La société béninoise participe de la profonde religiosité des peuples africains. Une situation de tolérance religieuse caractérise le pays, dans lequel la vie quotidienne est profondément marquée par le culte vaudou. Au sein de cet apaisement confessionnel, la concurrence entre les religions monothéistes (christianisme et islam) s’exprime néanmoins par un foisonnement de lieux de culte urbains et par leur monumentalité. La grande mosquée de style afro-brésilien, bâtie selon l’architecture d’une cathédrale baroque, constitue un patrimoine unique au Bénin et occupe une place singulière dans le paysage religieux et cultuel de Porto-Novo. Cet édifice jouxte une grande mosquée moderne qui reçoit de très nombreux fidèles. La richesse du patrimoine religieux dans la ville-capitale du Bénin, qui repose également sur le patrimoine chrétien, Orisha-Vaudou, fonde-t-elle une fréquentation touristique africaine et internationale ?
Porto-Novo, un des patrimoines architecturaux et immatériels les plus riches et les mieux conservés du Bénin
La ville de Porto-Novo est fondée au cours du XVIIIe siècle, dans une zone peuplée de pêcheurs, au bord d’une vaste lagune, le lac Nokoué, qui se prolonge au Nigeria voisin. Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les Portugais s’établissent à Hogbonou (Adjatché en yoruba), que le navigateur Eucharistus de Campos baptisera Porto-Novo, en 1752. Les négociants européens se tourneront alors vers cette ville, pour se soustraire au pouvoir des rois d’Abomey qui contrôlent le commerce des esclaves dans le port « négrier » de Ouidah. Dès 1894, Porto-Novo devient la capitale de la colonie française du Dahomey. Elle accueille la résidence du futur gouverneur Victor Ballot, ce qui marque la fin de son indépendance. La France instaure un protectorat, en deux temps. Elle signe un traité de protectorat avec le roi Sodji en 1863, puis un traité d’amitié en 1883 avec le roi Toffa 1ere (1894-1908).
Porto-Novo, deuxième ville du Bénin (315 000 habitants), est établie à 15 kilomètres de l’océan Atlantique. Elle se situe dans l’extrême sud-est du pays, à 30 kilomètres de la capitale économique Cotonou et seulement à 12 km du Nigeria. Au début du XXIe siècle, Porto-Novo est la capitale politique, de jure, du Bénin, en vertu de la constitution du 12 décembre 1990. En fait, elle assure un rôle surtout de manière symbolique, de capitale politique et administrative du pays (assemblée nationale, quelques directions ministérielles). Porto-Novo est considérée par les Béninois comme une des quatre « capitales » du pays, avec Ouidah (capitale spirituelle), Abomey (fondée au XVIIe siècle, ancienne capitale du puissant et créatif royaume d’Abomey) et Cotonou (capitale de facto en tant que principal pôle économique).
La ville-capitale appartient au triangle historico-culturel Abomey-Ouidah-Porto-Novo (1), composé de trois cités fortement impliquées dans le commerce des esclaves et dans la traite transatlantique, dotées d’un des plus importants patrimoines architecturaux colonial d’Afrique subsaharienne.
Au sein des villes les plus anciennes du Bénin, Porto-Novo déploie un patrimoine architectural d’une grande richesse, parmi les mieux préservés du pays : royal, lignager (habitations des grandes familles gun, yoruba), colonial, afro-brésilien et religieux. L’architecture afro-brésilienne, qui marque la ville, à partir du XIXe siècle, s’inscrit en rupture avec l’architecture africaine traditionnelle. Elle imprègne de son style, de la couleur rouge de ses bâtiments et des habitations, l’ensemble de la cité, ce qui lui vaut le qualificatif de Porto-Novo la « Cité rouge ».
La richesse du bâti afro-brésilien, les nombreux musées, l’exemplarité de la coexistence pacifique des nombreux groupes ethno-religieux, permettent, dans un premier temps, en 2002, l’inscription de la ville sur la liste indicative de l’Unesco. La vitalité de l’artisanat et de savoir-faire (46 corps de métiers d’artisans : forge, poterie, vannerie, fabrique d’instruments de musique etc.), la diversité des arts populaires, permet ensuite à la ville d’accéder au titre de ville créative de l’Unesco (Photo 3). Le réseau des villes créatives a été lancé par cet organisme pour valoriser le potentiel créatif (artisanat, savoir-faire divers etc.) social et économique des villes. Mais la ville, en 2020, ne figure toujours pas sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco.
Au niveau national, l’École du patrimoine africain, établissement universitaire à vocation internationale, unique en Afrique de l’Ouest, localisée dans la ville-capitale, a réussi à faire classer au patrimoine historique béninois, les maisons afro-brésiliennes du quartier Oganla.
L’activité et l’offre muséale de Porto-Novo sont uniques au Bénin voire en Afrique subsaharienne où peu de villes possèdent un musée. Elles reposent sur le musée Adandé, sur le musée Honmè (ancien palais royal) et sur le musée Da Silva des arts et de la culture afro-brésilienne. Mais, comme dans une majorité des musées d’Afrique sub-saharienne, un grand nombre d’objets sont immobilisés dans les réserves, se dégradent et ne sont pas vus des visiteurs. Porto-Novo connaît un climat subéquatorial, reçoit 1 200 millimètres de pluie par an et subit une humidité relative de 75%, proche de la saturation. Les œuvres d’art africain des collections muséales de la ville souffrent d’une très forte hygrométrie permanente. Afin que les pièces et objets de ces musées soient correctement conservés, la chaleur et l’humidité devraient être régulées.
La ville est riche également d’un patrimoine culturel intangible. Les danses Guèlèdè (ou Guèlèdé), qui représentent un des aspects majeurs de la culture yoruba, sont inscrites au patrimoine immatériel de l’Unesco. Les société locales africaines possèdent surtout un patrimoine immatériel : danses, chants, musiques, récits. Les masques, lors de ces danses, sont uniquement portés par des hommes vêtus d’habits féminins, afin d’implorer la clémence des divinités, en faisant appel à la protection des mères. Ces objets d’art africain forment une importante collection du musée ethnographique Adandé situé dans la ville.
Porto-Novo, ville afro-brésilienne
Deux villes, Ouidah et Porto-Novo, se disputent au Bénin, le patrimoine matériel et immatériel de la culture vaudou, la mémoire de l’esclavage et de la traite transatlantique des Africains (2). Elles ont en commun une forte empreinte de l’architecture portugaise, un quartier colonial singulier, un patrimoine esclavagiste, la culture Orisha-Vaudou, de nombreuses églises, cathédrales, des mosquées. Chaque cité se revendique comme le cœur de la culture afro-brésilienne dans le pays.
De nombreux esclaves en partance vers le Nouveau Monde transitèrent par le port de Porto-Novo, ce qui explique que de nombreux Afro-brésiliens revenus au Bénin, soient originaires de cette ville. Les Afro-brésiliens, également appelés Agoudas ou Brésiliens dans le pays, occupent une place particulière parmi les populations afro-descendantes. Au XVIIIe et XIXe siècles, dès la vague des premières abolitions de l’esclavage, des communautés d’esclaves affranchis, voire d’anciens esclaves, sont revenus en Afrique.
Les Afro-descendants originaires du Brésil quittent d’abord Salvador de Bahia dans le Nordeste brésilien, puis s’embarquent vers le golfe de Guinée, en particulier le golfe du Bénin. Ils quittent ensuite le Brésil au départ d’autres villes côtières. Ces populations, au début du XXIe siècle, revendiquent au sein de ce pays d’Afrique de l’ouest, des racines brésiliennes. Les coutumes et les langues européennes acquises au Brésil, durant les années de captivité, ont été très utiles pour l’exercice des métiers apportés par les Afro-brésiliens, à leur retour, dans les pays du golfe de Guinée. La communauté des Afro-brésiliens est présente au Ghana, Togo, Bénin et au Nigeria. Les raisons du retour résident dans la nostalgie du « continent mère », la volonté de revenir parmi les frères (souvent complices de la traite) et de s’imposer socialement, même en devenant à leur tour vendeurs d’esclaves (3).
Dès les abolitions de l’esclavage, les commerçants afro-brésiliens et européens reconvertissent l’économie de la ville de Porto-Novo, en mettant en culture de vastes plantations de palmiers à huiles, encore en place aujourd’hui. Les flux de retour des Afro-descendants, depuis le Nouveau Monde vers les pays de l’ancienne Côte des Esclaves, ne sont pas taris au début du XXIe siècle. Le gouvernement du Ghana a décrété l’année 2019, « année du retour », pour célébrer le 400e anniversaire du début de l’esclavage. Depuis dix ans, dans ce pays, 3 000 à 5 000 afro-américains, dont les ancêtres sont originaires, s’y sont définitivement installés.
Les Afro-brésiliens du Bénin, catholiques et musulmans pour l’essentiel, à leur retour en Afrique, tournent le dos au vaudou polythéiste, donnant leur préférence aux religions monothéistes. L’ancienne religion endogène est délaissée, dans le but d’obtenir un positionnement social grâce aux deux religions du Livre.
Les Afro-brésiliens dans leur majorité sont d’origine yoruba. Les Yoruba, appelés également Nago à Porto-Novo, originaires de l’actuel Nigeria, sont venus par vagues successives s’implanter dans le sud-est du Bénin, depuis le XIIe siècle. Tôt dans l’histoire, dès le VIIe siècle, dans le pays yoruba, au sein de l’actuel Nigeria, s’organisèrent des villes participant d’une brillante civilisation urbaine. Encore aujourd’hui, le pays yoruba constitue la région la plus urbanisée du Nigeria (Ibadan, Oyo). Ce groupe ethnique, également implanté au Togo, au Ghana, a payé un lourd tribut aux traites négrières, ce qui explique la présence d’une importante diaspora yoruba outre-mer (États-Unis, Cuba, Brésil).
Les Afro-brésiliens ont eu un impact économique, éducatif et religieux, très important sur les populations africaines de Porto-Novo. Ils s’établirent comme maçons, menuisiers, charpentiers, ébénistes, tailleurs, commerçants. Les Afro-brésiliens, respectés pour leur rigueur, leur sens du travail, leur indépendance, vont progressivement constituer la bourgeoisie de Porto-Novo.
Les Afro-brésiliens ont également amené leurs techniques de construction des habitations et des bâtiments religieux (cathédrales, mosquées). Ils ont bâti des maisons sur plusieurs niveaux, en pisé, dotées d’un premier étage à colonnades et d’une toiture en tôle, à quatre pans (Photos 4 et 5). Bien que classées au patrimoine historique béninois, nombre de maisons afro-brésiliennes de Porto-Novo sont occupées par des populations pauvres, sans titre de propriété, ou détruites et remplacées par des pharmacies, des établissement de restauration rapide, ou des maisons neuves appartenant à des habitants rapidement enrichis, en particulier des commerçants yoruba.
Une ville-capitale, plaque tournante du commerce extralégal avec le Nigeria
Porto-Novo vit principalement du commerce transfrontalier avec le Nigeria. Les accès routiers à travers les frontières terrestres proches, les rives du lac Nokoué en bordure duquel est bâtie la ville (marché de la lagune à Porto-Novo), le plan d’eau lui-même et son prolongement dans le pays voisin, sont les vecteurs des activités de contrebande avec la Nigeria. Par voie terrestre, de très nombreux camions, transportant une grande variété de marchandises à dédouaner aux postes frontières, occasionnent d’importants et permanents encombrements routiers.
Les échanges, majoritairement extralégaux avec le Nigeria, sont vitaux pour l’économie et les sociétés du sud-est du Bénin, en particulier pour Porto-Novo. Mais, le gouvernement du Nigeria en période électorale, ou lors d’une attaque meurtrière du groupe terroriste Boko Haram (à l’origine secte salafiste, un des mouvements du sunnisme), actif dans le nord-est du pays (sur le pourtour méridional du lac Tchad), ferme ses frontières avec le Bénin, qui peut subir consécutivement, un manque à gagner dû à la perturbation des échanges de contrebande. Les deux États, néanmoins, contrôlent mal l’ensemble des routes transfrontalières des échanges extralégaux.
Les flux de marchandises transfrontaliers sont facilités par la faiblesse, face au franc CFA (Communauté Financière en Afrique), de la monnaie nigériane, le naira (ou naïra), ce qui abaissent les coûts de production et les prix de vente des produits nigérians. Le rôle des commerçants yoruba dans les deux pays est essentiel pour ces échanges.
Porto-Novo constitue la plaque tournante du commerce de produits extralégaux (électroménager, matériel Hi-Fi, principalement des produits pétroliers, drogues etc.) en provenance du puissant voisin (203 millions d’habitants en 2018). Les produits issus, en particulier de la ville de Lagos (12 millions d’habitants intra-muros, 21 millions d’habitants pour la mégalopole en 2017), ravitaillent et s’ont diffusés dans l’ensemble du Bénin (Photo 6) et parviennent jusqu’au Togo. Ces trafics fonctionnent jour et nuit, 24 heures sur 24 heures.
En saison humide au Nigeria, les fortes inondations des terres cultivées, créent une importante demande en produits alimentaires en provenance du Bénin : maïs, haricots, tomates, produits maraîchers divers, pastèques, noix de coco. D’une manière générale l’immensité des besoins alimentaires du très peuplé voisin alimente, toute l’année un flux continu de denrées alimentaires au départ du Bénin.
L’économie du Bénin dépend largement des cours du pétrole importé du Nigeria. Le prix des carburants est plus élevé au Bénin, ce qui entraîne depuis le Nigeria la circulation d’une noria de camion-citerne, les « Titans », véhicules escortés par des douaniers nigérians jusqu’à la frontière du Bénin.
La diversité ethno-religieuse de Porto-Novo est unique au Bénin
Porto-Novo participe de la plus grande diversité ethnique du pays, rendant compte de l’importance des flux migratoires au cours des siècles. Les deux principales ethnies de la ville sont les Goun et les Yoruba (les deux tiers de la population), mais sont également présents des Mina, des Bariba et des Peul.
La capitale du Bénin fait le lien entre la culture du groupe Adja-Tado (38% de la population du pays) composé des Fon et des Gun, et celle du groupe Yoruba-Anago (12,1% des Béninois) représenté à Porto-Novo, principalement par les Yoruba et leur culture.
Le pays compterait 43% de Chrétiens, 27% de Musulmans (dont des salafistes à Porto-Novo) et 18% d’adeptes de religions traditionnelles, dites endogènes, que sont principalement le culte vaudou et le culte orisha, regroupés sous la dénomination Orisha-Vaudou. Le Bénin déploie un important foisonnement de croyances et de pratiques religieuses, appuyées sur une centaine de confessions, que la Constitution de 1990 garantit, en combinant laïcité de l’État, liberté de pensée, d’expression et de pratique religieuse.
Cependant, la pluriappartenance religieuse des Béninois rend difficile une comptabilisation exacte des pratiquants de chacune des religions. Un Béninois, selon les moments de la journée, pratique à la fois une des religions du Livre (islam, christianisme) et le culte vaudou (pratiqué surtout la nuit) (2). Un même individu est « pluriappartenant » et « pluripratiquant ». Certains Chrétiens et Musulmans pratiquent leur religion le jour, à la vue de tous et surtout le vendredi pour les uns, le dimanche pour les autres et deviennent pratiquants ou féticheurs vaudou la nuit (5).
D’autre part, il n’existe pas de séparation nette entre les deux religions du Livre. La porosité entre l’islam et le christianisme se lit également dans le choix des prénoms. Le fondateur du musée Da Silva des arts et de la culture afro-brésilienne porte deux prénoms, Urbain et Karim. Ces personnes bi-religieuses, dans la société locale, sont appelées Chrétiens-Musulmans (Chrio-Malé).
Néanmoins, si la multiappartenance religieuse parcourt la société du Bénin, l’appartenance à une confession unique, peut être fièrement revendiquée et affichée par certaines personnes. Tel fut le cas de ce guide du musée da Silva des arts et de la culture de Porto-Novo, se présentant au bout de quelques minutes, en juillet 2018, à un groupe de visiteurs, par la formule directe : « je suis Orisha-Vaudou ».
Les Chrétiens (catholiques romains, adeptes de plusieurs églises africaines indépendantes de Rome, en particulier le Christianisme Céleste ; protestants : Baptistes, Évangélistes, Méthodistes) occupent une place importante dans le pays, en particulier dans le sud. Le christianisme peut servir à nommer les lieux. Ainsi, l’aéroport de Cotonou, le plus important du pays, porte le nom du cardinal béninois Bernard Gantin (1992-2008) depuis 2008.
À Porto-Novo, le culte orisha ou culte des Orishas, est très présent. Il est très proche du culte vaudou. Il constitue la religion traditionnelle des Yoruba-Anago. Les Orishas sont des divinités afro-américaines, originaires d’Afrique, issues des traditions religieuses yoruba. Le vaudou sricto sensu présent plus à l’ouest dans le pays (Cotonou, Ouidah) constitue bien davantage qu’une religion traditionnelle. Il se compose de rites, de danses, d’une musique, d’une philosophie et d’une justice, formant par la même, un patrimoine matériel (temples, couvents, tombeaux, sites purificatoires) et immatériel, unique dans l’Afrique subsaharienne.
Deux villes concentrent les édifices religieux du culte Orisha-Vaudou : Ouidah et Porto-Novo (2). « Bénin Révélé 2016-2020 » (4), volet tourisme du PAG (Plan d’Action Gouvernemental) adopté en 2016, a dû faire un choix entre ces deux villes, pour n’en retenir qu’une seule comme pôle du tourisme religieux et cultuel du culte Orisha-Vaudou. « Bénin Révélé 2016-2020 » a fait le choix de Porto-Novo, ville dans laquelle devrait être édifié le futur musée international des Arts et de la Civilisation Orisha-Vaudou.
Néanmoins, bien que située dans le sud du pays, fortement chrétien et très lié aux religions endogènes, Porto-Novo, parmi les grandes villes de la traite transatlantique au Bénin, est la plus influencée par l’islam (religion de 25% des habitants de la ville). La diffusion de cette religion provient du commerce entre des populations à religion endogène et des marchands islamisés (Haoussa, Yoruba), issus du Nigeria bien avant le XIXe siècle. Les sociétés subsahariennes ont adapté à l’islam leurs croyances et certaines pratiques religieuses. Cette religion du Livre tolère des usages locaux. L’implantation de cette religion monothéiste s’est effectuée avec moins de heurts avec les prêtres Orisha-Vaudou, que antérieurement, avec les missionnaires chrétiens.
Foisonnement de l’architecture religieuse et affirmation des deux religions du livre, par la monumentalité des édifices religieux
Le patrimoine religieux le plus dense de la ville de Porto-Novo est lié à la culture Orisha-Vaudou. Bien que de petite taille, temples vaudou et temples des ancêtres, pour ces derniers installés à l’entrée des maisons ou dans des cours intérieures, recevant des offrandes, ponctuent le paysage urbain de Porto-Novo. Les sociétés locales de l’Afrique subsaharienne ont davantage privilégié le patrimoine immatériel, non tangible, et ne se sont pas impliquées dans l’édification d’un bâti de type monumental.
Dans le quartier d’Akron, repérables à un drapeau blanc, couleur du vaudou, le temple du Monstre à Trois-Têtes et le temple des Trois-Chasseurs, sont étroitement liés à l’histoire de la ville. Ils peuvent être visités par les touristes.
De plus, la ville de Porto-Novo organisée en 84 quartiers, 5 arrondissements, est régie par 229 sièges locaux de Zangbéto (5). Les Zangbéto, dit « gardiens ou chasseurs de la nuit », fonctionnent comme une police vaudou (Photo 7, 8 et 9). Ils interviennent dans un cadre territorial précis. Organisés en sociétés de masques, ils sont vêtus d’un manteau de raphia, et interviennent lorsqu’une personne se livre à une action contraire aux intérêts de la communauté.
La ville de Porto-Novo, comme celle de Ouidah, recèlent également un semis d’arbres sacrés ou « cultuellisés » (5), qui sont de vieux arbres sculptés, protégés de la pluie dans leur partie sommitale par une protection de tôle ondulée, elle-même surmontée d’un micro-toit de chaume (Photo 10). Ils revêtent une dimension sacrée et possèdent une fonction rituelle (échanges avec les esprits, réception d’offrandes) et imprègnent fortement le paysage urbain.
Le christianisme et ses lieux de culte maillent également le tissu urbain de la ville-capitale. La cathédrale Notre-Dame de Lourdes marque fortement le paysage urbain de Porto-Novo (Photo 11). Elle fut construite à la fin du XIXe siècle sous le roi Sodji, en réponse à l’édification de la grande mosquée. Les lieux sacrés sont instrumentalisés par les religions. L’espace est dit monumentalisé, par la construction des édifices religieux, afin d’en imprégner le paysage urbain. L’affirmation des religions dans les villes béninoises utilise également les noms des espaces publics. À Ouidah, le marquage religieux de l’espace urbain utilise l’odonymie. Dans cette ville, à la place de l’Immaculée Conception qui jouxte la Basilique éponyme, fait face l’esplanade du temple des Pythons, qui borde le temple du même nom.
Un grand nombre de mosquées, de petite taille, ponctue l’espace urbain de Porto-Novo. Elles portent en règle générale, seulement deux minarets, surmontés d’une étoile à cinq branches et d’un croissant de lune. La première, la mosquée Araromi (« je souffre dans ma peau »), jouxte un marché permanent, bien organisé, à l’éclairage urbain alimenté par des capteurs solaires, où il est également possible de transférer de l’argent (Photo 12). La seconde, la mosquée Issogba, située au cœur d’un centre artisanal et d’un marché de calebasses, arbore deux minarets de couleur blanche (Photo 13).
La grande mosquée afro-brésilienne a été conçue comme une cathédrale
Néanmoins, la grande mosquée, de style afro-brésilien, au sein de cette diversité architecturale religieuse, occupe une place singulière par son style et sa monumentalité propre aux bâtisseurs descendants d’esclaves issus du Nouveau Monde. Au-delà de l’édifice religieux, cette mosquée participerait d’une conquête des âmes (6).
Dès 1848, le roi Sodji désigne un imam, comme chef spirituel unique de la ville et lui attribue un terrain pour la construction d’une mosquée, qui voit le jour en 1880. Mais, la mise en place du culte musulman surprend certains habitants. Les cinq appels à la prière quotidiens des muezzins gênent les commerçants anglais de la ville.
En 1910 la construction d’une nouvelle mosquée est entreprise. Cette nouvelle mosquée est bâtie sur un terrain jouxtant le marché central de la ville (marché Ahouangbo), dont un riche citoyen afro-brésilien fait don à la communauté musulmane. Une délégation se rend à Lagos, pour visiter et étudier les plans de la mosquée principale de la cité, elle aussi de style afro-brésilien. La construction est interrompue entre 1914 et 1918, lors du premier conflit mondial. Le chantier est relancé en 1920. Puis, il est à nouveau arrêté, en raison de dissensions au sein de la communauté musulmane afro-brésilienne de la ville. Les autorités coloniales prennent le chantier en main dans les années 1930, reconnaissant par la même, l’importance de l’islam à Porto-Novo. Elle est enfin inaugurée en 1935. Puis, à partir de cette date, elle entre dans une période de travaux permanents, avant de connaître des extensions en 1950.
Sa monumentalité, qui impose le lieu comme support de significations religieuses fortes, en fait un des plus grands édifices religieux urbains du pays, avec la basilique de l’Immaculée Conception à Ouidah. Cette mosquée, au début du XXIe siècle, constitue un grand patrimoine, classé, en cours d’inscription par l’Unesco, par opposition aux nombreux petits patrimoines vernaculaires des villes béninoises, liés à la culture Orisha-Vaudou.
La grande mosquée afro-brésilienne de Porto-Novo, d’un style baroque, est directement inspirée des églises de Salvador de Bahia au Brésil. Cette ville brésilienne, fondée en 1549 par des colons portugais, une des plus anciennes du Nouveau Monde, accueillit le premier marché aux esclaves du continent sud-américain.
La grande mosquée n’a pas connu l’itinéraire d’une ancienne église transformée en mosquée, telle la cathédrale-mosquée de la ville de Framagouste à Chypre-Nord (7), ni comme la basilique Sainte-Sophie à Istanbul alternant entre culte musulman et chrétien, ni enfin telle la mosquée-cathédrale de Cordoue, tantôt lieu de culte chrétien, puis musulman, avant de redevenir chrétienne. La grande mosquée de Porto-Novo a été pensée, conçue comme une cathédrale, puis inaugurée en mosquée.
L’architecture de la grande mosquée afro-brésilienne de Porto-Novo mêle christianisme et islam
La mosquée afro-brésilienne de Porto-Novo est un magnifique édifice baroque, aux murs multicolores, qui mêlent en façade avant, le bleu turquoise, l’ocre, le jaune et le vert bronze (Photo 14). Le baroque sud-américain qui participe d’une surcharge décorative, de l’exubérance des formes, fait un usage opulent et tourmenté des matières, des couleurs. La symbolique de l’islam : étoiles à cinq branches (cinq piliers de l’islam), croissants de lune (le calendrier est lunaire et non solaire), prennent place aux emplacements réservés dans les églises, aux croix, aux crucifix et statues.
Pour la prière du vendredi, la rue située devant la grande mosquée afro-brésilienne se remplit d’hommes et de femmes coiffés à l’africaine (Photo 14). Des marchands sont assis à même le sol. Des vendeurs ambulants sillonnent la foule entre les croyants. L’aumône dite « aumône légale » étant un des piliers de l’islam, il n’est pas surprenant que les abords de l’ancienne mosquée accueille également des mendiants.
La photographie du « chaos » de la rue, un vendredi matin avant la prière des musulmans, entraine plusieurs prise de précautions chez le photographe-chercheur. Il convient de s’éloigner un peu de la foule des fidèles, pour éviter tout style éventuel de méfiance. Plusieurs hommes de confession musulmane, interrogés dans la rue, méconnaissent voire nient le fait que la grande mosquée afro-brésilienne ait été conçue à l’origine comme une cathédrale.
Dans l’islam, l’appel des fidèles, le vendredi, pour la prière de la mi-journée, s’effectue selon les mosquées, entre 12h et 15h. Chaque mosquée choisit l’horaire de la prière du vendredi. Cette prière, pour les musulmans est la plus importante de la semaine. La mosquée, le vendredi, est un lieu de réunion des fidèles, de prière collective, en présence d’un imam qui délivre le sermon du jour. L’imam de la grande mosquée de Porto-Novo est désigné par le représentant des musulmans des différents groupes ethniques (Haoussa, Goun, Yoruba, Afro-brésiliens).
Le tympan de la cathédrale devenue mosquée, photographié en position frontale, sans premier plan, est fait de formes abstraites (Photo 15). Il est peu abondant en signes religieux, usant davantage de représentations de végétaux, de décors floraux (feuilles d’acanthe), que de formes géométriques. Il incorpore des éléments de couleur verte (couleur préférée du prophète Mahomet, symbole de l’espoir et de la paix ; un passage du Coran décrit le paradis tel un endroit où les personnes « porteront » des vêtements verts en soie fine). Dans la partie sommitale de la forme triangulaire, de discrètes étoiles à cinq branches rappellent aux fidèles les cinq piliers de l’islam.
La grande mosquée afro-brésilienne et la grande mosquée moderne, juxtaposées, très proches l’une de l’autre, livrent au visiteur, la vue de plusieurs minarets, aux tailles, aux formes et au corpus de signes religieux très spécifiques à chacune. Ceux de la mosquée afro-brésilienne, surmontés d’un croissant de lune (signifiant le dernier croissant de lune marquant la fin du ramadan, mois sacré de l’islam), sont incrustés d’une étoile à cinq branches. Ils furent bâtis avec une forme carré tels d’anciens clochers baroques (Photo 16). Le minaret, comme le clocher chrétien, a pour fonction d’appeler les fidèles à la prière. La hauteur et l’architecture des minarets signalent la présence de la mosquée dans la ville.
Le bâtiment baroque islamisé, afro-brésilien, bien que lieu de culte vivant, dans le Porto-Novo contemporain, est dans un mauvais état d’entretien, à la différence de la grande mosquée moderne. Mais, comme il est souvent de règle dans le monde musulman, les abords des lieux de culte, en particulier ceux des mosquées, sont nettoyés et entretenus en permanence (Photo 17).
La façade arrière de la mosquée afro-brésilienne (Photo 18) participe d’un grand soin du détail. Une encoche, placée au-dessus d’un arc roman, porte, en langue arabe, l’inscription Allah Akbar (« Dieu est grand »). Elle constitue le premier terme de l’appel à la prière dans les mosquées, ainsi que le premier mot de chacune des cinq prières faites par un musulman dans la journée.
La grande mosquée moderne
La grande mosquée moderne, en son centre, déploie une ample coupole (koubba en arabe) (8). L’arrondi du toit de celle-ci, dans l’islam, représente une voûte céleste, qui signifie la transcendance de l’homme vers Dieu. Sous le dôme, se trouve la salle de prière et le mihrâb, la niche qui indique la direction de la Mecque.
Les minarets de la grande mosquée moderne de Porto-Novo portent, dans la partie sommitale, au-dessus d’une micro-coupole, trois sphères dorées (Photo 19). Elles symbolisent les lieux saints de l’islam : La Mecque, Médine, Jérusalem. Il est à noter que la ville de Harar (inscrite au patrimoine de l’Unesco, comprenant 82 mosquées), située en Éthiopie, est considérée par de nombreux islamologues comme le quatrième lieu saint de l’islam. Mais cette ville sainte de l’islam, située en dehors du Maghreb et du Machrek, n’est jamais reconnue comme lieu saint, pas davantage dans l’islam africain subsaharien (7).
La mosquée est bordée par le marché permanent Ahouangbo (Photo 19), qui souligne la pauvreté générale de la ville, malgré l’abondance des produits de contrebande, dans un pays classé parmi les PMA (Pays les Moins Avancés), classé pour son IDH (Indice de Développement Humain) au 166e rang mondial sur 188 pays. Ce retard de développement est tempéré, néanmoins, dans le paysage, par la présence d’un éclairage urbain moderne, alimenté par des capteurs solaires.
Conclusion
Fondée par les Yoruba au XVIIIe siècle sous le nom de Hogbonou, Porto-Novo est nommée pour sa ressemblance avec la ville du nord du Portugal, en 1752, par les Portugais. Ancienne capitale de la colonie du Dahomey, elle est la ville-capitale de la République du Bénin. Porto-Novo figure sur la liste indicative de l’Unesco depuis 2002, au titre de ville créative. Elle vit du commerce extralégal avec le voisin nigérian. Cité à majorité yoruba et goun, elle est parcourue d’un foisonnement de croyances, qui s’affichent à travers la multiplicité des lieux de culte. Le plan « Bénin Révélé 2016-2020 » a choisi la ville pour être le pôle national des religions endogènes et projette d’y construire le musée des Arts et de la Civilisation Vaudou-Orisha. Néanmoins, dans le paysage religieux et cultuel de Porto-Novo, c’est surtout la grande mosquée afro-brésilienne, de style baroque, qui interpelle le photographe-chercheur et les rares touristes. Comme lieu sacré, elle a été conçue comme une cathédrale, mais inaugurée en tant que mosquée. La diversité des architectures religieuses (temples Vaudou-Orisha, temples des ancêtres, églises du christianisme Céleste, cathédrale, églises, mosquées etc.) pourrait fonder une mise en tourisme spécifique des lieux de culte par des visites spécialisées et des circuits de découverte des patrimoines et des paysages cultuels.
L’auteur remercie deux enseignants-chercheurs géographes, pour leurs échanges scientifiques autour de cet article.
Mohamed Souissi, Maître-Assistant à l’Université de Sfax, membre du laboratoire Syfacte (Tunisie).
Messan Lihoussou, Maître-Assistant dans le département de géographie, Faculté des Sciences Humaines et Sociales, Université d’Abomey-Calavi (Bénin).
Notes
(1) Principaud J.P., 2004, Le tourisme international au Bénin : une activité en pleine expansion, Cahiers d’Outre-Mer, n° 226-227, Bordeaux, En ligne.
(2) Rieucau J., 2019, Ouidah (Bénin) : mettre en tourisme la ville du binôme culture vaudou/mémoire de l’esclavage, Cahiers d’Outre-Mer, Bordeaux, n° 280, En ligne.
(3) Guran M., 2010, Agoudas, les Brésiliens du Bénin, Éditions La Dispute, Paris, 304 p.
(4) Bénin Révélé, 2016-2020, Programme d’Action du Gouvernement, Présidence de la République, En ligne.
(5) Agossou N., 2008, Les villes du Bénin méridional : entre nature et culture ?, Géographie et Cultures, Paris, n° 62, En ligne.
(6) Zerbini L., 2019, L’architecture catholique du nord-ouest du Bénin. D’une symbolique missionnaire à l’affirmation d’un modèle culturel, Entre les divinités des uns et les démons des autres. Religion, ville et État, Hémisphères, dir. Rougeon M., Santiago J.P., Maisonneuve et Larose, Paris, p 83-103
(7) Rieucau J., 2020, Introduction, Lieux symboliques complexes au Maghreb et au Machrek, Appropriation, tensions et partage, dir. Rieucau J., Souissi M., l’Harmattan, Paris, p 11-34. Lire le compte-rendu.
(8) Rieucau J., Souissi M., 2016, La zaouïa au Maghreb. Entre le religieux et le tourisme rituel, le cas de la zaouïa de Sidi el Kantaoui (Tunisie), l’Harmattan, Paris, 98 p.
Jean Rieucau, juillet 2020
NB : Toutes les photographies ont été prises par l’auteur.