Café cartographique « Les forêts grecques aujourd’hui et leur devenir », avec pour invité Michel Sivignon, 8 octobre 2010, 19h30, au Kiss Bar, St-Dié-des-Vosges.
Introduits par Jasmine Salachas, deux cafés cartographiques autour des incendies de forêts se déroulent en cette soirée du vendredi 8 octobre à St-Dié-des-Vosges. Le premier concerne les incendies en Grèce à l’été 2009[1]. Le second, animé par le géographe Jean Radvanyi, aborde une actualité très brûlante à travers les incendies de forêts en Russie à l’été 2010 (en écho au café géo de Paris quelques jours plus tôt). « De l’imaginaire à la réalité… Grèce, Russie : un état des lieux » va être au cœur de ces deux cafés cartographiques qui vont entraîner le public du Festival international de géographie dans des décors forestiers très différents.
Michel Sivignon, géographe spécialiste des Balkans et tout particulièrement de la Grèce, aborde dans la première partie de la soirée, dans l’ambiance très animée du Kiss Bar, le cas des incendies de l’été 2009 qui ont décimé une bonne partie du patrimoine forestier de ce pays. Pour mettre en perspective ces incendies de forêt qui ont été très médiatisés en Grèce comme à l’extérieur du pays, Michel Sivignon rappelle quelques statistiques. Il précise d’emblée qu’il ne faut pas les prendre pour exactes: elles sont très relatives, mais donnent avant tout une idée de l’ampleur des incendies. La forêt constitue une part considérable du territoire grec si l’on croit les statistiques nationales. En effet, 1/4 du territoire est classé dans la catégorie « forêts strictes » (soit les espaces peuplés d’arbres de plus de 1,20 mètre de haut). De plus, 24 % du territoire grec est occupé par ce qui est appelé dans les statistiques les « autres formations forestières » (maquis). Enfin, les Grecs y ajoutent les espaces agricoles abandonnés (souvent sur les pentes fortes sur lesquelles il faut travailler à la pioche, pratique abandonnée) et les terres incultes : cette troisième catégorie de formation forestière (pour les statistiques grecques) représente 18 % du territoire. Au total, la réglementation forestière s’applique sur 67 % du territoire (avec toutes les réserves que l’on peut faire concernant cette catégorisation !). Une telle conception pose des problèmes à la fois en termes de définition scientifique (les trois catégories correspondent-elles réellement à des espaces forestiers ?) et en termes de gestion : l’ensemble de cet espace appartient au domaine public (Etat, communes, monastères) mais aussi au domaine privé.
Parallèlement, Michel Sivignon rappelle que 70 % du territoire grec est montagnard. Il juxtapose la carte des montagnes et celle des espaces forestiers, et montre la concordance entre les deux. En effet, il existe de moins en moins de forêts littorales en Grèce : les dernières sont fortement menacées par le développement du tourisme. La forêt tend à se confondre avec la montagne. Or le peuplement des zones montagneuses comme celui des certaines îles est dicté par les saisons. Les régions montagneuses constituent la « Grèce du vide » en hiver, tandis qu’elles sont occupées seulement en été, pour des raisons de tourisme ou de retour au village des Athéniens ou des Grecs des autres villes. Le peuplement du territoire grec est ainsi marqué par l’abandon de la montagne, et encore plus de la forêt, au profit des villes et du littoral. Les espaces forestiers et montagnards correspondent de surcroî tà une Grèce vieillissante.
Néanmoins, il ne faut totalement confondre les zones montagneuses et les espaces forestiers. La limite supérieure de la forêt se confond avec la limite des zones de pâturage. En effet, cette pratique estivale se maintient en haut des montagnes, du fait du prix élevé de la viande et de la possibilité de faire appel à la main-d’œuvre albanaise, nombreuse et « bon marché » : chaque famille de pasteurs a son berger albanais. Grâce aux fonds européens on a construit beaucoup de routes et de pistes. La nécessité de construire des routes pour relier les hauteurs montagneuses et les vallées s’est faite d’autant plus pressante durant l’été 2009 du fait de l’ampleur des incendies. Mais, elle n’est en rien une nouveauté : Michel Sivignon rappelle ainsi que le 28 août 2007, des feux de forêts dans le Péloponnèse mais aussi dans le Nord de l’Albanie et dans le Sud du Monténégro, avaient déjà révélés ces déficiences en termes d’infrastructures de transport.
Il est intéressant de noter combien tous les incendies de forêts en Grèce ne sont pas relayés de la même façon par les médias. D’ailleurs, Michel Sivignon invite le géographe Jean Radvanyi à faire le parallèle avec les incendies de forêts en Russie. Ce dernier aborde le cas du bilan chiffré des incendies de l’été 2010 : deux séries de chiffres contradictoires ont été diffusés. Les statistiques russes (qui ne prennent en compte que les lieux accessibles et les espaces forestiers bénéficiant d’aménagements et d’entretiens) parlent de 1,5 millions d’hectares détruits, tandis que les statistiques de différentes associations internationales pour la protection de la nature (élaborées à partir d’images satellites) parlent de 15 à 16 millions d’hectares. L’écart entre les deux chiffres est colossal. Jean Radvanyi rappelle le problème de la méthodologie utilisée pour établir de tels chiffres.
Michel Sivignon montre alors la disproportion entre la superficie détruite et la couverture médiatique des incendies : 15 millions d’hectares en Russie, c’est la superficie de la Grèce ! Pourtant, les incendies de l’été 2009 en Grèce et ceux de l’été 2010 en Russie ont eu le même retentissement médiatique à l’extérieur de ces pays. Michel Sivignon s’interroge aussi sur « l’événement » : en Grèce, chaque année, 20.000 hectares de forêt brûlent (du fait des vents annuels de l’été qui diffusent les incendies). Mais, en 2007, les incendies ont pris une autre tournure : on a dénombré 80 morts. C’est non la question des incendies, mais celle de la gestion de ces incendies qui a été au cœur de l’intérêt médiatique. Il faut rappeler que pour la plupart des décès, il s’agit avant tout d’une mauvaise réaction face à la menace : Michel Sivignon explique en effet que beaucoup d’habitants, souvent âgés ont ainsi refusé de quitter leurs villages, où ils sont restés seuls. Mais au moment où les incendies se sont rapprochés de leur habitation, ils ont paniqué, et sont partis au dernier moment. Certains n’ont pas eu le bon réflexe au vu du sens des vents, et sont partis en direction des incendies. Plus qu’un problème d’aménagements (notamment en termes d’infrastructures routières), les incendies de l’été 2009 ont montré un véritable problème d’autorité de la part des pouvoirs publics.
Les incendies questionnent sur la société, sont révélateurs de problèmes divers. Mais aussi, ils donnent à voir des « espaces prioritaires » dans la protection : en Grèce, on protège d’abord les maisons, puis les oliviers. La garrigue et le maquis ne bénéficient pas de protection lors des incendies. Un autre problème est celui de la prévention : comment les autorités opèrent-elles pour prévenir les menaces ? L’impact médiatique des incendies de forêt en Grèce durant l’été 2009 apermis que ces sujets soient amenés au cœur du débat public.
Débat :
1/ Une part des incendies n’est-elle pas volontaire ?
Michel Sivignon : On a calculé la part des incendies volontaires : ils sont peu nombreux (environ 20 % du total des feux de forêt). La part la plus importante est composée des incendies par inadvertance (environ 40 %) et des feux sans cause évidente (environ 40 %). La réaction des Grecs vis-à-vis des incendies volontaires est très intéressante : beaucoup ont jugé que « c’était bien fait pour l’Etat ! ». Ils révèlent que le domaine forestier public est assimilé à l’Etat par les Grecs.
2/ Cela rappelle le cas des incendies sur le Pentélique au nord d’Athènes : si ça brûle, certains terrains deviennent constructibles.
Michel Sivignon : A l’été 2009 comme à l’été 2010, des feux ont atteint la banlieue d’Athènes (où l’on trouve des forêts suburbaines). Ainsi, il faut l’aval du service forestier pour toute demande de permis de construire .Le service forestier statue d’après des photos aériennes américaines de 1945 bien que les conditions aient beaucoup changé !). Le problème de la « crise grecque » a révélé la grande difficulté de l’Etat à contrôler l’application de ses propres lois ! Dans la banlieue d’Athènes, le prix du foncier exploserait si la forêt périurbaine disparaissait.
A l’heure actuelle, l’Etat « reprend du poil de la bête ». C’est aussi à ça que servent les crises ! Mais, dans cette histoire, il ne faut pas oublier la relation aux médias : en même temps que les incendies de forêt en Grèce, ona peu parlé des inondations en France (Nîmes, Draguignan…), ou tout du moins on n’a pas remis en cause les autorités et l’administration françaises face à la catastrophe « naturelle » comme on l’a fait pour la Grèce. La Grèce a bon dos !
3/ Je suis pompier. Le dispositif sécuritaire grec est tout de même impressionnant : la Grèce a la plus grosse flotte de bombardiers d’eau. De plus, des pompiers extérieurs (par exemple, les Français) sont venus en aide aux pompiers grecs. Pourquoi donc ces incendies se sont autant étendus ?
Michel Sivignon : En effet, cela révèle les problèmes d’organisation des services de secours grecs. Avant, ils se étaient dépendants du service forestier. Mais, depuis une quinzaine d’années, ils sont sous la tutelle du ministre de l’environnement. Or, il n’existe pas de relations entre le ministère de l’environnement et celui de la protection civile.
Autre problème : celui de l’existence d’un mode d’occupation du sol qu’on n’a pas anticipé. En effet, la montagne est habitée saisonnièrement (en été) par des retraités (dans le village de leurs origines). D’ailleurs, le problème du poids des origines existe également dans le fonctionnement du vote : en Grèce, on vote au village (ce qui donne une surreprésentation du nombre d’habitants par rapport à la réalité) même lorsque l’on habite Athènes (qui voit dans les statistiques une sous-représentation de sa population réelle). Ce sont donc en grande partie des citadins qui votent pour les problèmes locaux. Le ressenti « cette terre est à moi » reste très ancré dans les mentalités, même lorsque l’on n’a pas mis les pieds au village depuis 30 ans.
On peut néanmoins noter des progrès : la multiplication des routes financées avec des aides européennes. Aujourd’hui, tous les villages sont desservis par une route goudronnée.
4/ Vous avez montré que les incendies étaient révélateurs de problèmes sociétaux plus vastes. Comment la jeunesse envisage-t-elle la corruption ?
Miche Sivignon : La jeunesse supporte difficilement tous les problèmes liés à la corruption, et est très désabusée vis-à-vis de la classe politique. La corruption s’insère jusqu’aux niveaux les plus modestes. Elle est en réalité un mode de relation que l’on a vis-à-vis de l’Etat. Il existe ainsi un adage en Grèce : « un type qui paie ses impôts, on ne peut pas lui faire confiance ! ». On va se méfier de cette honnêteté vis-à-vis de l’Etat… Le principal problème est que ceux qui sont censés faire respecter les lois (le contrôleur des impôts…) conseillent parfois les citoyens sur les moyens de détourner les lois…Il est vrai qu’on connaît en France des anciens fonctionnaires des finances devenus conseillers fiscaux. On revient là au problème du manque de respect de l’Etat, même chez les fonctionnaires.
Pierre-Yves Péchoux : Ce que nous appelons corruption, c’est un échange, une norme sociale en Grèce, qui reste une société où règnent les « petits arrangements entre amis ».
Jasmine Salachas reprend la parole, pressée par le temps qui s’est déroulé trop vite lors de ce café cartographique, pour inviter les participants à poursuivre la soirée autour de Jean Radvanyi invité à parler des incendies de forêt en Russie.
[1]A noter que le géographe Pierre-Yves Péchoux, lui aussi spécialiste de la Grèce et des Balkans en général, est également intervenu sur la question des incendies de forêt en Grèce lors de cette édition 2010 du FIG, lors d’une conférence intitulée « Les forêts de Grèce en feu » (9 octobre 2010).