Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre ont convié à l’écriture « d’une histoire du monde par les produits alimentaires » de très nombreux auteurs. Pas moins de 400 pages qui se dévorent à pleines dents. Vous ne serez pas surpris que le chapitre sur le vin soit confié à Jean-Robert Pitte et que Christian Grataloup vous invite à la consommation du thé et à la dégustation de la baguette de pain tandis que Philippe Pelletier vous propose sushi et saké. Emmanuelle Perez Tisserant offre le chili con carne et le guacamole. Sylvain Venayre nous sert des charcuteries et du ketchup, Pierre Singaravélou opte pour le whisky et le rhum. Une centaine de produits sont proposés, dans un inventaire à la Prévert, où chacun pourra tout à la fois s’instruire gaiement et se mettre l’eau à la bouche. A vous tous, gourmands ou gourmets, ils offrent un savoureux voyage dans la grande « épicerie du monde ». Vous terminerez avec une coupe de champagne proposée par Stéphane Le Bras.
L’épicerie, magasin consacré aux produits alimentaires, se généralise au milieu du XVIIIe siècle. Mais le commerce des épices est bien plus ancien. En Angleterre la guilde des poivriers date de 1180 et l’épicerie est « magasin d’épices » avant de devenir boutique de produits alimentaires. La Révolution industrielle et la révolution des transports vont mondialiser les désirs identitaires, dont ceux liés à la gastronomie. Les expositions universelles apporteront à leur tour une mondialisation des offres. La baguette française, le roquefort et bien sûr les vins français doivent paraître sur les grandes tables, au XXe siècle.
Qui ne connaît à présent le Christmas pudding, emblème de l’empire britannique, la pizza italienne, le saké japonais, la féta grecque ou le ceviche péruvien ! Mais êtes-vous sûrs de connaître la patrie du couscous, du houmous, de la vodka ?
L‘accès aux produits alimentaires est vital pour les populations. Des guerres peuvent éclater ici ou là. Les historiens ont noté la destruction du thé britannique par les colons de Boston en 1773. Dans un contexte différent, la guerre entre l’Ukraine et la Russie (ou plus exactement l’invasion de l’Ukraine), enclenchée en février 2022, comporte un volet alimentaire : celui des céréales exportées par l’Ukraine mais à présent retenues par les navires russes. Cela va provoquer des crises alimentaires graves, deux milliards de personnes restant frappés de malnutrition.
Les pratiques sociétales évoluent. Il n’y a pas si longtemps on pouvait rester plusieurs heures à table lors des repas dominicaux ; il y avait l’heure du thé en Angleterre, l’heure du raki en Turquie. Les femmes au foyer préparaient « avec amour » des plats appétissants. Mais la généralisation du travail féminin a conduit à la consommation de boîtes de conserves puis de plats surgelés. La publicité s’est chargée de vous faire acheter du Coca Cola dès 1916 !
Au début du XXIe siècle, la restauration doit être rapide, autour d’une baraque à frites ou à hot-dogs, ou à hamburgers. Le fish and chips eut son heure de gloire, mais s’affirmer végétarien ou vegan, c’est « être tendance » dans les années 2020.
Consommer tel ou tel produit pouvait être recommandé par le corps médical. Ainsi le whisky et le vin de Porto facilitaient la digestion ou bien soignaient la goutte. Mais aujourd’hui l’OMS nous met en garde en listant des produits cancérigènes ou favorisant l’obésité… On ne sait plus à quel saint se vouer… Rassurez-vous, les Appellations d’Origine Contrôlée (AOC) vont nous permettre non seulement de choisir les meilleurs produits mais aussi ceux qui bénéficient d’un contrôle sanitaire.
Dans l’introduction de l’ouvrage, on peut lire une citation de Roland Barthes qui déclarait que la nourriture suscitait trois sortes de plaisir : celui de la convivialité, par le fait de partager le même plat ; celui de la réminiscence, qui nous fait retrouver les goûts de notre enfance ; et celui du nouveau, de l’insolite qui nous attire vers celles et ceux que nous ne connaissons pas encore.
Un savoureux voyage à ne rater sous aucun prétexte.
Maryse Verfaillie, août 2023