Trois auteurs ont additionné leurs talents pour réaliser cet ouvrage.
Le texte est de Bruno Tertrais, Maître en recherches stratégiques, auteur de plusieurs ouvrages et couronné par le prix Vauban, pour l’ensemble de son œuvre en 2010.
C’est Delphine Papin, qui a conçu les très nombreuses cartes de cet atlas. Elle dirige le service infographie au journal Le Monde. Elle est aussi membre du comité de rédaction de la revue Hérodote. C’est enfin une fidèle de l’association Les Cafés géographiques, pour laquelle elle a réalisé un voyage à Londres il y a quelques années, et plus récemment une demi-journée dans les locaux du Monde pour nous parler de son métier de cartographe.
La réalisation des cartes revient à Xemartin Laborde, cartographe géomaticien qui collabore entre autres au journal Le Monde, aux revues Autrement et Hérodote.
L’ouvrage, est d’un format peu courant, puisque c’est un rectangle au format A4, qui a l’avantage de pouvoir présenter des cartes de très grandes taille, présentées en double page.
Il s’ouvre sur une première page de citations, qui constitue un cocktail jubilatoire !
En riposte au slogan de Mai 1968 (les frontières, on s’en fout) Donald Trump affirme « les gens veulent des frontières ». Sont également cités, Lord Curzon, Vladimir Poutine, Victor Hugo, Samuel Huntington ou Daech (« si Dieu le veut… nous effacerons toutes les frontières »).
Régis Debray est cité deux fois :
« Toute frontière comme le médicament, est remède et poison. Et donc affaire de dosage ».
« Le mur interdit le passage ; la frontière le régule. Dire d’une frontière qu’elle est une passoire, c’est lui rendre son dû : elle est là pour filtrer ».
Dans ce début de XXIe siècle, marqué par le grand retour des frontières, ce livre arrive fort à propos.
Mais qu’est-ce qu’une frontière ? Plusieurs définitions sont proposées.
Existe-t-il des frontières « naturelles » ? Les déserts, les montagnes, les fleuves, sont d’abord des espaces géographiques qui limitent les relations entre des groupes humains. Ces frontières « naturelles » représentent encore la moitié des tracés.
Les autres frontières, dites « artificielles » correspondent à des rapports de force, présents ou hérités. Il n’est pas inutile, ce que font fort bien les auteurs, de rappeler que l’essentiel de ces tracés sont très récents et datent essentiellement du temps de la colonisation du monde par les Britanniques et les Français.
Le premier chapitre s’intitule Frontières en héritage
Il présente les principales étapes de la constitution des frontières et précise que borner un territoire ne va pas de soi, même si les Chinois avaient construit la Grande muraille et les Romains, un limes. Ces remparts militaires servaient aussi de barrière douanière et fiscale. Le développement des frontières est surtout lié à l’émergence du monde moderne et de la cartographie moderne, « mieux on cartographie, mieux on limite ».
Peu de frontières datent d’avant 1800, mais ensuite le mouvement s’accélère : le nombre d’Etats est multiplié par 5 depuis 1900. Puis encore 28 000 km de frontières se sont dressés depuis la fin de la Guerre froide.
De nombreux exemples régionaux sont ensuite présentés :
– la carte des zones d’influence des accords Sykes-Picot qui partagent l’empire ottoman, en 1916, entre la France et la Grande-Bretagne,
– les lignes établies en Asie du Sud entre 1865 et 1947, par les Britanniques,
– les divisions dues à la Guerre froide et les multiples « rideaux : mur de Berlin, rideau de fer, rideau de cactus à Cuba, de Bambou en Asie entre Chine et Indochine,
– plusieurs cartes enfin s’efforcent de rendre compte de l’entité européenne : frontières culturelles, religieuses, politiques. Mais les auteurs insistent sur le fait que si l’Europe est apaisée, on ne sait toujours pas où elle s’arrête : sur les monts Oural ? dans le Caucase ? sur le Bosphore ? sans parler de ses territoires ultramarins !
Le deuxième chapitre s’intitule Frontières invisibles
Il évoque les frontières qui ne sont pas matérialisées physiquement. Le cas le plus évident est celui des frontières internationales en mer, soit plus de la moitié des « frontières du monde ». Ce chapitre évoque aussi les frontières imaginaires ou arbitraires, qui ne recoupent pas toujours les frontières étatiques : limites culturelles, zones influence, « aire de civilisation », etc. Pas moins de 7 cartes illustrent le chapitre :
– la carte des frontières de civilisations reprend le concept de Huntington
– une carte, bien venue, montre que la France repousse sans cesse ses frontières maritimes grâce à la Convention de Montego Bay (1982) qui établit des ZEE (zones économiques exclusives) sur le plateau continental des pays côtiers – à 350 milles nautiques -, puis la Convention des Nations Unies qui repousse à nouveau les frontières à 350 milles des côtes. La France est en passe d’avoir le plus grand domaine maritime mondial !
D’autres exemples sont fournis : carte qui analyse les revendications sur l’Arctique, région devenue sensible avec le réchauffement climatique et la découverte de ressources naturelles ; carte du golfe Arabo-Persique encore « plus chaud » dans tous les sens du terme où les grandes puissances se surveillent à partir de pas moins de 6 bases militaires (américaines, britanniques, françaises) sans compter l’arrivée des Chinois à Djibouti en 2017.
Le troisième chapitre est le plus en phase avec l’actualité : Murs et Migrations
Un monde en voie d’enfermement y est décrit. En 1970, il n’existait que 3 « murs » dont celui de Berlin, qui avait pour but d’empêcher les populations de sortir… et non celles d’entrer comme aujourd’hui.
De 1970 à aujourd’hui on a construit une soixantaine de murs soit 40 000 km de tracés durs. Les raisons invoquées sont le contrôle du territoire, la lutte contre le terrorisme, la lutte contre les trafics –dont celui de la drogue – les enjeux sanitaires, la régulation de l’immigration. Une carte présente tous ces murs : ceux dont on parle beaucoup, entre États-Unis et Mexique, entre les deux Corées, en Cisjordanie, au Cachemire ; ceux qui résistent à Chypre, ceux qui enclavent des territoires : Gibraltar, Ceuta, Melilla.
Le plus souvent « les murs » restent virtuels c’est-à-dire seulement doté de matériels de surveillance plus ou moins poussés : capteurs, drones, satellites.
Ils se multiplient dans un contexte de mondialisation des flux, d’hommes et de marchandises, légaux et illégaux. Ils sont « populaires » chez les hommes politiques qui veulent rassurer leur électorat, ils inquiètent les juristes et les philosophes qui insistent sur le fait qu’un mur sépare, ségrège, renforce les incompréhensions. Le droit de sortir d’un territoire a été consacré par la Déclaration universelle des droits des hommes en 1948. Aujourd’hui l’inverse se produit.
Mais chacun sait qu’un mur…c’est aussi fait pour être contourné : par un tunnel, par une arrivée en mer, etc. Douze doubles pages de cartes illustrent les cas les plus emblématiques.
L’avant dernier chapitre s’intéresse « aux curiosités géographiques »
Il nous rappelle que contrairement à une légende, les ambassades ne sont pas extraterritoriales et que Guantanamo constitue un cas particulier de camp de détention extraterritorial.
Le cas du Haut-Karabakh est beaucoup plus complexe. Il reste un lieu de hautes tensions entre Arménie et Azerbaïdjan.
Le dernier chapitre est consacré aux Frontières en feu.
Il subsiste une soixantaine de contentieux territoriaux importants. Parmi les cas étudiés, une double page intitulée : de l’Afrique à l’Arabie, ne mentionne « que » les conflits advenus depuis 1990 avec l’éclatement de la Somalie et du Soudan, la construction de murs par l’Arabie sur ses frontières avec le Yémen (1 800 km) et avec l’Irak (950 km).
Le cas de la Russie, qui veut reconquérir son ancienne zone d’influence, est analysé, de même que le cas de la Chine
Non seulement, la Chine tisse sa toile hors de ses frontières par les projets des nouvelles routes de la soie, terrestres et maritimes, mais ses revendications en mer de Chine défrayent régulièrement la chronique.
La conclusion affirme que si l’avenir reste celui des États, les frontières ont un bel avenir !
Si la synthèse est remarquable et ne laisse aucun continent dans l’ombre, en revanche la cartographie pose problème. Non pas dans les légendes des cartes, très complètes et parfois complexes, mais dans le choix des couleurs : pourquoi ces cartes tracées sur fond noir, ou utilisant des couleurs « beigeasses ». La carte étant l’atout majeur d’un atlas, la rendre esthétique n’aurait pas été inutile.
Maryse Verfaillie, janvier 2019.