L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a institué en 1988 une Journée mondiale de lutte contre le sida. Depuis cette date celle-ci est organisée tous les 1er décembre pour sensibiliser les différents acteurs et l’opinion internationale aux moyens les plus appropriés à la lutte contre la pandémie. Dans le même temps les avancées de la recherche permettent une connaissance grandissante du fléau jusqu’à pouvoir reconstituer aujourd’hui son origine et les étapes de sa diffusion.
La revue américaine Science a publié le 3 octobre dernier un remarquable travail scientifique permettant de reconstituer le parcours géographique du sida (VIH ou virus de l’immunodéficience humaine) depuis son apparition dans l’actuelle République démocratique du Congo dans les années 1920.[1]
La méthode de travail des chercheurs
Une équipe de chercheurs européens et nord-américains a travaillé sur des centaines d’échantillons de VIH-1 (type de VIH le plus répandu dans le monde) prélevés au cours du XXe siècle dans l’ancien Congo belge et d’autres pays africains voisins. Les séquences génétiques de ces échantillons, conservés au Laboratoire national de Los Alamos (Etats-Unis, Etat du Nouveau-Mexique), ont été méthodiquement analysées pour dater et localiser le plus précisément possible les mutations du virus. Les résultats de l’enquête ont ensuite été confrontés à l’histoire des activités humaines des régions concernées pour tenter de comprendre les mécanismes de la propagation de l’épidémie. C’est un véritable puzzle que les virologues et autres scientifiques ont patiemment assemblé pour aboutir à un résultat qui élucide enfin l’origine de l’épidémie du sida.
Au départ, un virus du singe, passé à l’homme, et sorti de la forêt
Les scientifiques ont réussi à préciser où et quand le virus était passé du singe à l’homme. La souche virale est restée longtemps cantonnée à la forêt dans le sud-est du Cameroun tant que ses hôtes étaient des chimpanzés de la région. C’est vers 1920 qu’un homme est contaminé par le virus, « peut-être en consommant de la viande de brousse ou en se blessant lors d’une chasse ». (Le Monde, 5-6 octobre 2014). Cet homme voyageant jusqu’à Kinshasa (Léopoldville à l’époque) fait de la capitale de l’ex-Congo belge le foyer de diffusion du virus. Celui-ci s’est alors transmis d’homme à homme, jusqu’à constituer une épidémie.
Les archives coloniales belges ont été exploitées par les chercheurs pour mieux comprendre les facteurs de la propagation du virus. Des années 1920 aux années 1950, l’essor des transports (fluviaux et ferroviaires) et de l’urbanisation, dû notamment à l’industrie minière, fait de Kinshasa une véritable plaque tournante de cette propagation. Ainsi, on retrouve le virus en 1937, à Brazzaville, de l’autre côté du fleuve Congo, mais aussi à Lumumbashi (appelée Elisabethville à cette époque) dans la province du Katanga, et à peine plus tard à Mbuji-Mayi. Il semble que pour ces dernières villes la voie ferroviaire ait joué un rôle majeur dans la diffusion de l’épidémie naissante. Dans les années 1950, le virus atteint Bwamanda et Kisangani au nord de l’actuelle RDC, et là, c’est la voie fluviale qui a été le vecteur de transport. Les activités économiques suscitent des flux migratoires qui participent à la propagation, sans compter l’essor de la prostitution qui accompagne ces divers flux et mutations. Les travaux des scientifiques repèrent qu’en 1964, des émigrés haïtiens venus travailler dans le Congo-Kinshaha devenu indépendant importent le virus dans leur pays à leur retour. C’est donc dans les années 1960 que le virus se propage simultanément vers les Etats-Unis à partir d’Haïti et vers les divers pays d’Afrique subsaharienne depuis le Zaïre. « La suite est connue. Le sida a infecté 75 millions de personnes et fait 36 millions de morts. » (Le Monde, 5-6 octobre 2014).
Les parcours du sida et d’Ebola
Selon la virologue Martine Peeters, cosignataire de l’article paru dans la revue Science, il existe un parallèle entre l’épidémie du sida et celle d’Ebola, « mais personne ne s’attendait à ce que le virus Ebola sorte et se transmette aussi vite, beaucoup plus vite que le VIH. Il faut dire que les voies de transmission ne sont pas les mêmes, celles-ci étant beaucoup plus faciles pour Ebola, et que l’incubation est nettement plus courte que pour le VIH » (cité dans Le Monde,5-6 octobre 2014).
C’est en septembre 1976 que le premier cas de fièvre hémorragique Ebola est identifié au Zaïre (RDC aujourd’hui) dans le contexte d’une première épidémie qui a fait 280 victimes. Depuis décembre 2013, une seconde épidémie, beaucoup plus importante, se déploie en Afrique occidentale, affectant surtout trois pays pour le moment : la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone. Le 3 octobre 2014, l’OMS a comptabilisé 3 431 morts sur 7 470 cas identifiés.. Le siège de la toute nouvelle Mission des Nations Unies pour la lutte contre Ebola (Unmeer) a été basé à Accra (Ghana), à environ 1 000 km à l’est de la première ville touchée par le virus. Les questionnements sur le parcours du virus se posent toujours[2]. « Au Liberia, l’épidémie a d’abord touché, au printemps, la partie frontalière de la Guinée forestière, berceau de cette maladie inédite jusqu’alors en Afrique de l’ouest, avant de se répandre à Monrovia où elle a prospéré, durant l’été, dans les quartiers populaires. » (Le Monde, 5-6 octobre 2014). Actuellement, le nombre de malades accueillis dans les centres de Monrovia semble baisser tandis que l’épidémie reprend de la vigueur en province où tout le pays est désormais touché.
Daniel Oster
[1]Pour notre part, nous utilisons l’excellent article « L’origine de la pandémie du sida enfin élucidée » publié dans le journal Le Monde, daté du 5-6 octobre 2014, qui rend compte des travaux sur la propagation du sida à partir de la synthèse scientifique publiée le 3 octobre par la revue Science.
[2] Pour une compréhension des lieux d’émergence et des territoires de diffusion de la fièvre Ebola au Gabon et en République du Congo se reporter à l’excellent travail de la géographe Clélia Gasquet-Blanchard (situation au 28 juin 2012) : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/sante/SanteScient2.htm