La célébration des 80 ans du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) constitue une belle occasion d’attirer l’attention d’un large public sur le travail discret mais efficace de la filiale éditoriale de cette institution française. CNRS Éditions constitue la vitrine de la recherche française qui s’apprête à publier, entre août et novembre, les premiers volumes d’une nouvelle collection (Les nouvelles voix de la recherche) dans laquelle des scientifiques de toutes disciplines proposent une synthèse claire et concise de leurs recherches. A titre d’exemple, signalons la parution dès le 29 août du livre de Jean Jouzel, Climats passés, climats futurs. Nul doute que cette centaine de pages du climatologue français rencontrera un succès mérité à l’heure où l’urgence des questions environnementales nécessite une diffusion à grande échelle du savoir scientifique pour étayer les positionnements citoyens.

 

 

Nous profitons de cette opportunité éditoriale pour rappeler qu’à côté des sciences « dures » les sciences humaines occupent une large place dans les publications de CNRS Éditions. Et au sein de ce vaste secteur la géographie n’est pas en reste. C’est une réalité qui mérite d’être divulguée, non seulement auprès des lecteurs soucieux de parfaire leur culture géographique (étudiants, enseignants…), mais aussi auprès d’un public plus large intéressé par le rôle de l’espace comme clé de compréhension du monde contemporain.

La revue Documentation photographique

 

Longtemps publiée par La Documentation française, cette revue bimestrielle traite des thèmes d’histoire et de géographie en rapport avec les programmes scolaires. Bien connue des enseignants, elle mérite également d’être lue par le grand public qui y trouvera des synthèses éclairantes sur des questions importantes relatives à notre condition d’homme ou de femme vivant sur la planète mondialisée qu’est devenue la Terre.

Depuis le 1er janvier 2019, CNRS éditions a pris le relais de La Documentation française qui, de son côté, a choisi de concentrer ses activités sur l’éclairage des politiques publiques actuelles. Mais pour les lecteurs fidèles de la revue, il n’y a pas de changement : même ligne éditoriale, même périodicité, même maquette, même prix ! L’identité propre et les valeurs de la revue sont conservées avec le même souci d’exigence (voir le site www.documentationphotographique.fr).

Le dernier numéro paru (Catherine Wihtol De Wenden, Un monde de migrants, dossier n°8129, juillet 2019) révèle les qualités habituelles de la revue à l’occasion de l’étude des grands enjeux des migrations contemporaines. Le plan du dossier n’épuise pas le sujet mais, grâce à des documents très pertinents, il met en lumière l’essentiel tout en insistant sur la diversité géographique, l’épaisseur historique nécessaire et… les fausses croyances !

 

 

Des ouvrages de référence

Le catalogue de CNRS Éditions comprend de belles surprises que nous avons déjà eu l’occasion de signaler. C’est ainsi qu’en 2016 nous avons mis en valeur la grande qualité du livre de Roger Brunet (Trésor du terroir. Les noms de lieux de la France, CNRS Éditions, 2016) qui, désormais, constitue à nos yeux l’ouvrage de référence sur les noms de lieux en France.

« Beaucoup en rêvaient, Roger Brunet l’a fait, et de quelle manière ! Un ouvrage remarquable qui abandonne la lecture traditionnelle des toponymes (noms de lieux) proposée par les linguistes pour partir cette fois-ci des lieux et non des langues. Avec Roger Brunet c’est le regard du géographe qui interroge « les pratiques topiques des groupes humains »[1]. Le livre sera à coup sûr un ouvrage de référence que les amateurs et même les professionnels de la géographie de la France ne manqueront pas d’utiliser, mais d’autres lecteurs savoureront avec gourmandise tel ou tel passage pour assouvir leur curiosité sur les liens que les hommes ont tissés avec leur environnement depuis des millénaires. L’analyse de quelque vingt-cinq mille noms ou familles de noms de lieux forme un voyage passionnant dans la toponymie française qui réussit à conjuguer les apports les plus récents de la recherche linguistique et les préoccupations du géographe soucieux de mettre en avant les exigences des sociétés humaines sur leurs territoires. » (Daniel Oster, Les Cafés Géographiques, 7 novembre 2016)

(https://cafe-geo.net/tresor-du-terroir-les-noms-de-lieux-de-la-france/).

 

La version « grand public » de très grandes thèses

Quel plaisir aussi de pouvoir lire des ouvrages passionnants issus des meilleures thèses de géographie, souvent célébrées par des prix. Parmi plusieurs titres, nous évoquerons deux livres dont la qualité de réflexion, à la lois rigoureuse et nuancée, n’entrave en aucune manière le plaisir de lecture. Tout d’abord, le remarquable travail d’Olivier Milhaud, Séparer et punir. Une géographie des prisons françaises, publié en 2017, qui a le mérite de montrer que les prisons constituent à l’évidence un objet géographique aux nombreuses facettes spatiales (« la prison est un espace qui punit par l’espace »), d’où l’importance des proximités (et surtout des distances), problématique géographique par excellence que les géographes ont pourtant appréhendée tardivement (depuis les années 2000 seulement). Une autre belle thèse a donné lieu à un livre passionnant, celui de Michaël Bruckert, La chair, les hommes et les dieux. La viande en Inde. Ce travail sur l’alimentation aborde bien sûr la connexion « technique » entre des producteurs et des consommateurs mais il n’oublie par de mettre en rapport les pratiques alimentaires avec la culture de l’Inde et, en particulier, avec l’hindouisme et le système des « castes ». Dans une critique de l’ouvrage parue dans Le Monde, le philosophe Bruno Latour ne s’y est pas trompé en mettant en valeur l’actualité du sujet (« nous sommes entrés dans une crise mondiale de la viande pour des raisons à la fois morales, écologiques, religieuses et, pour tout dire, politiques ») et la qualité de son traitement.

« C’est tout l’intérêt de cette enquête passionnante d’un jeune géographe, Michaël Bruckert, sur le « paysage carné » (meatspace) de l’Inde d’aujourd’hui et, plus précisément, de la ville de Chennai (l’ancienne Madras). Par une analyse méticuleuse qui va de l’emplacement des abattoirs à l’idéologie du BJP (le parti de la droite nationaliste hindoue, aujourd’hui au pouvoir), en passant par la philosophie des brahmanes, la texture des plats, les modes d’élevage des poulets et les enseignes des gargotes, nous apprenons comment devenir réflexif sur nos propres pratiques. » (Bruno Latour, Le Monde, 4 janvier 2018)

(https://www.lemonde.fr/livres/article/2018/01/04/qui-a-la-parole-crise-mondiale-de-la-viande/).

 

Des sujets d’actualité

La recherche française n’hésite pas à aborder des thèmes majeurs parfois d’une actualité brûlante. C’est ainsi que le géographe François-Michel Le Tourneau travaille depuis plusieurs années sur l’Amazonie brésilienne, ce qui l’a incité à publier un excellent livre étudiant sur le temps long le « poumon de la planète », soumis à l’heure actuelle aux décisions « climatosceptiques » du président brésilien Bolsonaro. Dans cet ouvrage, L’Amazonie. Histoire, géographie, environnement, CNRS Editions, 2019), F.-M. Le Tourneau s’attache à montrer que la vision occidentale de cette immense région relève d’un « malentendu » qu’il est urgent de lever. D’ores et déjà, retenez la date du mardi 17 décembre 2019 où l’auteur viendra au Café de Flore (Paris) pour un café géo portant sur les grands enjeux de l’Amazonie. La salle du premier étage du Flore n’étant pas immense, venez un peu en avance pour être certain d’assister à cette rencontre.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a déclenché la salve d’appels internationaux à sauver l’Amazonie en se disant, sur Twitter, « profondément préoccupé » par les incendies qui sévissent dans la plus vaste forêt tropicale du monde, dont 60 % se trouvent en territoire brésilien. « En pleine crise climatique mondiale, nous ne pouvons accepter davantage de dégâts sur une source majeure d’oxygène et de biodiversité. »

Peu après, Emmanuel Macron qui exprimait son inquiétude, également sur le réseau social, avec un message malencontreusement illustré d’une image prise par un photographe décédé en 2003, comme beaucoup d’autres tweets. « Notre maison brûle. Littéralement. L’Amazonie, le poumon de notre planète qui produit 20 % de notre oxygène, est en feu. C’est une crise internationale. Membres du G7, rendez-vous dans deux jours pour parler de cette urgence. »

(Incendies en Amazonie, Le Monde, 22 août 2019)

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/22/incendies-en-amazonie-bolsonaro-denonce-une-psychose-environnementale-le-chef-de-l-onu-se-dit-profondement-preoccupe

 

Des ouvrages inattendus

Dans la liste des livres de géographie publiés chez CNRS Éditions certains ouvrages apparaissent comme des gourmandises imprévues qui méritent une bonne fortune. Ainsi, l’ouvrage collectif dirigé par Paul Arnould, Les géographies de Tintin (CNRS Éditions, 2018), éclaire d’une façon originale les aventures du héros créé par Hergé. Parcourant les quatre coins de la planète, Tintin tisse de solides liens avec la Géographie. Il était temps que les géographes s’intéressent à ces relations, qu’elles illustrent la biogéographie, les transports, les îles…ou la géographie alimentaire et bien d’autres domaines. A titre d’exemple de la diversité des thèmes abordés, notons que les jurons et les insultes du capitaine Haddock sont étudiés dans un chapitre à la fois plaisant et érudit de géographie …injurieuse !

 

 

Pour les lecteurs attentifs aux clés de compréhension du monde contemporain mais peu au fait de la production éditoriale française, une bonne nouvelle : CNRS Éditions publie des livres de géographie de grande qualité et souvent passionnants ! Pour plus d’informations nous renvoyons à son site (https://www.cnrseditions.fr/).

Daniel Oster, août 2019