou celle des rois Hung le 10e jour du 3e mois lunaire) mais aussi des temporalités socialistes, qui par leur répétition inculque des valeurs et une continuité entre fêtes ancestrales et socialistes : fête du travail le 1er mai, 30 avril (réunification du pays), ce qui fait un week-end avec deux jours, et en plus au Vietnam si un jour férié tombe un dimanche, vous avez le droit de le rattraper ! Il y a aussi le 2 septembre (fête nationale) soit au total 9 jours fériés + 12 jours de congés payés annuels en moyenne, mais certains en ont plus : ceux qui travaillent dans les entreprises occidentales, ceux qui travaillent dans des métiers pénibles… Il est difficile de savoir si tout le monde utilisent ces congés, car certains préfèrent ne pas les prendre pour gagner plus d’argent, car ces jours sont payés s’ils ne sont pas chômés.

Le tourisme est aussi mobilisé par l’État au service de la construction nationale, et encore aujourd’hui il permet de mettre en vitrine l’unité du pays. Le pays compte plus de 50 ethnies, et cette diversité peut être une fracture. Construire une nation unie et souveraine reste un défi. Certains lieux remplissent la fonction de haut-lieux, comme le mausolée de Hồ Chí Minh à Hanoi, site le plus visité du pays avec plus de 2 millions de visiteurs annuels. Cette forte fréquentation s’explique par le fait que bon nombre de visites ont été prises en charge par l’État : fonctionnaires stagiaires de la police, étudiants en tourisme, « enfants sages de l’oncle Ho » qui sont récompensés de leurs bons résultats scolaires par ce voyage. Le complexe de 35 hectares comprend non seulement le mausolée mais aussi un parc avec une maison et un musée en plein centre-ville de Hanoi. La visite est orchestrée et contrôlée par un grand nombre de gardes. Mais on observe également des pratiques buissonnières allant crescendo après la visite solennelle à la dépouille de l’oncle Hồ, qui peuvent aller à l’encontre du règlement : les enfants jouent au ballon, certains visiteurs du musée disent n’y être finalement entrés que pour la climatisation… Et pour finir on achète une glace ou un souvenir. En cela, le mausolée est aussi un prétexte pour aller visiter la capitale, dont la visite sera couplée à d’autres récréatives (zoo, parc, etc.) : il s’agit de profiter d’un financement de l’Etat et de justifier de manière honorable un voyage à Hanoi. Cela témoigne de tactiques inhérentes au post-socialisme, entre adhésion et faire-semblant, cynisme, opportunisme et coopération.

En somme, il n’est pas pertinent d’opposer tourisme et lieux de construction nationale : il ne les dénature pas, car il est pensé dès le début pour alimenter leur fréquentation, par exemple avec une double tarification au bénéfice des Vietnamiens.

Le tourisme permet aussi de donner corps aux frontières du pays, y compris dans des espaces disputés, comme Phu Quoc, île proche du Cambodge. Faire voyager les Vietnamiens dans ce qui doit être leur pays est une manière efficace de l’intégrer à leurs mentalités. Le tourisme donne également du sens à l’histoire, comme le montre le cas du « patrimoine colonial », avec des guillemets car il ne fait pas consensus. En effet, le patrimoine ne correspond pas à tout ce qui est ancien, mais à ce qui est sélectionné à un moment donné comme devant être transmis aux générations futures. La question se pose de savoir si on conserve ou pas le patrimoine colonial, et comment on le fait, car il ne s’agit pas de célébrer cette époque en protégeant les bâtiments qui en datent, mais bien plutôt la réappropriation qui en a été faite par les Vietnamiens. La maison de Paul Doumer (gouverneur d’Indochine) à Vũng Tàu, station balnéaire méridionale, en fournit un exemple : elle est ouverte aujourd’hui au grand public, et le fait que le Peuple y accède enfin est mis en scène lors des fêtes socialistes du pays, comme le 1er mai.

L’État constitue aussi un cadre matériel qui permet aux Vietnamien de faire du tourisme. Les organisations de masse et les syndicats de compagnies d’État, comme Vietsovpetro, possèdent encore des hôtels dans le pays, permettant à leurs membres d’y séjourner à prix modiques.

Enfin, l’Etat constitue un cadre d’apprentissage au tourisme, un passeur d’altérité, en leur permettant de découvrir de nouvelles destinations dans un cadre rassurant et pour un prix raisonnable. C’est le cas de Anh, ancien combattant qui part chaque année grâce à ce statut et à la caisse de son quartier dédiée aux personnes âgées. Tout est pris en charge et noté sur son bon de voyage : son numéro de siège dans le bus, son numéro de chambre et son numéro de table au restaurant. Il ne pourrait pas voyager sans cette prise en charge.

C’est aussi le cas d’An. Elle appartient pourtant à une classe relativement aisée de la population, mais elle continue à partir avec son groupe de retraités de la fonction publique, car elle ne s’estime pas compétente pour organiser seule son voyage. Elle part ainsi visiter le pays entre copines, et apprécie de ne devoir s’occuper de rien.

S’ensuit un échange avec le public.

La géopolitique avec les voisins a-t-elle un effet sur le tourisme au Vietnam ?

Le plus sensible flux touristique est celui chinois : ils représentent une manne, car ils sont les premiers touristes étrangers du pays, mais ils sont souvent mal vus et affublés de tous les mots : ils sont souvent décrits comme bruyants, sales, peu cultivés et dépensant peu, etc. L’industrie touristique vietnamienne ne peut pas se passer du tourisme chinois : les tensions géopolitiques s’arrêtent où commence le tourisme.

Comment mesure-t-on le tourisme domestique ?

C’est difficile car les touristes domestiques ne passent pas de frontière. Le problème principal est celui du double-comptage qu’on limite en recoupant les statistiques des grandes infrastructures de transport, des sites payants de visite et des hébergements marchands (or la majorité se font héberger à titre gratuit par de la famille ou des amis). Il y a des approximations dans tous les pays, mais peut-être plus encore dans un pays comme le Vietnam où la statistique est peut-être moins performante qu’en France ou aux États-Unis. Pour autant, les progrès sont réels : aujourd’hui, la statistique vietnamienne cherche à rendre d’une réalité et non à nourrir des plans quinquennaux optimistes de planification. Elle est aussi plus accessible. Mais elle sert aussi un discours de la croissance, se devant d’être rassurant pour les investisseurs. C’est ce qu’on appelle la maladie des beaux chiffres (Bệnh thành tích), qui connaît une poussée en fin d’année, lorsque les provinces doivent rivaliser de bons résultats.

Et le tourisme domestique religieux ? Avec ses pèlerinages, les pagodes célèbres…

Oui, c’est vrai, il reste vigoureux. On fait souvent commencer l’histoire du tourisme à l’époque coloniale. Mais cela ne veut pas dire qu’avant l’époque coloniale, il n’y avait pas de mobilités plus ou moins récréatives, liées au thermalisme ou à la religion par exemple. En fait il y a longtemps eu des déplacements religieux qui sont aussi des voyages de découverte. Surtout qu’aujourd’hui on assiste à une hybridation entre pèlerinage et tourisme. On voit un peu la même chose en Europe avec les chemins de Compostelle, qui impliquent des pratiques mêlant religion, spiritualité, loisirs et tourisme. Le tourisme réactive les lieux religieux. Il interroge la sécularisation de nos sociétés, la différence entre profane et sacré.

D’autres mobilités sont très anciennes, comme celle de partir à l’occasion du Têt pour admirer la végétation en fleurs de montagne, pratique répandue dans toute l’Asie orientale.

Et le tourisme mémoriel ? De la guerre d’Indochine, de la guerre du Vietnam ?

Ce tourisme souffre du vieillissement et de la disparition des vétérans. La bataille de Điện Biên Phủ a eu lieu en 1954, la réunification en 1975. Cela constitue aujourd’hui un enjeu mémoriel, dont l’Etat s’empare en encourageant les visites scolaires dans les musées d’histoire et les sites de guerre. Il y a volonté de rendre aussi accessible que possible ces lieux. Aujourd’hui les jeunes de 20 ans constituent une génération qui n’a pas connu la guerre et qui n’a connu qu’un Vietnam plutôt prospère et dynamique économiquement.

Et un tourisme culinaire de découverte ?

Oui, les Vietnamiens sont aussi curieux que les Français pour la cuisine, ils mangent de tout : des huîtres, des grenouilles, des escargots comme nous, mais aussi des serpents, des chiens et même des chats. La gastronomie vietnamienne est réputée, d’une grande diversité. Se réunir en famille pour faire des festins constitue un grand plaisir lors d’une mobilité touristique familiale. Goûter des spécialités régionales lors d’un voyage, en ramener, comme le Nước mắm de Phú Quốc, ou les petites pommes (táo mèo) de Sa Pa sont des pratiques touristiques très vivaces, surtout qu’en ville, les citadins se méfient de plus en plus de la qualité de leur alimentation et sont à la recherche de produits sains.

Quelle imbrication du tourisme étranger et domestique ? Dans les mêmes lieux ou séparés comme on peut le voir à Cuba ?

Ce n’est pas comme à Cuba sous forme d’enclaves avec des lieux réservés aux étrangers. Les techniques d’évitement sont plus subtiles. On le voit bien dans les guides internationaux comme le Lonely Planet qui déconseillent clairement certains endroits où le tourisme domestique est dominant.

Il y a aussi la question de la plage : la peau blanche est très valorisée au Vietnam, et les Vietnamiens bronzent peu même si cela tend à changer. Donc on va à la plage mais sous parasols ou même sous un toit ou une halle, et donc les pratiques de plage sont différentes de celles des étrangers. Les femmes sont aussi plus habillées. Il n’y a pas d’interdiction mais des évitements, car dans ce type de dispositif spatial, se faire bronzer en bikini directement sur la plage peut-être gênant. Ces modes de cohabitation disjonctifs peuvent aller jusqu’au conflit, par exemple concernant la protection de la nature. Dans les sites Unesco, les pratiques domestiques et étrangères sont par contre plutôt proches, du fait de l’encadrement des pratiques.

Compte-rendu réalisé par Jean-Benoît Bouron, revu et amendé par Emmanuelle Peyvel.