Le massif des Huangshan (montagnes jaunes) se situe au sud de la province de l’Anhui, en Chine, à l’ouest et à environ 480 km de la métropole de Shanghai.

Célèbres pour leurs pics étranges, leurs pins tortueux et leur mer de nuage, ces montagnes ont depuis fort longtemps attiré les voyageurs les plus illustres et les peintres les plus renommés.

Aujourd’hui, le Parc des Huangshan est envahi par des nuées de touristes… et ce n’est qu’un début !

Le téléphérique à l’assaut des Huangshan (cliché de Maryse Verfaillie)

Le téléphérique à l’assaut des Huangshan (cliché de Maryse Verfaillie)

Des montagnes vénérées et idéalisées

La chaîne des Huangshan, longue de 257 km, se compose de 72 sommets dont le plus élevé (1864 mètres) porte le nom suave de Pic de la Fleur de Lotus (Lianhua Feng).

Le site n’a reçu cette appellation de Montagne jaune qu’après la visite en 747 de Shi Huangdi, l’Empereur jaune. Il en avait gravi les pentes escarpées pour y cueillir les simples nécessaires à la fabrication de l’élixir d’immortalité. Il est considéré comme le créateur de la médecine et de l’acupuncture chinoises.

Les maîtres taoïstes et les moines adeptes du bouddhisme chan (zen) vinrent aussi y trouver refuge et s’y adonnèrent à la contemplation et à la méditation.

Depuis la dynastie des Tang (618-907), peintres et poètes, géographes et moines ermites ont aussi célébré ces étranges lieux.

Le géographe Xu Xiake (1586-1641) visita deux fois les Huangshan et il fit cette réflexion : « Qui a vu les Cinq montagnes sacrées n’a nulle envie de connaître d’autres cimes ; mais qui a vu les Huangshan, n’éprouve plus aucun plaisir à regarder les Montagnes sacrées ».

Citons à présent le géographe Pierre Gentelle, grand spécialiste de la Chine contemporaine :

« Les Huangshan sont l’essence même du rapport des Chinois avec la nature (shanshui). Shan, la montagne, est le yang, pétrifié en abrupts taillés à coups de hache. Shui, l’eau, est le yin, « brumisé » en nuages échevelés et rapides, sublimé en mers cotonneuses d’où jaillissent les cimes, liquéfié en myriades de cascades bruissantes. Les beautés atmosphériques des montagnes Jaunes rendent évidente la quête des peintres de paysage de Chine. 

Pour shan, la montagne, tous les jeux de l’encre (de Chine évidemment) sont mis en œuvre, non pour tracer une silhouette, mais pour matérialiser un relief avec ses saillies claires et ses replis sombres. Pour illustrer shui, l’eau, la soie ou les papiers sont laissés vierges (en réserve). Il faut donner l’illusion d’une clarté qui illumine les montagnes, les rendant tour à tour proches ou lointaines. Alors, de l’alchimie du support et de l’encre naît un rythme, un souffle, le qi, qui anime la montagne ».

Rouleau peint représentant les Huangshan (cliché de Maryse Verfaillie)

Rouleau peint représentant les Huangshan (cliché de Maryse Verfaillie)

Les montagnes et le rapport des Chinois à la nature

La nature est l’élément central et vital de toute conception chinoise, elle inspire autant la création artistique que la réflexion, l’éducation, et surtout l’humilité face au berceau de notre existence. L’arrivée du bouddhisme à partir du 1er siècle de notre ère lui insuffle une dimension empreinte de spiritualité, l’élément naturel devient support de méditation. Mais sa plus noble expression apparaît réellement dans la peinture de paysage des fonctionnaires lettrés sous les dynasties des Song (960-1279) et des Yuan (1279-1368). Sa représentation, comme thème principal transcende les délicats rouleaux de soie et de papier, elle devient symbole de liberté. La calligraphie et la poésie accompagnent l’œuvre peinte. C’est l’avènement du « style shanshui » qui évoque montagne et eau. Ainsi, dans l’harmonie du souffle créateur, la peinture de paysage éveille les esprits des artistes autant que celui des hôtes des cimes.

Un pic granitique caractéristique des Huangshan (cliché de Maryse Verfaillie)

Un pic granitique caractéristique des Huangshan (cliché de Maryse Verfaillie)

Une sortie en montagne, selon la tradition des lettrés, se déroule en trois temps. L’ascension explore l’inconnu, qui dévoile les pics, découvre les ravins derrière les rochers, célèbre la source au détour d’un chemin, voit prendre naissance l’anneau forestier dont se pare plus haut la pente.

Au sommet, la vision verticale du paysage bascule. Les infinies variations de la nature sont comme étalées sur une feuille de papier. Le rapport au monde devient solitaire, car l’autre est minuscule, quand il est aperçu dans une trouée de nuages.

Forte de l’expérience acquise pendant la montée, la descente revisite les pentes sans appréhension. Ravins, rochers, pins, modèlent toujours les escarpements, mais ils sont devenus familiers. Le paysage est apprivoisé. Les touristes peuvent arriver !

Les Huangshan, un haut lieu du tourisme à la mode chinoise

Le dirigeant communiste Deng Xiaoping (1904-1997) a suivi les traces de l’Empereur jaune et il a gravi à son tour, en 1979, les Montagnes jaunes. C’est à son instigation que fut aménagé un Parc des Huangshan. Ce Parc reprend bon nombre des caractéristiques des grands parcs des Etats-Unis. Les touristes peuvent arriver, ils sont attendus de pied ferme !

Une destination privilégiée du tourisme chinois (cliché de Maryse Verfaillie)

Une destination privilégiée du tourisme chinois (cliché de Maryse Verfaillie)

Un tout nouveau téléphérique couvre en moins de 30 minutes 700 mètres de dénivelé sur 7,5 km. Il permet à des millions de touristes (surtout Chinois jusqu’à aujourd’hui) de contempler à leur tour ces montagnes célestes. Ils sont jusqu’à 10 000 par jour, pendant les vacances !

Cette région, ignorée jusque là du grand public, essaie d’en profiter au maximum. La route qui mène au téléphérique est bien entretenue, les hôtels et restaurants ont proliféré, en bas dans la plaine (à Tunxi, la capitale régionale) et aussi sur les cimes.

Complexe hôtelier (cliché de Maryse Verfaillie)

Complexe hôtelier (cliché de Maryse Verfaillie)

Portefaix (cliché de Maryse Verfaillie)

Portefaix (cliché de Maryse Verfaillie)

Chaises à porteurs (cliché de Maryse Verfaillie)

Chaises à porteurs (cliché de Maryse Verfaillie)

Une armée de portefaix ravitaille les hôtels du sommet, et des chaises à porteur sont mises à la disposition des voyageurs les moins valeureux qui n’arrivent pas à « avaler » les milliers de marches du parc. Il existe plus de 23 000 marches, on peut se contenter de n’en faire que 4 000 !

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Les marches (cliché de Maryse Verfaillie)

Les marches (cliché de Maryse Verfaillie)

Tous les sentiers sont dallés de belle pierre, ils sont fléchés en chinois et en anglais. Il est dit que le réseau de dalles initial est dû à Pan Zihen, qui vécut sous la dynastie des Ming !

Tout est mis en œuvre pour que les touristes restent au moins une nuit, et puissent admirer le site au coucher puis au lever du soleil.

La mer des nuages célestes, depuis le Pic de la clarté (cliché de Maryse Verfaillie)

La mer des nuages célestes, depuis le Pic de la clarté (cliché de Maryse Verfaillie)

Lever du soleil depuis la Terrasse rafraîchissante sur le flanc du Pic du Lion (cliché de Maryse Verfaillie)

Lever du soleil depuis la Terrasse rafraîchissante sur le flanc du Pic du Lion (cliché de Maryse Verfaillie)

Les vallées qui mènent au Huangshan ne sont pas dépourvues de charme.

La végétation s’étage sur les pentes. Aux pins noueux succèdent les plantations de thé puis celles de chrysanthèmes.

Vallée du Huangshan, du thé et des chrysanthèmes (cliché de Maryse Verfaillie)

Vallée du Huangshan, du thé et des chrysanthèmes (cliché de Maryse Verfaillie)

Le thé est présent depuis des temps immémoriaux sur les collines de cette province de l’Anhui. Ici il se consomme surtout vert et mélangé à des fleurs de chrysanthème séchées. Elles sont en pleine floraison en ce mois de novembre et encore cueillies à la main par une armée de jeunes femmes.

Cueilleurs de fleurs de chrysanthème (cliché de Maryse Verfaillie)

Cueilleurs de fleurs de chrysanthème (cliché de Maryse Verfaillie)

La Chine est encore très riche en hommes, elle doit leur fournir un travail et des ressources. Certes la Chine s’est éveillée, mais la Chine ancestrale n’a pas encore disparu. Les Chinois sont pris dans un télescopage culturel de grande ampleur qui laisse bon ombre d’entre eux sur le bord du chemin. Mais pour les Chinois installés sur les rails de la modernité, le tourisme devient une activité comme une autre, à son tour génératrice de richesses et d’inégalités.

Maryse Verfaillie, novembre 2014