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En ce 7 mars 2015  à l’Odéon-Théâtre de l’Europe a lieu la quatrième rencontre/lecture d’une série de cinq consacrée au thème de l’Europe inspirée. La rencontre est animée par Martine Méheut, présidente de « Citoyennes pour l’Europe », en présence de Nathalie Loiseau, directrice de l’Ecole Nationale d’Administration.

Martine Méheut introduit la séance :
« Pourquoi y a-t-il en Europe, au long des siècles, des femmes qui osent penser, écrire et dire jusqu’à l’engagement politique ce qui les scandalise et ce qu’elles espèrent ? Leur statut enviable en Europe n’a-t-il été  imposé que par leurs luttes et leurs victoires ? Ne faut-il pas plutôt reconnaître que la civilisation européenne est un espace propice au courage de la femme audacieuse ? »

Quatre textes seront lus au cours de cette séance : le « No pasaran ! » de Dolores Ibarruri, un extrait de « Une chambre à soi » de Virginia Woolf, un extrait de « Eloge de l’imperfection » de Rita Levi-Montalcini et un  extrait de « l’Enracinement » de Simone Weil.

Une condition enviable et très enviée  pour les femmes européennes. Comment l’expliquer ?

Encore faut-il préciser que ce statut n’a pas toujours été et qu’il n’est pas partagé par toutes les européennes.

Sans doute faut-il aller chercher vers l’anthropologie  européenne, vers  la Grèce ancienne, vers Aristote l’invention de la démocratie, l’invention de la citoyenneté. C’est l’Europe qui invente l’Ecole,  ce qui assied l’idée que l’Homme est  perfectible, que l’Homme se construit lui-même. On retrouve dans la Charte des Droits européens  la dimension de dignité, la valeur sacrée de chaque personne et derrière cela la notion de « personne ». On reconnaît  les notions de liberté, de dignité, de liberté, de solidarité, de citoyenneté,

Femmes  et engagement politique en Europe 

Texte n°1 : « No pasaran ! » de Dolores Ibarruri du 19 Juillet 1936. Lecture en espagnol par Maria Pilar De Lusignan et en français par Claire Sermonne.

Ce texte a été prononcé du balcon du ministère de l’intérieur à Madrid et révèle courage et  audace. Il est devenu le symbole de l’antifascisme et du républicanisme.

Nathalie Loiseau : Ce texte est le symbole de la capacité des  femmes en Europe à participer pleinement à la lutte mais il est aussi le symbole d’un échec.

Les progrès  pour la cause des femmes, pour la défense de la liberté n’ont jamais été linéaires en Europe. Il faut penser à nombre de destins tragiques comme celui d’Olympe de Gouges qui a mené un combat pour la citoyenneté. Elle  réclamait  pour les femmes  le droit de monter à la tribune puisqu’elles  avaient le droit de monter à l’échafaud.

La Révolution française avait commencé avec des hommes et des femmes (présence des femmes dans les troupes révolutionnaires). Puis celles-ci ont été chassées par  la Convention qui a pensé que les femmes détournaient les hommes de la mission pour laquelle ils avaient été appelés.

On peut pensera aussi à Rosa Luxembourg ou à Louise Michel. Toutes sont emblématiques des poussées de liberté de l’Europe  de ces va-et-vient, de ces succès bien peu linéaires.

La guerre est un bon vecteur pour les femmes : on peut penser aux conséquences positives de leur engagement dans la Résistance. En 1945, l’ENA est ouverte aux femmes.

Il y a eu aussi des mouvements de recul phénoménaux : au cours de  la période de l’occupation le gouvernement de Vichy  a réussi à ramener les femmes à la maison, à renforcer leur rôle domestique  et à favoriser la natalité.

Les années 1960 sont une période d’énorme recul. Les femmes travaillent alors moins qu’en 1900.Les années 1950 avaient établi le modèle de la mère au foyer. Il faudra attendre les années 1970 pour constater une évolution.

La femme européenne, une femme indépendante ?

Texte n°2 : Extrait de « Une chambre à soi » de Virginia Woolf Octobre 1928. Lecture en anglais par  Sally Godwin et  en français par Claire Sermonne.
Ici se pose la question de la relation femme / création. Impossible de répondre à la question pense Virginia Woolf tant que la femme n’a pas à sa disposition une  chambre et de l’argent.

Virginia Woolf voit  en chaque femme « une sœur de Shakespeare ».

Nathalie Loiseau : La plupart des créatrices européennes avaient les conditions matérielles de leur indépendance et elles n’étaient pas forcément représentatives de la condition des femmes européennes en général. Elles étaient  de grandes privilégiées, de grandes originales ou les deux à la fois.

Aujourd’hui c’est « avoir le temps » qui est le privilège, le temps de s’adonner à un hobby,  si ce n’est à une passion. Avoir un peu de «  temps qui ne serait pas aux autres ». Il faut lutter contre l’image d ‘une femme qui est perçue comme porteuse d’altruisme, vecteur de solidarité.

C’est bien le modèle social européen  qui  permet  le projet individuel aux femmes. C’est acquis infiniment plus qu’on le croit et c’est un Trésor. Il suffit de sortir de l’Europe pour le comprendre.

La femme européenne ou oser l’aventure

Texte n°3 : Extrait de « Eloge de l’imperfection » tiré du chapitre «  Un laboratoire à Robinson Crusoé » de Rita Levi-Montalcini. Lecture en italien par  Valentina Zajackowski et en français par  Claire Sermonne.

Qu’est-ce qui permet à Rita Levi-Montalcini de devenir prix Nobel de médecine en 1986 ? Martine Méheut évoque  l’Ulysse dantesque. Il s’agit d’explorer le  domaine aventureux.

Nathalie Loiseau : Rita Levi-Montalcini n’est pas dans une projection d’elle-même classique. Elle a un mentor.  Son moteur est la curiosité, la passion. On dit souvent qu’il faut aux femmes un marrainage, ce qui est terriblement réducteur. Ce ne serait  pas  comprendre la vision européenne  qui facilite les rapports hommes /femmes. .En Europe, la culture est passée par la philosophie, par la notion de citoyenneté, donc  par la reconnaissance de l’individu. Dans le jeu amoureux, les femmes européennes sont à égalité. Sur les autres continents, très souvent, il y a une lecture très impérieuse de la religion. En Europe, la religion relève beaucoup plus du domaine de l’intime.

Ce qui compte, c’est être entouré d’êtres de passion et un « être de passion » n’est ni forcément un homme, ni forcément une femme.

La mixité des métiers n’a jamais été aussi faible qu’aujourd’hui. Au Bac S, 40 % de filles ; à l’Ecole Polytechnique, seulement 15% de filles. Aux hommes on accorde la technique et aux femmes on réserve  le « care ».

L’école devrait être un acteur clé, elle devrait avoir un projet pour les filles. Le milieu environnant, en particulier la famille, est  déterminant et souvent les filles ne veulent pas, ne peuvent pas  risquer l’échec.

La femme européenne ou oser  le risque

Texte n°4 : Extrait de « L’Enracinement » de Simone Weil. Lecture par Claire Sermonne.

Simone Weil pose la question du risque comme besoin essentiel.

Pour Martine Méheut  le principe de précaution est antinomique de l’Europe .Nous sommes dans une société qui supprime le risque. Chez Simone Weil, le risque est perçu comme stimulant. Qu’est ce qui fait qu’une femme va aller jusqu’au risque ?

Nathalie Loiseau : L’école prépare les futurs hommes à prendre des risques et les futures femmes à les éviter. On apprend en sortant de notre zone de confort  et il faudrait être encouragé à le faire comme quand on apprend à faire du vélo. Il faudrait aussi  davantage évoquer le plaisir qu’on aurait à le faire .Il faut pratiquer le risque calculé, la prudence  aristotélicienne.

En fin de séance, Martine Méheut  remercie Nathalie Loiseau qui a pris le risque de venir à l’Odéon et qui, visiblement, l’a fait avec plaisir.

Claudie Chantre, mars 2015