La crise sanitaire du coronavirus n’en finit pas de bousculer nos manières de vivre, nos habitudes et nos croyances. Alors que débute en France le deuxième confinement, dans un entretien au Figaro paru le 3 novembre 2020, l’écrivain-géographe Sylvain Tesson nous propose sa vision des frontières, celles des territoires comme celles de l’intime :
« Depuis la chute de l’URSS, au fur et à mesure que les frontières des nations disparaissaient, les libertés coutumières se sont rétrécies. Or ce sont les libertés de détail qui font le charme de l’existence, pas uniquement les intentions abstraites. (…)
Les administrations politiques, ne protégeant plus leurs nations, se sont attachées à nous protéger de nous-mêmes. Traduction physique : abolition des frontières territoriales, mais digicodes partout. Fin des patrouilles aux marches du pays, mais vigiles à l’entrée des épiceries et soldats déployés devant les églises. Levée des barrières aux limites du territoire, mais barricade de granit autour de la Préfecture de police de Paris. On trouve affreux que Victor Orban grillage sa frontière, mais on trouve normal de passer sous des portiques de contrôle pour entrer au musée. C’est la transposition dans la sphère privée de la limitation politique qui a été abolie dans l’espace public. L’idéologie a levé les barrières, la réalité les a replacées là où elle le pouvait : dans le domestique, l’intérieur, le familier. Ouverture du global, quadrillage de l’intime ! Les thuriféraires de la planète sympa avaient des intentions nobles. (…) Mais ils ont négligé une double permanence : « Qui se ressemble s’assemble » et « Le plus énergique s’accapare le terrain. » Nous nous sommes laissés enfermer dans l’esprit d’ouverture. »
Sylvain Tesson, extrait de l’entretien accordé au Figaro du mardi 3 novembre 2020.
Le journaliste du Figaro qui a réalisé l’entretien avec Sylvain Tesson résume ainsi la pensée de l’écrivain : « Nous, les citoyens exigeants, aspirons en même temps à vivre libres et à être maternés. » Il souligne que l’écrivain « observe avec tristesse le « pictogramme coercitif » envahir l’espace public, la fermeture des librairies et le mimétisme dans le sauve-qui-peut de tous les gouvernants ». Et d’ajouter que Sylvain Tesson en rapprochant l’« ouverture du global » et le « quadrillage de l’intime » fait « le triste bilan de la « planète sympa » que nous promettait l’heureuse mondialisation. » (Entretien avec Sylvain Tesson, Le Figaro, 3 novembre 2020).
Loin de moi de vouloir critiquer ou même commenter ces propos, je vous les rapporte seulement pour exercer, si vous en avez le désir, une réflexion utile à l’entrée de la deuxième période de confinement qui s’avère bien plus compliquée dans son application que la première. Pour les étudiants qui préparent les concours d’enseignement d’histoire-géographie, la nouvelle question portant sur les frontières invite à questionner le renouvellement et la diversité des approches de ce sujet. Ils trouveront peut-être intéressant de lire et méditer les propos de Sylvain Tesson qui évoquent implicitement la mondialisation, le temps long et la conjoncture (à propos des migrations et des crises sanitaires), l’ouverture de certaines frontières et le durcissement d’autres frontières, le rôle du cyberespace, « les discours et représentations (médiatiques, littéraires, artistiques, etc.) que suscitent les frontières chez une pluralité d’acteurs (États, mais aussi organisations supranationales, organisations non gouvernementales, artistes, individus, etc.) ».
Pour les dernières lignes se reporter à la présentation de la question des frontières : https://media.devenirenseignant.gouv.fr/file/agregation_externe_21/84/1/p2021_agreg_ext_geographie_1274841.pdf
Daniel Oster, le 3 novembre 2020
PS : Comme tout texte paraissant sur le site des Cafés Géographiques, mon texte a été relu avant d’être publié. Avec l’accord de ma relectrice, je publie le petit commentaire de celle-ci :
« Sur le fond je trouve le texte de Tesson un peu facile. Certes, les gens aspirent à « être maternés », mais le musée, l’église, le supermarché sont des espaces publics et non privés. Et puis tout bon historien sait qu’il faut contextualiser. Le plan Vigipirate n’est pas né dans la tête d’un dictateur mais après une série d’attentats.
Les frontières les plus dangereuses sont celles qui sont dans les têtes incapables de comprendre nuances et complexité.
Michèle Vignaux, le 3 novembre 2020