La Tour Jean sans Peur à Paris © Michèle Vignaux

 

Paris n’aime pas les tours. Elle adule son caractère haussmannien et se méfie de toute construction qui dépasse les six étages. Les tours du XIIIème arrondissement sont considérées comme médiocres et tout projet de tour nouvelle, même proche du périphérique, suscite les pétitions indignées des riverains et de tous « les amoureux de la capitale ».

Bien sûr il y a des exceptions. Il y a celle qui se hausse du col au milieu du Champ de Mars, exploit d’ingénieur et non œuvre d’architecte, aussi célèbre que les pyramides égyptiennes malgré son jeune âge (moins d’un siècle et demi). Il y a aussi la Tour Saint Jacques, ni très haute, ni très large, mais qui a su faire de la place autour d’elle. La tour Montparnasse n’a d’attrait que pour les clients du restaurant du dernier étage. On ne parlera pas des tours de La Défense… des banlieusardes.

Il existe pourtant, au cœur de Paris, une tour modeste, presque timide, un peu en retrait de la rue Etienne Marcel, cachant son architecture médiévale derrière une végétation touffue. C’est la Tour Jean sans Peur, ignorée du passant amateur de restaurants branchés et de boutiques de mode.

Construite sur le tracé de l’enceinte de Philippe-Auguste au début du XVème siècle, la tour est le seul vestige du palais des ducs de Bourgogne. Jean qui accéda à la régence du royaume après l’assassinat du duc d’Orléans, fit transformer le bâtiment par l’adjonction d’une tour, transformation de haute portée symbolique, alors que les autres hôtels nobiliaires étaient des constructions horizontales. Puissance et richesse d’une famille qui voulut dominer la monarchie fragilisée par la folie de Charles VI.

Ouvrage utilitaire qui permettait de desservir les bâtiments adjacents, la tour pouvait également servir à la défense, en ces temps troublés où Armagnacs et Bourguignons se combattent sur leurs terres mais aussi dans un Paris prompt à la révolte.

L’élément le plus remarquable est l’escalier à vis qui s’épanouit sous une magnifique voûte ogivale sculptée. Végétalisation de la voûte, mais végétalisation de pierre. Les nervures se transforment en faisceaux où se mêlent branches de chêne, houblon et rameaux d’aubépine. Souci de raffinement et expression de puissance. Chaque plante est une représentation métaphorique d’un membre de la famille de Bourgogne.

 

Voûte de l’escalier à vis © Michèle Vignaux

 

L’escalier dessert une « chambre » à chaque étage, une pièce dirait-on aujourd’hui car elle n’avait pas d’attribution fixe. On pouvait y installer un large lit recouvert de tissus brodés et entouré de courtines protégeant des vents coulis. Le duc s’y reposait mais y recevait aussi ses conseillers sous la protection d’un officier installé sur une couchette basse au pied du lit. La « chambre » servait aussi aux repas lorsqu’on y avait dressé des tréteaux et aux ablutions, ablutions quotidiennes grâce à un lavabo (comprenant un seau à deux goulots verseurs et une cuvette en cuivre) ou bains dans des baignoires recouvertes de toile. Autres activités…écouter du luth ou fomenter un complot.

La muséographie insiste sur le souci du confort. Certes la cheminée avait bien du mal à assurer une chaleur minimale, mais le « banc tournis », doté d’un dossier basculable, permettait de s’asseoir tantôt face, tantôt dos au feu. Et surtout les latrines –reconstituées – chauffées par le revers de la cheminée, disposaient d’un conduit à l’intérieur du mur aboutissant à une fosse en sous-sol. Une marque d’hygiène qu’on oublia au Grand Siècle !

Du dernier étage de la Tour Jean sans Peur, on ne voit rien venir…ou peu de choses. En contre-plongée, un carré du ciel parisien. En plongée, un bout de la rue Etienne Marcel, toujours animée.

La visite de la tour elle-même est agréable. Images et panneaux très attractifs forment une bonne initiation à ce qu’on pourrait appeler « la vie au Moyen-Age ». Mais elle est aussi le cadre d’expositions portant sur des sujets peu traités. Cette année le crime est à l’honneur. Le lieu s’y prête. Le duc Jean a fait assassiner son cousin, louis d’Orléans, frère de Charles VI avant d’être assassiné lui-même à Montereau, en 1419, peut-être par les conseillers du dauphin, futur Charles VII. C’est la version capétienne et médiévale des Atrides.

Le curieux peut voir actuellement et jusque fin décembre 2019 « Crimes et justices au Moyen Age » dont la commissaire est l’historienne médiéviste Claude Gauvard. Alors ? Prisonniers pourrissant pendant des années dans des culs-de-basse-fosse ? Pendus et écorchés à tous les carrefours ?… Pas si sûr. Nous rendons compte de cette exposition qui balaie les idées reçues dans un autre article.

 

Michèle Vignaux, août 2019