Jodhpur est l’une des capitales princières du Rajputana, devenu Etat du Rajasthan (en sanskrit « terre des rois ») après l’indépendance de l’Union indienne. Situé au nord-ouest de l’Inde, cet Etat est grand comme les 3/4 de la France et rassemble environ 40 millions d’habitants, ce qui est peu pour l’Inde, mais s’explique par un climat semi désertique.

Situé sur les routes des grandes invasions et des caravanes, le Rajasthan a été rapidement peuplé de clans Rajput, d’origine aryenne. Ces clans, très tôt assimilés à des Ksatriyas (en sanskrit « caste des guerriers ») ont su, à travers les siècles, conserver une forte identité. Retranchés dans leurs forteresses, ils ont résisté aux invasions musulmanes. Plus tard ils se sont battus puis ralliés aux nouveaux maîtres du sous-continent : les Moghols puis les Britanniques.

Jodhpur, palais-forteresse

Le fort de Meherangarh (photo de Maryse Verfaillie, mars 2013)

Le fort de Meherangarh (photo de Maryse Verfaillie, mars 2013)

Le fort de Meherangarh (en sanskrit « fort en majesté »)  est l’un des plus imposants du pays. Il a été édifié en 1459 par le prince du Marwar, Rao Jodha (Jodhpur est la ville de Jodha). Le Marwar (en sanskrit « pays de la mort ») est aux mains d’un clan de guerriers Rajput depuis le XIIe siècle.

Ce nid d’aigle se dresse comme un mirage sur des collines dénudées. Ses puissantes murailles de grès rose sont bâties sur le flanc ouest des monts Aravalli, chaîne appalachienne de 700 km du nord au sud, qui culmine au sud à 1 700 mètres (Mont Abu). La chaîne est une ligne de dispersion des eaux : à l’ouest s’écoulent les cours d’eau du bassin de l’Indus, à l’est ceux qui alimentent le Gange.

Les monts Aravalli sont suffisamment hauts pour arrêter les pluies de la mousson et transformer le flanc ouest en steppe semi-désertique. A Jodhpur ne poussent que de maigres buissons d’épineux. En lisière de la ville commence le désert de Thar, partagé en 1947 entre l’Inde et le Pakistan.

En revanche les monts Aravalli ne sont pas un obstacle aux communications. La forteresse de Meherangarh, gardienne du passage a profité du passage des caravanes qui reliaient le plateau iranien au monde indo-gangétique et qui convoyaient des épices, des tissus de soie ou de coton et de l’opium. A cette route ouest-est, s’est ajoutée ultérieurement une route nord-sud reliant Delhi aux ports du Gujarat ouverts sur la mer d’Oman. L’importance de la forteresse s’explique donc par la possession  d’un carrefour, lieu d’échange de produits de grande valeur

Les princes de Jodhpur, guerriers sans peur et sans reproche, ont fourni des contingents armés au Moghols puis aux Britanniques jusqu’en 1917. Les cavaliers de l’armée britannique des Indes ont même adopté le pantalon de cheval des lanciers de Jodhpur : ample sur les cuisses puis moulant sur la jambe, il évite le port de bottes. Ces leggins s’appellent depuis jodhpurs !

Les palais du maharaja

On remarque ces palais au-dessus de la forteresse. Ce sont des édifices de style hindo- musulman à plusieurs étages, organisés autour de cours fermées. Les murs extérieurs sont ciselés dans le même grès rose que la citadelle. Les pavillons intérieurs utilisent souvent le marbre blanc. Les murs sont couverts de fresques qui illustrent les grandes épopées indiennes du Ramayana et du Mahabharata. Ces palais des Mille et Une Nuits font aujourd’hui rêver des milliers de touristes !

Les souverains ont mené une vie féodale jusqu’au XIXe siècle et ont patronné les arts : poésie, architecture, musique, peinture. L’art de la miniature, venu de Perse, se développe au Marwar dès le XVIe siècle, puis connaît une deuxième apogée sous le règne de Man Singh (1803-1843. Aujourd’hui encore, l’école de miniature de Jodhpur est célèbre dans tout le pays. La tradition se perpétue de père en fils, pour une clientèle aussi bien locale que touristique.

Maharaja d’un jour, maharaja toujours ?

Les princes d’antan sont aujourd’hui encore propriétaires de leur palais forteresse. Ils y résident toujours, même s’ils en ont cédé une partie aux touristes : hôtels de luxe et musées assurant des revenus. Dans la plus grande démocratie du monde, ils sont devenus gouverneurs ou députés. Leur prestige et leur pouvoir politique demeurent.

Jodhpur ville bleue, cité vivante de 700 000 âmes

Jodhpur, la ville bleue (photo de Maryse Verfaillie, mars 2013)

Jodhpur, la ville bleue (photo de Maryse Verfaillie, mars 2013)

Au pied du fort silencieux, cuit par le soleil, mais toujours propriété privée du maharaja, qui y a créé un musée et un hôtel de luxe, s’étend la ville basse, ses services et ses marchands.

Les maisons ressemblent à des cubes de un ou deux étages, en dur, en bois ou en pisé. Comme toutes les maisons des lieux semi-désertiques, elles ont des toits en terrasse et s’ouvrent sur des cours fermées où subsistent quelques arbres.

Beaucoup de ces maisons sont chaulées au bleu indigo. Un bleu qui intrigue et suscite bien des interrogations.

L’indigo est une plante tinctoriale arbustive (le nom signifie « qui vient de l’Inde »). Longtemps, elle a fait la fortune de l’Inde et elle a progressivement supplanté, en Occident, la culture du pastel à partir du XVIe siècle. Les Anglais ont voulu étendre la culture de l’indigo au XIXe siècle) mais, cette culture spéculative prenant la place des cultures vivrières, une famine a provoqué « la révolte de l’indigo » au Bengale en 1859.

Le choix récent de ce bleu indigo à Jodhpur est-il une réminiscence de ce passé colonial ? Les esprits les plus prosaïques estiment que ce bleu est d’abord une couleur rafraîchissante et qui éloigne les insectes. Les esprits les plus religieux affirment que le bleu est la couleur des dévots hindous, souvent brahmanes, qui veulent ainsi attirer la protection divine ou témoigner de leur piété.

Sardar Bazar

Sardar Bazar (photo de Maryse Verfaillie, mars 2013)

Sardar Bazar (photo de Maryse Verfaillie, mars 2013)

La ville basse et bleue est aussi ceinte de murailles. A ses portes prolifèrent marchés et marchands, dans un fouillis sympathique et bruyant où ne circulent que des vélos, des motos, des rickshaws, des tuc-tuc (tricycles à moteur). Les saris multicolores des femmes ont des couleurs aujourd’hui synthétiques. Mais elles savent encore que le bleu symbolise les sentiments purs, que le rouge est synonyme de joie et de fête (d’ailleurs les femmes se marient encore en rouge). Le blanc représente le deuil ou la paix. Le jaune est associé à la connaissance, le safran est la couleur sacrée de l’hindouisme et incarne le chemin du Nirvana. Le noir est interdit dans la plupart des castes. Les artisans de Jodhpur travaillent depuis toujours la laine et le coton ainsi que les cuirs (les souliers de la ville sont célèbres). Ils produisent aussi bijoux et miniatures.

L’histoire de ces marchands est aussi prodigieuse que celles des maharajas.

Les Marwaris, enrichis par le commerce des caravanes terrestres jusqu’au XIXe siècle, se sont bâtis des demeures fastueuses, les havelis. Lorsque l’empire Britannique ajouta des voies maritimes au commerce terrestre, les Marwaris ont émigré vers les ports du Gujarat ou vers Delhi. Leur remarquable cohésion a assuré leur réussite et ils gardent à ce jour une place importante dans le commerce de détail de l’Inde du Nord. Jaïns ou hindouistes, ils ont donné naissance à de grandes familles industrielles : Birla, Goenka, Bajaj, Poddar, Modi, etc.

Enfin, ces marchands se sont reconvertis dans le tourisme. Chaque année, 3 millions de touristes  viennent au Rajasthan admirer le patrimoine culturel, se reposer dans les hôtels de luxe (avec piscine) installés dans les palais des maharajas ou dans les hôtels de charme situés dans les havelis des marchands. Ils viennent aussi profiter d’un soleil généreux puisque Jodhpur est considérée comme la ville la plus ensoleillée de l’Inde.

Qui dit soleil généreux dit aussi manque d’eau !

Porteuse d’eau dans l’Inde éternelle

Une porteuse d’eau près de Jodhpur (photo de Maryse Verfaillie, mars 2013)

Une porteuse d’eau près de Jodhpur (photo de Maryse Verfaillie, mars 2013)

Cette paysanne, surprise au sortir de Jodhpur, en ce mois de mars 2013 est véritablement intemporelle. Elle est vêtue du costume traditionnel du Rajasthan : une jupe longue froncée à la taille, un boléro court couvrant poitrine et épaules, un voile qui enveloppe les épaules et couvre la tête, si un étranger s’approche, et dont un pan est maintenu dans la ceinture de la jupe. A ses bras, des bracelets multicolores, incrustés de brillants (petits miroirs et strass). Sur la tête, elle vient de poser ses cruches d’eau, l’une en terre vernissée, issue de la poterie locale et l’autre en laiton étincelant. Aucun échange n’est possible et malgré le chatoiement des couleurs, le silence est pesant.

La population rurale du Rajasthan (3/4 des habitants) continue de mener une vie précaire conditionnée par la mousson. Aller chercher de l’eau reste l’une des tâches primordiales des femmes.

Au Rajasthan, pays de tradition et pays pauvre subsiste le sati, pourtant légalement interdit depuis des décennies. Il désigne le sacrifice accompli par la veuve qui s’immole sur le bûcher funéraire de son époux. Des mains de femmes, paumes levées, témoignent, dans le fort de Meherangarh de cette coutume. Les quotidiens locaux rapportent que cette pratique n’appartient pas encore véritablement au passé et que des femmes sont contraintes de s’immoler à la mort de leur mari.

 

MaryseVerfaillie