Inauguré en juin 2013, dans le cadre de l’évènement MP 13 (Marseille Provence, capitale de la culture européenne), le MuCEM (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) est le premier musée national délocalisé en région.

Le MuCEM a l’ambition d’être une cité culturelle, un endroit qui n’accueille pas que des expositions mais aussi des débats, des rencontres, des spectacles. Bref, qu’il soit un lieu de vie, ouvert aux vents et aux idées,  une sorte de Centre Pompidou marseillais.

Son succès a été immédiat et enthousiaste. Cela suffira-t-il à changer l’image quelque peu ternie de l’antique cité phocéenne ?

Le J4, navire amiral du MuCEM, dessiné par Rudy Ricciotti.

Le J4, navire amiral du MuCEM, dessiné par Rudy Ricciotti.

Le MuCEM, côté mer : un joyau architectural

Ouvert à l’ensemble des expressions artistiques et culturelles  il se veut rassembleur des    pays riverains de la mer Méditerranée, ouvert au dialogue des civilisations. Il est constitué de trois sites répartis sur 40 000 m2, du port à la Belle de Mai, en plein centre de Marseille. Côté mer : le bâtiment moderne réalisé par Rudy Ricciotti et le Fort Saint Jean réhabilité par Roland Carta. Côté terre : le CCR (Centre de Conservation et de Ressources) situé à la caserne du Muy réhabilitée par Corinne Vezzoni.

Marseille accueille un lieu qui lui ressemble : adossé à la rive nord de la Méditerranée et regardant vers le grand large.  Suspendu entre ciel et eau, ouvert à la lumière, ouvert sur la mer, il flotte, presque invisible à l’entrée du Vieux-Port.

Il s’agit d’un cube de verre habillé d’une résille en béton BFUPH. Ce Béton Fibré Ultra Haute Performance est un matériau innovant. Il permet une certaine légèreté, résiste aux embruns et fait preuve d’une grande sensualité au toucher. Le bâtiment  porte le nom du quai mythique (J 4) sur lequel il est ancré. Il fait face aux paquebots en provenance du Maghreb et de toute la Méditerranée qui viennent toujours s’amarrer à la jetée du numéro 4.

On peut y accéder directement sur le toit, par une passerelle aérienne

 Le toit terrasse du J4

Le toit terrasse du J4

Ce toit est plat comme une mer d’huile sous le soleil du Midi. La résille est échancrée, telle un gigantesque moucharabieh. Elle permet de voir sans être vu, elle permet de jouer avec l’ombre et la lumière. La terrasse offre des vues superbes mais aussi  des cafés et restaurants aux promeneurs.

Tombant du toit sur les flancs exposés au soleil, la résille protège le bâtiment. Les façades ombragées sont des surfaces vitrées. Elles réfléchissent les immeubles voisins.

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Un musée  qui sublime ses voisins, la Villa Méditerranée et l’église de la Major

Depuis le toit terrasse, on descend par une rampe en pente régulière dont les segments, façon ziggourat, défilent derrière les façades. Entre la résille et le cœur de l’édifice, dans ce volume intermédiaire se laisse admirer la structure du bâtiment composée d’une multitude de barres d’acier et de tirants solidement chevillés qui rythment le volume ombragé de la pente.

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Les volumes intermédiaires entre verre et résille abritent  la rampe de circulation

Accolé à l’enceinte du Fort Saint Jean enfin rendu au public, c’est un lieu de promenade, accessible à tous gratuitement et qui offre des points de vue spectaculaires sur la ville et le port. Seules les entrées dans les expositions sont payantes.

Le fort Saint Jean est relié au J 4 par une seconde passerelle

Fort Saint Jean

Fort Saint Jean

Les Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem (futur ordre de Malte, se sont installés dans le fort dès le XIII è siècle. Déglingué par l’explosion des stocks de munitions allemands sous les bombes alliées en août 1944, il est resté longtemps fermé au public. Il a été magnifiquement restauré par Roland Carta. Les chemins de ronde, les bâtiments et l’ancienne chapelle offrent des découvertes multiples

La tour du roi René, le vieux port et ND de La Garde

La tour du roi René, le vieux port et ND de La Garde

Les remparts de pierre rose, la tour défensive du roi René (XV è siècle) et sa terrasse sont accessibles aux promeneurs qui peuvent profiter des chaises longues installées ici et là et humer les senteurs des jardins méditerranéens construits de toutes pièces sur 14 espaces.

Le MuCEM, une cité culturelle

Le J4 est un lieu de vie

Comme centre culturel il accueille tout au long de l’année des artistes (plasticiens, musiciens, comédiens, performeurs…) philosophes, écrivains, etc.

Comme musée il présente une exposition permanente, la Galerie méditerranéenne, et deux expositions temporaires.

L’intérieur de la galerie méditerranéenne

L’intérieur de la galerie méditerranéenne

La Galerie est installée sur 1 500 m2  en rez-de-chaussée et au raz de l’eau.

Quatre thématiques sont abordées à travers objets, sculptures, peintures, films et vidéos.

Un texte de Fernand Braudel, La Méditerranée, 1977 ouvre la réflexion :

«  Qu’est ce que la Méditerranée ? Mille choses à la fois, non pas un paysage, mais d’innombrables paysages, non pas une mer, mais une succession de mers, non pas une civilisation, mais des civilisations entassées les unes sur les autres ».

– La première salle a pour titre, Invention des agricultures, naissance des Dieux.

Elle rappelle la trilogie méditerranéenne (blé, vigne, olivier) et  l’importance de l’eau et de son contrôle hier comme aujourd’hui.

– La deuxième salle insiste sur la singularité du bassin méditerranéen où sont nés les trois monothéismes. Jérusalem, commune aux trois religions du Livre, est mise à l’honneur.

– La troisième thématique évoquée est celle des droits de l’homme puisque la notion de citoyenneté est née sur l’Acropole. Athènes, Venise, la Révolution française et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) sont successivement évoquées. Un pan du mur de Berlin rappelle sa chute en 1989. Deux textes peuvent être signalés.

– Pierre Mendès-France, La République moderne, 1962 :

«  La démocratie n’est efficace que si elle existe partout et en tout temps ».

– Extrait de la charte de la confrérie des chasseurs mandingues, empire du Mali, XIII e siècle :

«  L’homme en tant qu’individu
Fait d’os et de chair,
De moelle et de nerfs,
De peau recouverte de poils et de cheveux,
Se nourrit d’aliments et de boissons ;
Mais son âme, son esprit vit de trois choses :
Voir ce qu’il a envie de voir,
Dire ce qu’il a envie de dire,
Et faire ce qu’il a envie de faire.
Si une seule chose venait à manquer à l’âme humaine,
Elle en souffrirait
Et étiolerait sûrement ».

– Enfin vient le temps évènementiel braudélien, celui de l’aventure au-delà du monde connu.

Sphère armillaire, astrolabe, sextant vont permettre la mesure de l’espace et du temps et nourrir l’imaginaire des hommes. Tel celui de Vasco de Gama, parti sur le San Gabriel, en quête de l’Inde et des épices. Les visions fabuleuses de villes lointaines comme Venise, Istanbul ou Athènes sont le prélude au tourisme actuel.

 Le ciel et l’eau à travers la résille noire du MuCEM

Le ciel et l’eau à travers la résille noire du MuCEM

Le Fort Saint Jean présente plusieurs collections

– Les pavillons de ce bastion militaire accueillent les collections héritées du musée national des Arts et Traditions Populaires (MNATP), fondé en 1937 par Georges Henri Rivière. Situé dans le bois de Boulogne (Paris, 16ème), il présentait une vision de la société française traditionnelle, rurale et artisanale pour l’essentiel, depuis le XIX è siècle et jusqu ‘aux années 1960. Il a fermé en 2005 et ses collections ont été transférées à Marseille.

– Les pavillons accueillent aussi les collections illustrant l’invention des loisirs née au début du XIX è siècle avec la révolution industrielle et l’urbanisation de la société. En trois étapes on passe des fêtes traditionnelles liées aux âges de la vie et au rythme des saisons, aux divertissements de la cour royale et de la bourgeoisie, divertissements dont s’empare ensuite, avec grande gourmandise le peuple. Marionnettes, poupées, fêtes foraines, clowns, il y en a pour tous les goûts.

Capitale culturelle de l’Europe en 2013, Marseille a-t-elle un avenir culturel

L’idée de capitale culturelle européenne a été lancée en 1985 par Jack Lang et Melina Mercouri. Le succès de Lille 2004 en a fait une valeur forte. Le succès sera-t-il aussi au rendez-vous pour Marseille ?

Depuis les années 1970, l’économie marseillaise est en crise.

Le déclin des activités industrialo-portuaires est alarmant. Si le port reste malgré tout le premier en France par son tonnage, il n’est plus que le 5è dans l’UE après Rotterdam, Anvers, Hambourg et Amsterdam.

La débâcle des emplois industriels diffuse une pauvreté inquiétante, surtout dans les quartiers nord où vit une part des immigrés venus après la 2GM pour la reconstruction de la cité où pour occuper les emplois du secteur secondaire. La décolonisation, le retour des rapatriés d’Algérie après 1962, l’arrivée d’une forte communauté comorienne après l’indépendance des Comores en 1975, tout cela a créé une ville cosmopolite.

La ville, entre luttes sociales à répétition et rejet des décisions du pouvoir central, est difficile à gérer. Le Front National dépasse 20 % des voix aux élections. Il faut aussi souligner que Marseille est l’une des seules villes en France qui a gardé une population pauvre  dans l’hyper-centre.

 La mauvaise réputation  de la Cité phocéenne.

Les « affaires » de l’Olympique de Marseille, surgies avec l’arrivée de Bernard Tapie, ont fini par assurer le basculement politique : après les mandats de Gaston Defferre (1953-1986) maire socialiste, puis ceux de Robert Vigouroux, proche du PS (1986-1995) c’est Jean-Claude Gaudin, le RPR devenu UMP qui règne sur Marseille jusqu’à aujourd’hui.

La French connection est démantelée en 1972, mais une nouvelle « guerre des gangs » jette le trouble dans les années 1980 et jusqu’à aujourd’hui, dans un contexte de crise sociale et économique. Elle réactive les stéréotypes sur la criminalité locale et ses relations avec le monde politique. Ici, le clientélisme s’affiche ouvertement.

Mais ces difficultés sont à relativiser, Marseille ne fait pas la une des actualités seulement pour ses mauvaises manières. Elle a entrepris une vaste opération de rénovation urbaine et un recentrage de ses activités sur le secteur tertiaire et particulièrement culturel.

Euroméditerranée I et Euroméditerranée II portent la rénovation urbaine

L’opération d’aménagement Euroméditerranée I démarre en 1988, avec l’intervention de l’Etat. Elle concerne le triangle Joliette – Saint Charles – Belle de Mai, sur 370 ha.

Ce grand projet urbain s’inscrit dans des quartiers fortement précarisés et vise à retrouver une mixité sociale en privilégiant les fonctions d’habitation et d’animation urbaine.

– La gare Saint Charles a été rénovée ainsi que ses alentours. Sur le cours Belsunce, dans le vieil Alcazar, A.Fainsilber, architecte de la Cité des Sciences à La Villette, a construit la Bibliothèque Municipale à Vocation Régionale.

– Les friches industrielles de la Belle de Mai qui jouxtent les voies ferrées ont été reconverties : dans les casernes on a installé la partie Conservation Réserves du MuCEM. Dans les anciennes Manufactures des tabacs a pris place un pôle média connu aujourd’hui par la série télévisée, plus Belle la Vie et qui abrite aussi FR3.

– Sur les quais de la Joliette, abandonnés aux friches, un waterfront culturel est en cours d’édification. Plusieurs opérations sont en cours.

Cube noir du MuCEM, portique blanc de la Villa méditerranée et tour de Zaha Hadid

Cube noir du MuCEM, portique blanc de la Villa méditerranée et tour de Zaha Hadid

La réalisation la plus visible sur le front de mer est la tour de l’architecte anglo-iraquienne Zaha Hadid, qui abrite le siège social ce la CMA-CGM, 3è armateur mondial. D’autres tours verront le jour.

Les bâtiments des Docks, petites merveilles d’architecture industrielle du XIX e ont étés sauvegardés et abritent  en parallèle avec un nouveau quartier d’affaires nommé « la petite Défense marseillaise » des entreprises employant plus de 3 000 personnes dans les secteurs de la banque, de l’assurance, du conseil, du commerce international et des télécoms. Un Musée d’Art Contemporain vient d’y voir le jour.

Depuis 2008 a été lancé Euroméditerranée II qui prévoit une extension de ce projet de rénovation sur 170 ha supplémentaires : il s’agit de revitaliser le littoral nord de la ville par une corniche  piétonne, d’y créer une coulée verte et une interface avec les quartiers nord.

C’est aussi en 2008 que Marseille a été choisie comme capitale culturelle pour 2013.

 Le tournant culturel

Marseille a inscrit ses projets culturels dans la logique d’Euroméditerranée et le label « capitale de la culture » est peut-être le coup de pouce décisif d’un projet qui réoriente le destin de la ville.

La mise en valeur du patrimoine architectural

Le MuCEM, au cœur de la rénovation urbaine qui redessine le cœur de Marseille se trouve aujourd’hui en être le projet phare. Signal le plus visible de l’arsenal mis en place pour 2013, le cube de Rudy Ricciotti est bien entouré.

– Il est flanqué au nord par la Villa Méditerranée, sorte de double en blanc et en forme de portique du parallélépipède noir du MuCem. Voulu par le Conseil Général, dû à l’architecte milanais Stefano Boeri, le bâtiment montre ses muscles à défaut de faire preuve de subtilité.

– Il fait face à l’église Saint Laurent, qui elle-même toise l’église de la Major, immense cathédrale de style romano-byzantin.

– Il se prolonge grâce à une passerelle aérienne dans le quartier du Panier, site de la première colonie grecque Massalia. Populaire, ce quartier est aujourd’hui devenu touristique grâce à la restauration de la Vieille Charité, chef d’œuvre de Pierre Puget (1670). Tout récemment le vieil Hôtel Dieu est devenu un hôtel cinq étoiles.

– Les rives du Vieux-Port ont été réaménagées en espaces semi-piétonniers, par Norman Foster et Michel Desvignes et c’est Franck Hammoutène qui a redessiné les espaces vides autour de l’Hôtel de Ville. Au fond du vieux port, l’Ombrière, tout en métal poli, offre un abri inattendu quand le soleil tape trop fort.

La mise en valeur du patrimoine muséal

Le pari de changer l’image répulsive d’une ville en image attractive ne date pas d’hier.

L’effet Bilbao, réussi grâce à la création du musée Guggenheim construit par l’architecte Franck Gerry, a été copié en Angleterre, en Allemagne dans la Ruhr, mais aussi en France avec la délocalisation du Centre Pompidou à Metz et du Louvre à Lens.

Le MuCEM a-t-il des collections suffisantes pour renouveler ses visiteurs ? Aura-t-il assez d’argent pour mettre en œuvre des expositions temporaires prestigieuses ? Rien n’est moins sûr ! La Villa Méditerranée semble pour l’heure, une coquille vide !

Mais la localisation et la qualité globale des musées sont un atout remarquable.

Marseille a aussi entièrement réaménagé le musée d’histoire de la ville, situé à proximité du Vieux-Port et a transformé le château Borély en musée des Arts décoratifs de la Faïence et de la Mode. Mais ce dernier est excentré.

Images et imaginaires

Le rayonnement de Marseille est aussi lié à celui d’une culture plus populaire qui a l’avantage d’attirer des populations plus diversifiées.

– Le football suscite le plus d’engouement malgré les débordements des supporters et crée une identité marseillaise. On peut y ajouter la pétanque, les sports nautiques où s’illustre le Cercle des Nageurs…. Et la dégustation du pastis au bar de la Marine cher à Pagnol.

Dans l’entre-deux-guerres, le cinéma a valorisé le Vieux-Port et Notre Dame de la Garde, la bonne mère de la ville. Aujourd’hui de plus jeunes réalisateurs ont fait du « peuple » de Marseille le sujet central de leurs films : les jeunes Beurs dans les Taxis de Luc Besson, les Arméniens d’Henri Verneuil, les ouvriers de l’Estaque de René Allio puis de Robert Guédiguian.

Le tournant culturel avait aussi commencé pendant  les années Defferre lorsqu’il avait attiré dans sa ville Roland Petit à la tête des Ballets de Marseille (1972), Marcel Maréchal à la direction du Gymnase puis de La Criée en 1981.

Dans la littérature populaire Jean-Claude Izzo a été une figure de proue en créant un genre particulier, le polar marseillais.

Plus belle la vie ?

La ville a pris conscience que la culture pouvait être un formidable levier économique et que sa désignation comme capitale MP 13 lui a fourni le grand coup de projecteur dont elle avait besoin. Peut-elle a nouveau figurer aux côtés de Barcelone ou de Gênes comme grande capitale de la Méditerranée ?

A Marseille rien n’est impossible. Il y a le TGV, il y a le soleil et la mer et des quartiers à parcourir à pied et sans restriction. Sa devise est à la hauteur de ses ambitions : Actibus immensis urbs fulget massiliensis (Par l’éclat de ses hauts faits resplendit la ville de Marseille).

Maryse Verfaillie

Bibliographie

– Un enjeu « capitale » : Marseille Provence 2013, Boris Grésillon, Editions de l’Aube, 2011

– Histoire d’une ville, sous la direction de Régis Bertrand, Editions Scéren [CNDP-CRDP]

Photographies : Maryse Verfaillie