Le caviar reste un produit de fête prestigieux même si la géographie de sa production a bien changé depuis deux décennies (source : www.caviarpassion.com )

Le caviar reste un produit de fête prestigieux même si la géographie de sa production a bien changé depuis deux décennies (source : www.caviarpassion.com )

Chaque année en décembre, les pages des magazines consacrées aux repas de fêtes n’omettent rien des différentes variétés de caviar qui doivent figurer sur les meilleures tables. Le caviar garde son aura de mets de luxe malgré de profondes transformations dans sa production et sa commercialisation. Là aussi, la mondialisation est passée par là et, pour prendre un seul exemple,  le caviar made in France livre depuis quelques années une bataille impitoyable au caviar made in China. De leur côté, ignorant la part de marché croissante accaparée par les supermarchés, les grandes maisons qui commercialisent le produit aux œufs d’or (noir, gris ou brun) ne sont pas en reste en matière de compétition en fourbissant leurs armes, à grands renforts de communication et de nouveaux rituels de dégustation.

Rappelons que le mot « caviar », d’origine persane, désigne un aliment élaboré à partir des œufs d’esturgeon, qui est devenu un produit de luxe consommé d’abord en Russie puis à partir du XIXe siècle dans les autres pays européens. Longtemps, les eaux de la mer Caspienne et de la mer Noire ont constitué les principales zones de production de caviar, ce qui explique qu’à la fin du XXe siècle, les principauxpays producteurs étaient la Russie, le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan et l’Iran, soit quatre pays riverains de la Caspienne. Mais un braconnage intensif et une pollution croissante ont mis en danger la ressource, en particulier les trois espèces d’esturgeon les plus recherchées (le béluga, l’osciètre et le sévruga). Pour cette raison, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES ou Convention de Washington) a défini en 1998 l’esturgeon comme une espèce protégée et contrôle le commerce du caviar à travers des quotas jusqu’à l’interdiction totale d’exportation du caviar sauvage en 2008.

C’est donc la décennie 1990 qui a vu l’essor de l’élevage du caviar : en 1998, les 500 kg de caviar d’élevage ne pèsent pas encore grand chose face aux 300 tonnes de caviar sauvage ; aujourd’hui, le caviar sauvage a presque disparu (sauf celui de contrebande) tandis que la production de caviar d’élevage tourne autour de 120/130 tonnes. Près de 75 fermes d’élevage sont apparues dans le monde, en Europe (France, Italie, Bulgarie), en Asie (Chine), en Amérique (Etats-Unis, Uruguay), en Israël… La production chinoise, qui bénéficie d’une très ancienne tradition aquacole, ne vise pas seulement la quantité mais aussi la qualité. La meilleure preuve en est le choix de certains caviars chinois par les meilleurs cuisiniers étoilés comme Alain Ducasse ou Bernard Pacaud. De grandes maisons parisiennes (Petrossian par exemple) se fournissent également en Chine, notamment sur les rives du lac de Qiandaohu dans la région de Shanghai. Peut-on aller jusqu’à dire que les Chinois ont appris plus vite l’art du grand caviar que celui des  grands vins, domaine dans lequel  ils progressent tout de même rapidement ?

Un site d’élevage d’esturgeons en Chine

Un site d’élevage d’esturgeons en Chine

Et le caviar made in France ? Il se porte très bien en matière de production comme en matière de commercialisation. Deux régions se distinguent grâce à l’adaptation d’une espèce originaire de Sibérie, l’esturgeon Acipenser baeri, ce sont la Sologne et surtout l’Aquitaine dont les premiers élevages datent du début des années 1990. Les réticences gustatives du début ont laissé place à la satisfaction des experts qui plébiscitent aujourd’hui un produit d’une excellente tenue. La Maison Nordique a d’ailleurs fait le choix de commercialiser un caviar solenska  d’origine sibéro-solognote qui fait merveille sur la table du Bristol où les petites billes ambrées accompagnent une mousseline de rate fumée au haddock ! Le caviar made in France remporte un grand succès à l’exportation, notamment à Tokyo et même en Russie ! La filière aquitaine tente actuellement d’obtenir une IGP (indication géographique protégée) pour sa nouvelle marque « Caviar d’Aquitaine ».

Dans le domaine du grand luxe, la guerre fait rage. De nouvelles marques spécialisées dans ce créneau ne se contentent pas de sélectionner les meilleurs créneaux, elles rivalisent d’originalité pour commercialiser le produit avec les accompagnements les plus sophistiqués dans les écrins les plus précieux. Ainsi, la maison Caviarly’s présente son béluga d’Iran, sans doute le caviar le plus cher du monde, comme la Rolls du caviar à … 9000 euros le kilo ! Pour rester dans la course, les anciennes maisons les plus prestigieuses font assaut d’imagination avec écrin en fil d’argent Swarovski (pour l’en-K de Kaviari) ou la plus grosse boîte de caviar du monde (10 kg pour Petrossian). Qui a dit que le caviar s’était démocratisé ?

 

Daniel Oster,
décembre 2013