Beaucoup rêvent d’îles… forcément lointaines, tropicales aux essences parfumées ou océaniques battues par les tempêtes. L’île est le lieu du retrait du monde, de l’Utopie (« île » et « isolement » ont la même étymologie latine : insulatus). Pourtant la Seine, si familière, nous offre l’exploration de territoires divers, sauvages ou saturés d’histoire (117 îles qui s’égrènent de Conflans Sainte Honorine à Rouen).
L’exposition de l’Arsenal a pour objectif de faire découvrir à un public très large l’existence de ces îles qu’on traverse en oubliant leur insularité (l’île de la Cité) ou auxquelles on ne jette qu’un regard distrait du tram ou de la route. En complément de la visite, plusieurs activités ludiques sont proposées aux enfants (le thème de l’île au trésor est toujours attractif). Les adultes sont aussi invités à prolonger leur parcours par des balades sur le terrain. Sur un mur, 30 îles sont identifiées par une photo et une fiche détachable, informant de leur localisation, de leur taille, des moyens d’accès et des événements et lieux remarquables. Pour chaque île choisie, un texte et quelques photos (cartes postales anciennes, gravures, tableaux ou photos récentes). Quelques petits films tirés des archives de l’INA expriment les joies ou les déceptions des résidents et des promeneurs des décennies passées face aux transformations de « leur » île.
Le caractère original de chaque île tient à plusieurs facteurs, souvent historiques, mais aussi géographiques, écologiques, sociologiques, économiques. Le mythe y a aussi sa place, comme à l’île de Villennes dans les Yvelines où un trésor viking – pas encore trouvé – expliquerait son surnom d’ « Ile des Milliardaires ».
En naviguant d’amont en aval, nous pourrions aborder quelques îles au gré de notre curiosité.
La moins hospitalière est l’Ile Saint-Etienne au centre de Melun, occupée par un centre pénitentiaire depuis le début du XIXème siècle. Napoléon décide, en 1803, de faire d’un ancien Hôtel-Dieu tenu par des religieuses une prison pour femmes, prison-modèle devant servir d’exemple à tout le pays. Reconstruite et agrandie sous le II Empire et au début de la IIIème République, elle sert de Maison Centrale jusqu’en 1977 où elle devient un centre de détention pour détenus en courte peine ou en fin de détention.
Depuis le rattachement de l’île Louviers à la rive droite au milieu du XIXème siècle, deux iles occupent le cœur de Paris, lieux de prédilection des Parisiens comme des touristes, l’Ile Saint-Louis et l’Ile de la Cité.
Malgré leur proximité (elles sont reliées par le court pont Saint-Louis), peu de ressemblance entre les deux îles. La première, sans trace archéologique, n’est l’objet d’un premier projet d’urbanisation que sous Henri IV et Marie de Médicis. On y prévoit alors un lotissement au plan régulier et la construction de moulins à eau. Mais ce sont les beaux hôtels édifiés au XVII ème siècle, notamment par Louis Le Vau (par exemple l’hôtel Saint-Lambert), qui lui donnent son aspect actuel très homogène.
La seconde a une histoire plus mouvementée et les transformations qu’Haussmann lui fit subir suscitent encore beaucoup de controverses. Pour retrouver le quai du port de Lutèce, les thermes gallo-romains et les restes de maisons médiévales, il faut visiter la crypte archéologique. Le célèbre baron a fait disparaitre le tracé médiéval et raser maisons, échoppes et petites églises qui servaient de cadre à une vie populaire très animée. La rénovation urbaine se structura autour de trois îlots, le Tribunal de commerce, la caserne et l’Hôtel-Dieu reconstruit après un incendie. Scandale pour André Castelot qui, dans une vidéo des années 60, condamne cette réalisation destructrice d’un quartier vivant et varié au profit d’une cité administrative froide et laide. Il n’y réside plus qu’un millier d’habitants, mais les 14 millions de visiteurs annuels à Notre-Dame renforcent son aspect muséal.
Moins attractive par sa rectitude (890 m de long en ligne droite), l’Ile aux cygnes, entre les XVème et XVIème arrondissements, n’était à l’origine (1825) qu’une digue artificielle servant à la navigation des barges accostant au port de Grenelle. Mais il est amusant d’imaginer ce qu’elle aurait pu être si le projet utopique d’A Lurçat de 1932 avait été réalisé : un aérodrome à double piste au cœur de Paris.
Pendant longtemps beaucoup d’îles en aval de Paris ont été consacrées aux loisirs, populaires avec leurs nombreuses guinguettes ou plus bourgeois avec leurs maisons de villégiature. Elles ont aussi séduit les artistes amateurs d’une « Nature » si proche de la grande ville. D’autres, dès le début du XXème siècle, ont accueilli des métiers utilisant l’eau de la Seine. Lieux de rénovation discrète ou majeure, certaines d’entre elles sont aujourd’hui l’objet de polémiques aussi vives que celles portant jadis sur les travaux d’Haussmann.
Pour aller danser sous les tonnelles, faire la sieste sous les ombrages ou canoter, on pouvait se rendre à l’Ile Saint Germain sur la commune d’Issy-les-Moulineaux ou à l’Ile de Chatou fréquentée par Renoir, Caillebotte et Maupassant. Aujourd’hui l’Ile de Chatou est devenue l’Ile des Impressionnistes. Une immense « Tour aux figures » de Dubuffet domine l’Ile Saint-Germain où les modestes jardins ouvriers cultivés sur une terre apportée sac par sac du « continent » sont devenus des « jardins familiaux », côtoyant des maisons d’architecte conçues par P Starck ou J Nouvel.
Plus qu’une forme de loisirs, le naturisme se présente comme un idéal de vie : «mens sana in corpore sano ». Quel lieu pourrait être plus propice à l’épanouissement des corps et des esprits qu’une île accessible seulement par bateau ? C’est ainsi qu’en 1928 G et A Durville décident de créer un village de toile aux équipements très modestes (ni eau courante, ni électricité) où hommes, femmes et enfants pourraient se livrer à des activités sportives, le corps -presque- nu bénéficiant de l’air et du soleil. Ces deux médecins hygiénistes trouvèrent le site adéquat dans l’Ile du Platais à Villennes entre Médan et Triel. Miné par le désir de confort et l’attractivité de climats plus chauds, Physiopolis tomba en désuétude dans les années 70.
Les îles peuvent être aussi des lieux de résidence permanente. C’est le cas de l’Ile de Migneaux à Poissy où des villas cossues ont été construites au début du XXème siècle dans des styles éclectiques ou pittoresques. D’abord maisons de villégiature, elles sont devenues après la Grande Guerre des résidences principales malgré la menace des inondations.
Mais insularité ne rime pas obligatoirement avec charme. Un reportage de Cinq colonnes à la une montre la transformation d’un cimetière de vieilles péniches pourrissantes en bidonville dans l’Ile du Devant à Conflans. Au début des années 60 de pauvres familles y vivent sans eau courante et au milieu des rats, séparés de la berge par un bras mort de la Seine, le Bras Favé. Interviewées, des mères de famille relogées dans un HLM voisin disent pourtant leur regret d’un milieu de vie solidaire et chaleureux. Il ne reste plus trace aujourd’hui de cette misère. Le Bras Favé a été asséché et est envahi par la végétation.
Beaucoup d’îles restent sauvages (la moitié sont inhabitées) et sont classées monuments naturels. Toutes ont une personnalité particulière et c’est un des principaux mérites de cette exposition que de donner envie de s’y promener.
Parmi les îles à découvrir, certaines ont été vouées à l’industrie. C’est à la plus connue d’entre elles que les Cafés géo réservent leur première sortie de rentrée, l’Ile Seguin.