Céline Broggio, géographe, Université Jean Moulin Lyon 3.
Virginie Chasles, géographe, Université Jean Moulin Lyon 3.
Sophie Pamiès, médecin, Direction de l’écologie urbaine (Lyon).

Les Cafés Géo de Lyon accueillent le 26 mars 2014 à 18h au Café de la Cloche, deux maîtres de conférences en géographie Virginie Chasles et Céline Broggio de l’Université Jean Moulin Lyon 3 et Sophie Pamiès, médecin territorial, médecin directeur de l’Ecologie urbaine à Lyon. Ce Café Géo vise à articuler des discours scientifiques et une pratique de terrain. Il s’agit d’articuler un champ de la géographie (la géographie de la santé) et un terrain d’action (le quartier des Buers à Villeurbanne), et de voir s’il est possible de mobiliser le territoire pour préserver et améliorer la santé des populations concernées. Cette question est ancienne mais est renouvelée par des enjeux de santé, notamment le surpoids et l’obésité. Ce propos vise alors à relier les facteurs individuels mais aussi le rôle du territoire comme déterminant de santé. De ce fait, l’intervention s’organise en trois temps : en premier lieu, il s’agit de présenter le territoire comme un élément déterminant de la santé ; ensuite, l’objectif est d’expliquer pourquoi l’obésité (et plus particulièrement infantile) est un enjeu de santé publique majeur et enfin, la présentation du terrain d’action ouvre la réflexion sur la problématique de l’urbanisme favorable à la santé.

Virginie Chasles nous propose un aperçu théorique de la géographie de la santé face à un déterminant de santé : le territoire. Elle s’appuie sur la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour s’extraire d’une approche purement médicale et mettre en lumière le rôle de l’individu et des contextes : « la santé est un état de complet bien-être à la fois physique, mental et social et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité ». Cette définition de la santé invite à s’intéresser à la multiplicité des facteurs qui l’influencent. Parmi eux, peuvent être cités : le patrimoine biologique, les facteurs sociaux et les déterminants territoriaux (qualité du logement, qualité des équipements, aménités environnementales, pollutions, mais aussi offre de soins et de services).

Ainsi, le territoire influence à la fois la santé des individus. Le territoire influence par exemple l’activité physique : il peut soit faciliter, soit contraindre l’adoption de comportements favorables à la santé. Il s’agit là d’un enjeu de santé publique majeur puisqu’il concerne les enfants (prévention de l’obésité), les adultes (prévention des maladies chroniques et cardio-vasculaires) et les personnes âgées (lutte contre la dépression et la perte d’autonomie). Ainsi, si la pratique d’une activité physique est liée à des motivations individuelles, elle est aussi liée aux aménagements proposés aux individus. De ce point de vue, la propension à marcher pour se déplacer est associée à trois facteurs de l’environnement urbain : la densité bâtie (l’augmentation de la densité accroît l’importance de la mobilité piétonne), la proximité des services et la mixité des usages (la mixité résidentielle et commerciale est favorable à la mobilité). D’autres éléments jouent aussi un rôle comme les espaces verts, la qualité des cheminements, l’accessibilité, la sécurité notamment ressentie… La combinaison de ces facteurs permet de mesurer le niveau de marchabilité des espaces. Il a été montré qu’une augmentation de 5 % de ce niveau de marchabilité était associée à une hausse de 30 % du temps individuel de transport actif (marche, vélo…), participant à la réduction des risques sanitaires liés à l’insuffisance d’activités physiques et, aussi, à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En effet, plus les modes de transports actifs augmentent, moins les autres modes de transports sont mobilisés.

L’aménagement du territoire joue également un rôle sur la santé des populations à travers les bienfaits sanitaires de la nature en ville. La nature en ville encourage la mobilité physique, mais elle réduit aussi les nuisances sonores et réduit ainsi les troubles extra-auditifs comme les troubles du sommeil, l’hypertension et les troubles dépressifs. La nature en ville favorise aussi la régulation thermique de l’îlot de chaleur urbain et atténue ainsi certains risques sanitaires, et notamment en cas de pollution ou de canicule (hyperthermie, déshydratation…).

Un deuxième exemple peut être évoqué : l’impact de la dégradation (sociale, fonctionnelle) des lieux sur la santé mentale. De ce point de vue, la qualité des environnements sociaux influence les relations sociales. Or, l’isolement ou la marginalisation sont des facteurs dégradants de la santé (adoption de comportements à risque, moindre recours aux soins). Cet aspect est particulièrement important pour les personnes vulnérables (personnes à mobilité réduite, âgées, précaires…), qui ont un faible capital mobilitaire, et peuvent percevoir leur environnement comme anxiogène et incapacitant. A ce sujet, l’étude RECORD menée en Ile-de-France a montré que les habitants de quartiers défavorisés souffrent davantage d’hypertension. De même, la cohorte SIRS souligne que les troubles dépressifs sont plus importants dans les Zones Urbaines Sensibles.

A partir de ce cadrage général sur le rôle du territoire dans les enjeux de santé, un zoom est maintenant proposé sur les problèmes liés à l’obésité qui sont, eux aussi, en partie des problèmes liés à l’aménagement des territoires. Ce deuxième temps de l’exposé est proposé par le docteur Sophie Pamiès. Elle commence par rappeler les chiffres de l’obésité de l’enfant en France : en 1980, 6% d’enfants obèses, en 1995, 13%, en 2000, 16% et en 2013, 12 à 14% d’enfants obèses (dont 3% en obésité maladive). Une étude de l’INSERM et du laboratoire Roche estime à 15% le taux d’obésité chez les adultes, alors que l’obésité est aujourd’hui vue comme une maladie de l’enfant. Les études en grande section de maternelle et en CM2 montrent un gradient social de surpoids. Les enfants de cadres sont moins touchés par l’obésité (1% contre 7% pour les enfants dont au moins un parent est ouvrier). Dans les établissements en ZEP, il y a aussi une surreprésentation des enfants obèses. Les écarts tendent à croître, comme les inégalités sociales.

© OCDE

© OCDE

© AFP

© AFP

© Obépi

© Obépi

Quelles sont les causes du surpoids et de l’obésité chez les enfants ? De manière générale, l’augmentation de la prévalence de cette pathologie est liée à l’urbanisation et à la modification des modes de vie qu’elle a entraînée : consommation d’aliments riches en graisses et en sucres, diminution de l’exercice physique en lien avec le développement des transports et des nouvelles formes de travail et de loisirs (sédentarité). Deux questions sont alors centrales : quel est le rôle du territoire dans l’augmentation de la prévalence de cette maladie ? et comment mobiliser le territoire pour réduire les risques de surpoids et d’obésité ?

L’activité physique semble alors une solution mais comment la promouvoir ? L’OMS recommande 60 minutes d’activités physiques quotidiennes. L’activité physique recouvre les jeux, le sport, les déplacements, les tâches quotidiennes, les activités récréatives, l’éducation physique… Ces activités permettent de développer un appareil locomoteur sain, un bon appareil cardiovasculaire, une conscience neuromusculaire (coordination et contrôle des mouvements), un poids approprié et aussi de profiter de meilleures relations sociales et de bénéficier d’un bon état psychologique. Cependant, en moyenne, 37% des enfants de grande section passent plus d’une heure devant un écran (d’après La santé des enfants en grande section de maternelle en 2005-2006, Etudes et résultats n° 737, septembre 2010, DREES). Un enfant sur deux a accès à un écran dans sa chambre. Devant un écran, l’enfant est dans une activité sédentaire qui ne consomme pas suffisamment d’énergie. Une politique tournée vers l’activité physique doit donc viser d’une part à réduire la sédentarité et d’autre part à promouvoir l’activité physique.

Ainsi, la promotion de l’activité physique et la lutte contre la sédentarité sont des leviers pertinents dans le cadre d’une politique de prévention. L’action sur l’environnement de l’enfant est recommandée dans le cadre du PNNS, notamment dans le cadre de la promotion de l’activité physique. Les modes de vie urbains et l’aménagement des villes peuvent donc constituer des ressources  pour l’activité physique et donc participer à la réduction de certains risques sanitaires.

Céline Broggio présente alors l’étude menée avec des étudiants de l’Université Jean Moulin Lyon 3 (parcours Aménagement) dans le quartier des Buers à Villeurbanne, une des communes limitrophes de Lyon. Cette étude est fondée sur un partenariat : trois écoles, la municipalité de Villeurbanne, les animateurs de quartier, le bailleur social Villeurbanne Métropole Habitat, l’agence régionale de Santé et le Grand Lyon.

A Villeurbanne, le service municipal de santé scolaire suit les enfants scolarisés, avec une attention particulière sur les quartiers défavorisés. Ce travail de suivi a permis de mettre à jour, dans le quartier des Buers, des taux d’obésité chez les enfants à la fois élevés (comparativement à la moyenne communale) et stables. L’objectif de cette étude est de voir comment la structure du territoire influence l’adoption de comportements non favorables à la santé (sédentarité, vulnérabilité sociale) et contribue à la stabilité du taux d’obésité. Ainsi, comme l’obésité tient pour partie aux comportements (TV, jeux vidéo, modes d’alimentation…) mais aussi au territoire (appartement, manque de mixité fonctionnelle de la ville), l’aménagement peut-il contribuer à réduire cet enjeu de santé publique ?

 

Pour répondre à cette question, le travail se fonde sur une étude sur le terrain, dont l’objectif est de faire un diagnostic des espaces pratiqués par les enfants (6-9 ans) et d’envisager les potentiels de mobilité. L’analyse se focalise sur les pratiques spatiales dans les espaces dédiés aux enfants, dans les espaces avec du potentiel de mobilité et, inversement, dans les espaces défavorables à l’activité physique des enfants. Trois méthodes sont mobilisées : l’observation des espaces publics (selon les jours et les heures),  un carnet de témoignages pour des observations qualitatives et un questionnaire sur la mobilité passé au sein des écoles (par les enseignants, les infirmières scolaires et les étudiants).

Le quartier des Buers présente l’intérêt d’être concerné par une politique de renouvellement urbain. Ainsi, les résultats de cette étude, en cours d’élaboration, devraient être pris en compte dans les projets d’aménagement.

 

Le débat avec la salle commence alors.

 

L’urbanisation apparaît comme un facteur pathologique mais aussi comme une solution. Mais qu’en est-il des différents quartiers de la ville entre le centre-ville, la banlieue, le périurbain ?

VC Une comparaison est en cours à Lyon dans le quartier des Etats-Unis, la Croix-Rousse et Gerland. Les territoires ne sont pas appropriés de la même façon : le quartier des Buers a pu apparaître comme peu approprié par les enfants, en opposition avec la Croix-Rousse. Bien évidemment, le sentiment de sécurité et les catégories socio-économiques peuvent jouer.

CB Dans ce quartier, des équipements sont nombreux, mais sont inadaptés après 7 ans (trop petits, trop d’objets). De plus, les infrastructures de transport peuvent devenir des obstacles : il est difficile d’aller d’un espace à l’autre pour jouer du fait de routes dangereuses. La sécurisation des circulations et des passages semble nécessaire.

Pouvons-nous revenir sur la question de l’alimentation des enfants qui semble avoir un impact sur la santé, le territoire peut-il là aussi nous apprendre quelque chose ?

SP Les rations des enfants ont considérablement diminué, alors que les poids augmentent. Les enfants mangent moins, mais l’obésité croît. Cela pose directement la question de l’activité physique. L’alimentation est déterminante : elle est très corrélée au niveau d’éducation et de formation des parents. Cette question est subtile. Dans le quartier des Buers, le bailleur social porte un projet d’AMAP, mais il semble plus intéressant de travailler avec les discounteurs autour des questions de prix, de choix des produits et de leur transformation possible par la cuisine. Il s’agit de se rapprocher des familles pour aider à faire comprendre. C’est l’un des objectifs du Passeport Santé, mis en place à Villeurbanne,

CB L’offre alimentaire peut être cartographiée. La diversité et la qualité de l’offre posent des questions. Les jardins partagés sont de plus en plus inclus par les bailleurs sociaux.

Y a-t-il un lien entre enfants obèses et parents obèses ?

SP Il y a un lien entre l’activité physique des parents et celle des enfants. Les habitudes alimentaires et de sédentarité sont reproduites. On voit donc une certaine corrélation. Il faut s’intéresser à ce que vit l’enfant et comprendre ce qui se passe dans la famille. Les parents d’enfants en surpoids sont souvent en souffrance et vivent mal le fait d’avoir des enfants en surpoids. Il faut redonner confiance en la fonction parentale. L’accompagnement peut donc apparaître comme lourd. Face à un enfant en surpoids, des réflexes peuvent être inappropriés notamment pour sa sécurisation. Il faut donc redonner les bons réflexes pour favoriser un développement psychomoteur. Le milieu doit alors être favorable pour rassurer les parents.

L’obésité n’est-elle pas une affaire de génétique ?

SP L’obésité ne sera jamais nulle. L’obésité pose la question d’un équilibre entre la gestion et la dépense de calories. De plus en plus d’équipements rendent difficiles cet équilibre (ascenseur, escalateur…).

Y’a-t-il des aménagements urbains de filles et des aménagements urbains de garçons ?

CB Ces questions ne sont pas forcément prises en compte. La différenciation peut se faire après sept ans, un moment où l’offre est de toute façon lacunaire. Des différences culturelles peuvent expliquer ce problème : les jeunes filles ont-elles le même accès aux jeux en extérieur ?

VC De nombreuses études montrent des pratiques genrées notamment après la puberté.

SP Si on considère l’âge, à l’adolescence et à la pré-adolescence, les filles ont moins d’activités sportives.

Les technologies de l’information peuvent-elles être mobilisées pour favoriser la mobilité ?

SP Il y a de plus en plus de projets de ce type qui émergent. Cela ne semble pas répondre à l’activité physique des 7-9 ans. La question du déplacement semble beaucoup plus cruciale. Les technologies semblent plutôt viser un public adolescent plus autonome. De plus, si les enfants peuvent être férus de nouvelles technologies, les parents le sont souvent moins.

La publicité télévisuelle à destination des enfants peut-elle être un levier efficient ?

SP En Suède, des mesures ont été mises en place et ce pays est moins touché que les autres pays européens par l’obésité. L’enfant est très sensible et réceptif : il peut orienter les achats de ses parents. Un des vecteurs du plaisir peut être alimentaire : chips ou barres chocolatées… C’est gratifiant pour les parents et surtout demandé par les enfants… Il y a aussi des images sur lesquelles il faut agir parce que fausse : une tranche de pain et une barre de chocolat sont vus à tort comme un goûter du pauvre.

CB Les occasions de tentations sont multiples : la publicité n’est pas la seule. Le supermarché est un lieu de nombreuses tentations.

Le quartier des Buers semble fermé sur lui-même avec un espace vert hypothétique. Comment les populations vont-elles s’approprier l’espace vert ? Comment dépasser un simple ratio d’espaces verts ?

CB L’espace vert pourrait devenir un des passages vers l’école. A cela s’ajoute la route passante.

SP L’enjeu de mixité sociale est réel entre logements sociaux mais aussi accession à la propriété. Certaines barres vont être démolies : l’ouverture va réduire la clôture de l’espace qui pouvait être source de sécurité. Si le parc devient agréable, le cadre de vie sera moins marqué par le périphérique.

CB Les espaces verts assez larges pourraient correspondre aux besoins des 8-10 ans. Mais ces espaces verts risquent d’être bâtis pour du résidentiel pour rendre la ville plus compacte.

Comment promouvoir l’espace requalifié ?

SP On remarque la banalisation de la rue Henri-Barbusse l’été. Elle est sans voiture pour différentes animations et favoriser le lien social. Une réflexion est menée autour des événements sportifs qui doivent devenir plus festifs. Un fléchage d’itinéraires piétons pour rejoindre les parcs se met en place. Il s’agit de favoriser la traversée de la Doua, en travaillant avec l’université Lyon 1 notamment pour rejoindre le fleuve Rhône. Il y a aussi des contraintes de flux automobiles quand les enjeux se télescopent : les acteurs de santé publique apportent toujours de nouveaux enjeux, en questionnant les usages.

CB La santé est un fil conducteur pour l’aménagement du territoire en visant davantage de qualité. L’autonomie est aussi une solution, notamment pour la gestion des domaines d’habitation. L’administration poussée à l’extrême n’est pas forcément nécessaire.

Ce quartier est-il source d’importantes inégalités ?

SP La carte scolaire est censée mixer les populations. Mais il y a des échecs. Ces chiffres devraient être labiles, mais ici la permanence est forte : l’obésité reste quand les enfants passent.

Quand cette étude s’achèvera-t-elle ?

VC La restitution aura lieu à l’université Jean Moulin Lyon 3 et dans le quartier des Buers à partir du 30 juin 2014.

 

Compte-rendu réalisé par Emeline Comby relu et amendé par les intervenantes.