Présentation par Leïla FROUILLOU, Docteure en Géographie et Maitresse de Conférence en Sociologie, Université Paris Nanterre

Ce Café Géo a eu lieu le mercredi 05 décembre 2018 à la Brasserie des Cordeliers à Albi à partir de 18h30.

Présentation problématique :

Il existe des ségrégations universitaires, définies par analogie avec les ségrégations scolaires (écarts sociaux et scolaires entre les publics de différents établissements, se traduisant par des inégalités sociales).

Lors de ce café géographique, Leïla Frouillou analyse non seulement les hiérarchies disciplinaires mais aussi la concurrence entre établissements à partir des seize universités publiques franciliennes ces dernières années. Les dispositifs d’affectations tiennent un rôle central dans la genèse de ces écarts de publics, par exemple à travers la mise en place de priorités académiques qui constituent des inégalités d’accès aux universités. Ces inégalités peuvent être discutées à partir du récent dispositif Parcoursup. Ce dernier assouplit encore la sectorisation tout en promouvant une figure du candidat aux études supérieures auto-entrepreneur de son parcours scolaire dans un contexte de mise en concurrence des formations comme des candidats, et de saturation des capacités d’accueil dans certaines formations.

Éléments de la présentation :

Leïla Frouillou s’est intéressée aux ségrégations universitaires dès ses recherches de thèse, alors qu’en France, elles étaient jusqu’alors essentiellement étudiées pour le collège et dans une moindre mesure pour le lycée, notamment à Paris. Dans la deuxième partie de sa présentation, L. Frouillou analyse les dispositifs d’affectation et leur place centrale dans ses recherches actuelles. Puis, elle développe les changements induits par le passage du dispositif APB à ParcourSup et les effets produits, avec des premiers résultats encore partiels puisque la mise en place du dispositif est encore trop récente pour disposer de données complètes.

Des ségrégations scolaires après le lycée : les concurrences entre établissements.

De nombreux travaux ont été produits sur les inégalités scolaires pour les collèges, les stratégies d’évitement, le sens du placement, les classes moyennes dans les collèges des banlieues parisiennes etc. Pour sa thèse de doctorat, Mme Frouillou s’est intéressée aux différences importantes entre les universités d’Île-de-France, notamment entre l’Université Paris 8 Saint-Denis et celle de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ses travaux ont donc essayé de prouver ces inégalités et de transférer le cadre théorique des ségrégations scolaires – qui alimente des concepts, dans une perspective bourdieusienne, qui sont reliés de manière systémique comme l’évitement et le placement – et d’appliquer ces concepts aux universités franciliennes.

Le paysage de l’enseignement supérieur francilien est très dense, notamment celui des universités, qui compte seize universités publiques autonomes avec chacune leur nom, leur marque (et stratégie de marque) à défendre en Île-de-France.

Il y a trois académies en Île-de-France, avec au centre l’Académie de Paris, à l’Est l’Académie de Créteil et à l’Ouest l’Académie de Versailles. Les systèmes d’affectation ont un maillage de base qui est académique et en Île-de-France, ce maillage qui pose des problèmes et sera peut-être être remis en cause pour l’année prochaine. La région a plusieurs universités qui sont automatiquement en concurrence puisqu’elles sont dans un bassin où, comme il y a un réseau de transport en étoile, des étudiants ont potentiellement accès à plusieurs universités. L’idée de la thèse de Mme Frouillou était d’utiliser un cadre théorique bourdieusien, qui est assez rare en géographie, pour adapter les travaux de Bourdieu à une lecture géographique des inégalités sociales, ce qui se traduit dans le vocabulaire dans des termes comme « mise à distance », « placement » ou le fait que ses travaux cherchent toujours à avoir une approche relationnelle. L’idée est d’analyser des universités de banlieue en relation avec des universités qui ont des stratégies de marque élitistes pour les comprendre. C’est aussi de prendre en compte la trajectoire qui relie les différentes positions sociales à des temps T+1 des acteurs sociaux qui sont dans ce champ. Il est donc essentiel de prêter attention à la dimension spatiale des inégalités universitaires en regardant notamment le lieu de résidence des étudiants de région parisienne, les universités dans lesquelles ils s’inscrivent, leur mobilité et la place des maillages administratifs dans ces inégalités.

Il est ainsi nécessaire de croiser deux types d’approches :

  • Premièrement, une approche quantitative à partir des bases de données du ministère. En France, pour les questions scolaires, d’importantes bases de données sont disponibles, car on dispose de ministères pour le secondaire et le supérieur qui enregistrent chaque année de nombreuses informations sur les élèves, effectuent leur suivi à l’échelle individuelle avec des informations sur l’origine sociale, les résultats scolaires, et bien d’autres informations. C’est une « mine d’or » spécifique à l’échelle internationale. Pour le supérieur, tous les ans au 15 janvier sont remontés au ministère toutes les inscriptions administratives et pédagogiques dans une base de données SISE (Système d’Information sur le Suivi de l’Étudiant) avec l’adresse de l’étudiant, sa formation, son type de BAC, son année, son âge et sa date de naissance. Tout cela permet de calculer et de croiser des informations pour caractériser le public des universités. Évidemment, l’accès à ces bases est protégé.
  • Deuxièmement, pour comprendre les trajectoires d’études de plusieurs populations étudiantes en Île-de-France : en Droit, en AES [Administration économique et sociale] et en Géographie, Mme Frouillou a complété ces informations avec des entretiens qualitatifs. Des entretiens répétés ont donc été nécessaires, avec un suivi d’étudiants en première année de licence, puis en seconde année, puis en troisième année dans deux établissements : à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, afin de construire des trajectoires, d’observer l’évolution des projets étudiants, la construction des mobilités entre universités. Des entretiens ont aussi été réalisés avec des acteurs de ces universités pour comprendre leur stratégie de marque (rectorats, présidents d’universités etc.).

La première partie de la thèse de Mme Frouillou a permis de démontrer les écarts de recrutement, entre Paris 8 Saint-Denis et la Sorbonne, alors qu’il y a très peu de documentations sur cette question. Seul un travail de l’institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France avait montré des différences d’origines sociales en 2005 entre les universités. Un travail de documentation sur les écarts des universités en observant les pourcentages d’enfants de cadres et de professeurs permet de mesurer ces écarts si on analyse ces données avec plusieurs prismes : pour toute l’université, selon les filières et selon les années d’études. Les écarts les plus grands sont en première année avec les néo-entrants à l’université, parce qu’ensuite le système scolaire travaille le « tri-social » et donc en doctorat, il y a moins de différences entre Saint-Denis et la Sorbonne qu’en première année.

Le tableau ci-dessous permet de donner un ordre de grandeur et de montrer que ce n’est pas négligeable. En Droit par exemple, il y a 62 % d’enfants de cadres où d’instituteurs à Paris 2 Panthéon-Assas contre seulement à 15 % à Paris 13 Villetaneuse, c’est un écart de 50 points. Donc évidemment, ce n’est pas le même public que l’on a en face de soi dans un amphithéâtre. Et ces écarts-là sont variables selon la discipline. L’écart est moins fort en AES puisqu’on constate qu’il y a 24 % d’origine très favorisée à Paris 2 Assas contre 14 % à Villetaneuse. A Villetaneuse, on se rend donc compte qu’il n’y a pas énormément de différences entre le public de Droit ou d’AES, alors qu’à Assas, la différence entre les disciplines est énorme. Il y a une stratégie de placement disciplinaire en plus de la stratégie de placement dans l’établissement, dans ce type d’université-là.

 

Un travail a également été effectué sur les bassins de recrutement dans une approche plus géographique, permettant la réalisation d’un atlas des recrutements des universités, d’autant que celles-ci n’avaient pas de cartes de leurs bassins de recrutement en licence, master et doctorat et étaient donc intéressées. La carte de synthèse ci-dessous illustre ainsi la proportion d’étudiants qui est maximale pour chaque université en fonction des communes de résidence. Les communes qui sont en bordeaux/rouge sont celles dont les étudiants sont majoritairement attirés par l’université de Créteil, qui est symbolisée par un losange. Les autres couleurs correspondent à Évry et Versailles notamment. On observe qu’autour de chaque université s’organisent en cadrans des bassins de recrutement préférentiels qui font que l’université est attractive sur un territoire qui n’est pas tout-à-fait concentrique mais qui est organisé par le réseau de transport. Ces cartes, produites avec l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France montrent l’accessibilité au réseau de transport en région parisienne et permettent d’observer que c’est effectivement l’accessibilité au transport qui correspond au bassin réel des inscriptions universitaires. Les étudiants ne s’inscrivent pas forcément dans l’université la plus proche à vol d’oiseau, mais bien au plus court en temps de transport, ce que confirment les entretiens. Certaines universités ne proposent pas toutes les formations, les aires d’accessibilités varient donc aussi en fonction des formations.

 

 

La place des dispositifs d’affectation

Le deuxième axe de recherche est la place des dispositifs d’affectation dans l’enseignement supérieur et son rôle dans la production des écarts de recrutements. Le fait qu’il y ait des différences de publics entre la Sorbonne et Saint-Denis n’est pas seulement une question de localisation de l’offre de formation et de forme du réseau de transport, c’est aussi une question de priorité d’affectation. Ces universités sont-elles ou non accessibles ? Avant, en Île-de-France, existait une sectorisation qui ressemble beaucoup à la carte scolaire du secondaire. Ce système s’appelait RAVEL (Recensement automatisé des élèves) et fonctionnait basiquement sur le principe d’une carte où en fonction du lycée de passage du baccalauréat, on proposait à l’élève une, deux ou trois universités de secteur pour sa filière. Il y avait quatorze filières catégorisées en Île-de-France. RAVEL a été mis en place sur minitel en 1987, rendu obligatoire en 1990, et les quatre nouvelles universités parisiennes ont été créées en 1991. RAVEL était donc une manière de préinscrire par le minitel, puis par internet, les étudiants pour créer des bassins d’affectations pour ces nouvelles universités et « forcer » les étudiants à y aller. L’idée était de créer des bassins de recrutement pour désengorger les universités parisiennes qui étaient surchargées. Il y a eu trois « booms démographiques » d’étudiants : le premier dans les années 1960 qui se termine en 1968 où les amphithéâtres sont bondés, le deuxième dans les années 1980 qui va aboutir à la création de huit nouvelles universités, et le troisième boom actuel qui explique que le système d’APB ait dysfonctionné.

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Le système RAVEL fonctionne sur un principe de cartes comme pour le lycée. L’exemple de la carte ci-dessus permet de montrer l’aire de sectorisation de Saint-Denis, figurée en rouge au Nord, et l’aire de sectorisation de Paris 1 donc la Sorbonne, figurée en bleu. Il y a des trous dans l’aire de sectorisation, ce n’est pas une aire qui est continue pour Saint-Denis, avec des endroits qui sont bi-sectorisés donc à cheval entre les bassins de recrutement de Saint-Denis et de la Sorbonne, des arrondissements parisiens où il y a les choix entre Saint-Denis, Paris 1 et Paris 5 par exemple. Cette carte dépasse complètement les maillages académiques, ce qui est logique car ça n’a pas de sens de penser en termes d’académie pour l’affectation postbac puisque les aires des universités sont sur plusieurs académies différentes et sur plusieurs arrondissements.

À la rentrée 2009 le système RAVEL est remplacé par Admission-Post-Bac (APB), qui est en fait une généralisation d’un portail qui a été créé pour les écoles d’ingénieurs en 1992 consistant à utiliser un algorithme pour faire correspondre des listes de vœux des candidats à des listes de classements sur différents concours. Lorsqu’un candidat passait un concours d’ingénieur, il était placé dans telle école 50ème, 30ème… et se superpose sa liste de vœux avec une hiérarchie de souhait d’écoles et l’algorithme fait le lien entre les deux – c’est l’algorithme des « mariages stables » de Gale-Shapley créé en 1962. Les instituts polytechniques (INP) ont développé ce système qui a été étendu aux classes préparatoires à partir de 2003 et, voyant que ça marchait bien, à toutes les classes supérieures dans les académies de Nantes, Poitiers et de Lille en 2006 et à tout le monde en 2009 y compris en région parisienne. Le principe est que le système APB essaie d’appareiller une liste de vœux avec un classement de ces candidats, mais le problème est qu’à l’université, il n’y a pas de classement, donc l’algorithme ne peut pas marcher. L’idée est donc de créer un classement « artificiel » pour les universités qui consiste à mettre un ordre de priorité sur des caractéristiques qui ne sont pas le mérite scolaire des candidats pour la région académique où se trouve le candidat. Ceux qui sont de l’académie sont prioritaires et forment un premier groupe. Ensuite, on met une priorité si c’est son premier vœu relatif à son offre de formation, c’est à dire parmi toutes les licences de droit des universités d’Île de France vous avez demandé la Sorbonne donc vous êtes prioritaire par rapport à ceux qui ont demandé une autre université avant la Sorbonne. Le premier vœu est celui du premier vœu absolu et il y a une prime aux premiers vœux, qui pose par ailleurs certains problèmes. Du coup, si le candidat a mis la Sorbonne en tout premier vœu, il a plus de chance de rentrer qui s’il avait mis en deuxième et qu’il avait mis une classe préparatoire en premier par exemple. Pour avoir saisi ça, il faut s’être un peu renseigné.

 

 

La période actuelle correspond à une grosse croissance, avec plus 310 000 étudiants entre 2000 et 2015, dont plus 157 000 entre 2009 et 2015, on a plus 35% d’effectifs en première année à l’université entre 2012 et 2016 au niveau national. Évidemment, ces chiffres ne sont pas equirépartis sur le territoire et il y a des endroits où ça bloque plus que d’autres, notamment en région Île-de-France et dans certaines autres métropoles, mais il y a aussi des filières où ça bloque un peu partout sur le territoire national. Les quatre filières en tensions sont le Droit, la Psychologie, les STAPS et supposément la médecine, bien qu’il n’y ait jamais eu de problème de capacité d’accueil en médecine.

Du coup, s’il y a trop de candidats, on regarde mécaniquement les premiers vœux, donc les personnes ayant choisi telle filière en premier, qui est ressortissante de l’académie, et qui a bien mis les six vœux. Le problème est que l’on arrive à un niveau de saturation ou même ceux-là sont trop nombreux pour le nombre de places et il faut les départager et c’est là qu’intervient le tirage au sort. Celui-ci est épinglé par l’inspection générale de l’éducation nationale dans un rapport dès 2012. Mais cette pratique va se développer de plus en plus, jusqu’à créer un scandale médiatique.

Ces procédures d’affectation ont des bases territoriales d’où l’intérêt d’une analyse géographique sur ces discontinuités d’accès, selon l’appartenance à une commune ou une autre dans RAVEL avec un système assez opaque difficile à expliquer aux candidats. Les entretiens montrent qu’il y a un capital scolaire très important pour contourner ces barrières-là et que ce capital est encore plus important pour Admission-Post-Bac, avec des stratégies de contournement de la carte scolaire. Avec le système APB qui permet d’émettre un vœu pour une université hors de son secteur géographique même si l’on n’a aucune chance, il faut d’autant plus de capital scolaire pour se rendre compte que l’offre leur est inaccessible et donc la contourner. Les méthodes pour contourner sont les mêmes que pour le collège avec des choix d’options. Typiquement en Île-de-France, on assiste à une grosse demande des doubles licences qui sont la manière d’accéder à des formations où, de droit commun, on n’a pas le droit d’aller puisqu’elles sont non-sélectives. Par exemple, aux portes ouvertes de Panthéon-Sorbonne, avant que la sélection soit mise en place par Parcoursup, on disait à l’amphithéâtre que tous ceux de l’académie de Paris pouvaient rester et que tous les autres ne pouvaient pas être pris en licence de Droit à la Sorbonne mais que ceux qui avaient mention très bien au bac pouvaient aller voir les doubles licences à l’étage. Ce type de pratique existait donc déjà avec APB.

Christine Musselin, qui travaille sur les dynamiques institutionnelles qui caractérisent les universités, a publié un livre en 2017 qui s’intitule « La grande course des universités » et qui fait écho à un de ses anciens livre « La longue marche des universités ». Ce livre analyse l’autonomie des universités, leur mise en concurrence, la présidentialisation etc. Elle montre qu’il y a un changement de configuration institutionnelle des universités, avec une autonomisation croissante depuis 1968 qui transfère aux universités la gestion de leur masse salariale, le contrôle de l’offre de formation etc. L’ambiguïté est qu’on donne aux universités pas mal d’autonomie et en même temps elles sont très contraintes par ce qu’elles ne peuvent pas maîtriser le recrutement étudiant. C’est ici que Parcoursup va commencer à changer quelque chose puisque, même si on continue à dire qu’il y a un droit d’accès maintenu aux bacheliers aux formations supérieures, on passe dans un nouveau paradigme.

Les critiques d’APB étaient que les hiérarchisations des vœux étaient compliquées. Il fallait faire au départ 36 vœux, puis 24 alors que la moyenne était de 7 vœux. Il y a des élèves qui sont très dotés en capital scolaire et qui font 24 vœux et puis d’autres qui n’ont pas trop d’idées et qui ne font qu’un seul vœu. Le problème pour le ministère est que la hiérarchisation des vœux est compliquée. Par ailleurs, l’autre critique est celle du tirage au sort et de ses conséquences médiatiques en juillet 2017 puisqu’on a failli tirer au sort les étudiants qui voulaient faire médecine en région parisienne. Le tirage au sort avait lieu depuis au moins 2011, mais s’était accentué puisque la pression était croissante en raison de la hausse démographique et de capacités d’accueils contraintes par manque de place et par manque d’enseignants chercheurs. Pour la médecine, il n’y avait pas de contournement possible de la carte scolaire par les élèves à fort capital scolaire comme pour le Droit ou la Psychologie. La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a rendu un avis le 28 septembre 2017 disant qu’il fallait arrêter de prendre des décisions sur l’avenir des personnes avec juste le fondement d’un algorithme. Le système d’Admission-Post-Bac a donc été remplacé par Parcoursup avant même que la loi ne soit passée au parlement, ce qui pose problème.

Avec Parcoursup, il n’y a plus de hiérarchisation des vœux. On passe donc d’un algorithme de « matching » à un algorithme « d’appel », ce qui n’est pas la même chose en terme informatique, et c’est pour ça que les listes d’attente ont complètement explosé. Dans ce système, on a des propositions au fil de l’eau et au lieu de 3 phases (où on faisait tourner la machine, on donnait des propositions, les gens acceptaient ou refusaient, etc.) d’APB, Parcoursup fonctionne au fil de l’eau entre mai et septembre. Il y a un certain rythme à tenir pour accepter ou non une proposition et au fur et à mesure que les personnes acceptent des places, ça fait remonter des listes d’attente. Les candidats n’ont plus que dix vœux maximum potentiels, contre 24 auparavant. La justification de cette réduction se base sur la moyenne de vœux par candidat qui disait assez peu de choses. Ces dix vœux provoquent des stratégies d’auto élimination, notamment si vous voulez être sûr d’avoir un BTS en Île de France, alors que c’est complètement saturé comme secteur, pour certaines options, vous avez plutôt intérêt à faire vos 10 vœux en BTS et ne pas essayer d’aller tester une classe préparatoire. Il faut être un peu efficace quand le serveur est saturé, ce qui pose un petit problème en termes de stratégie aussi.

Le problème est que le candidat n’a pas les critères de placements locaux et ne sait rien du tout de comment vous êtes sélectionnés ou pas dans une formation. La liste d’attente vous dit juste à quel moment vous allez être appelé par rapport à quelqu’un d’autre. Avec ce système, les universités deviennent comme des classes préparatoires ou des sections de techniciens supérieurs, alors qu’elles étaient jusque-là non sélectives.

Ce processus de sélection est en fait une généralisation du processus de responsabilisation individuelle. Si vous n’êtes pas pris c’est que vous avez fait les mauvais choix, c’était aussi quelque chose qui était dans APB puisqu’on avait déjà une logique de projet.

Dans les premières semaines de Parcoursup, l’affectation a fonctionné assez bien. Des simulations qui ont été tournées au ministère très tardivement par ailleurs, on a eu le scénario le plus optimiste, mais après, on voit qu’à la fin ça se ralentit, et à partir de mi-juillet, là, ça devenait problématique car des personnes qui étaient en attente sur leurs vœux depuis un mois n’avaient toujours pas de nouvelles. En fin de procédure principale, c’est-à-dire le 5 septembre 2018, sur les 812 000 candidats, il y en a eu 72% qui ont accepté une proposition. Il y a 47300 candidats qui sont sans proposition, mais le ministère considère que parmi eux, seulement 7000 sont encore actifs et continuent à se connecter et à être en attente. Par comparaison, l’année précédente avec APB si décriée, on avait seulement 6000 candidats sans affectation au 17 août, ce qui était plutôt mieux, d’autant plus que le tirage au sort n’avait concerné que 1% des 800 000 candidats.

Il y a aussi des différences disciplinaires marquées en faveur ou en défaveur de Parcoursup, ce qui s’est vu dans les mobilisations. En STAPS, ils avaient conçu un questionnaire que vous remplissiez sur la plateforme et qui vous attribuait des points et ce score permettait ensuite de faire un tri et un classement. En Droit, il y avait un petit peu la même chose, mais c’était seulement consultatif pour autoéliminer des candidatures.

Il y a également la question du surbooking avec l’idée que pour être sûr d’avoir finalement le nombre de candidats nécessaires pour correspondre aux capacités d’accueil, il fallait en appeler un peu plus que les capacités qu’on avait définies pour anticiper ceux qui disent non dès le premier tour. C’est ce que font les classes préparatoires depuis des années. Le problème, quand on n’a pas d’expérience de sélection à l’université, est de savoir à quel dosage il faut surbooker pour éviter de se retrouver avec des capacités largement dépassées. En Île-de-France, les rectorats ont augmenté les capacités d’accueil sans trop négocier en juillet car le système commençait à patiner. A Nanterre, les capacités d’accueil sont ainsi passées de 5.500 à 6.000 étudiants, ce qui est beaucoup. Les rectorats ont parfois donné des postes en échange de l’augmentation des capacités d’accueil. En fait, si on avait créé l’année précédente des postes pour augmenter les capacités d’accueil comme ce qui a été fait cette année, APB aurait très bien fonctionné.

 

Parcoursup ou l’accentuation des inégalités ?

 

Il est difficile d’établir un premier bilan de Parcoursup quelques mois seulement après son démarrage. Les travaux de Milan Bouchet-Vala et Marie-Paule Couto montrent que les vœux ont beaucoup augmenté dans les filières du supérieur privé principalement en Ile de France.

Les licences publiques ont vu leurs effectifs dégringoler. Autrement dit, l’hypothèse que l’on peut faire c’est que lorsque les formations et les étudiants sont en compétition, celle-ci se fait au détriment des licences publiques notamment en sciences humaines et sociales. A Paris, les licences publiques résistent mieux parce qu’elles sont plus attractives contrairement aux autres universités franciliennes.

 

Le différentiel entre le nombre de vœux et le nombre de places dans les licences de Droit d’Ile-de-France pour Parcoursup 2018 est très fort dans certaines universités, comme à La Sorbonne avec 14000 vœux pour 500 places. Il y a donc eu 14.000 dossiers avec des lettres de motivation et des CV que les candidats ont rédigé avec leurs professeurs principaux. Il semble évident que personne n’a pu lire ces 14000 dossiers.

Les résultats agrégés du ministère en ligne permettent de mesurer concrètement la discrimination selon le type de bac avec presque 50% de bacheliers professionnels qui n’ont que des réponses négatives alors que ce taux tombe à moins de 1% pour les bacheliers généraux. On peut aussi analyser le nombre de jours pour avoir des propositions et une moyenne de propositions par type de baccalauréat.

Plusieurs programmes de recherche sont actuellement en cours avec des spécialiste des questions scolaires au collège, au lycée et sur l’accès à l’enseignement supérieur. Des passations de questionnaires sont actuellement réalisés dans plusieurs universités. Mme Frouillou espère pouvoir retirer des informations intéressantes et pouvoir les comparer aussi, pour tester l’hypothèse qu’il y a des différences locales très fortes dans le fonctionnement de ces types de classement et la réponse faite aux candidats se fait aussi en fonction des résistances locales. L’idée est d’avoir une base comparative de données. La hausse des inégalités est déjà mesurable à Paris avec le libre choix scolaire où, dans les nouveaux entrants, on est passé de 17 à 38% de mentions « Très bien » au bac par rapport à la rentrée précédente, ce qui va dans le sens d’une accentuation de la stratification scolaire des formations dans un système de mise en concurrence.

Le calendrier va être décalé pour Parcoursup 2019 parce qu’une affectation jusqu’au 21 septembre pose des problèmes à l’université, avec des étudiants qui arrivent après la rentrée universitaire. Pour cette rentrée, les universités n’ont pas eu les moyens suffisants correspondant à la masse de travail d’étude des dossiers de candidature. Il est bien sûr impossible de lire toutes les lettres de motivation.

 

Eléments du débat

Stéphane ESTRADE, Professeur de lycée en histoire-géographie : J’ai vécu sincèrement la mise en place de Parcoursup comme un progrès notamment du fait du classement des vœux. Mais j’ai aussi l’impression qu’il y a un effet assez grave à terme d’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants. Alors, pour vous, est-ce que cette réforme est finalement un progrès ou pas ?

 

Leïla FROUILLOU : Je suis très critique sur Parcoursup comme je l’étais déjà pour APB. Mais ce n’est pas de la critique passive, avec d’autres chercheurs, nous avions de nombreuses idées nouvelles que nous avions présentées au ministère. En fait, il y a plein d’idées dans Parcoursup qui sont intéressantes. Par exemple, le fait de présélectionner les gens pour les flécher sur des dispositifs d’aide, de faire des semaines de pré rentrée où on accueille des étudiants. C’est quelque chose qui a beaucoup séduit les collègues.

Par ailleurs, beaucoup de collègues à l’université étaient assez favorable à la mise en place généralisée de la sélection des étudiants pour contrôler leur public, parce qu’en fait on est aussi dans une phase où comme je le disais il y a une multiplication des doubles licences et des diplômes sélectifs à l’université et où, en fait, les licences qui restaient un peu dans le paysage du supérieur à ne pas être sélectives avaient l’impression d’être à la fin du système. C’est ce que j’appelle l’espace de régulation, qui était nécessaire, pour que se répartissent en fait toutes les étudiantes et tous les étudiants dans l’enseignement supérieur.

Mais du coup ça peut devenir des espaces de relégation. En tout cas c’est ce qui est vécu de manière symbolique assez difficilement par certains collègues qui pensaient que leur formation pouvait fonctionner sur un modèle de classe préparatoire pour le dire autrement. Comme on est dans un système qui est très hiérarchisé, c’est une vraie question. Alors, autant moi, je suis très ferme sur le fait que je ne les ai pas sélectionnés, par exemple, les étudiants qui candidatent dans ma formation qui est la sociologie à Nanterre et je pense que tout le monde devrait avoir une chance de faire une formation qui lui convient ou qui lui plaît, dans la mesure du possible en termes de capacité d’accueil en première année. Autant, sur la hiérarchisation des vœux, c’était une vraie question mais qui a été très peu documentée ou discutée par le ministère, à savoir l’idée de Parcoursup qui est de dire qu’il est plus facile de choisir quand on a le choix entre deux choses concrètes que de hiérarchiser 20 choses abstraites.

C’est ça l’idée du ministère selon laquelle il est ridicule de faire 24 vœux de formations supérieures sans se poser vraiment la question de se projeter dans ces formations. Du coup vous n’en faîtes plus que 10 et ensuite on vous en proposera toujours 2 maximum en même temps. Il faut alors choisir vos vœux tout de suite et vous ne pouvez pas en conserver plus de 2 positifs. Donc si vous aviez un « oui » pour des maths et d’autres choses en attente et qu’à un moment, un IUT vous répond « oui » aussi, il faut choisir entre les maths et l’IUT, et donc lequel je garde et lequel je laisse. C’est un présupposé supposé économétrique qui n’est pas très sociologique sur la manière dont les gens ont de faire leurs choix scolaires.

Ce n’est pas stupide de se dire qu’on pourrait ajuster la hiérarchisation et modifier la hiérarchisation des vœux pour que les lycéens puissent choisir au fur et à mesure du processus. En revanche on ne sait pas si c’est vraiment facile de faire un choix entre deux choses concrètes. Moi j’ai eu des échanges relativement informels avec des étudiants et l’un m’a, par exemple, dit « Bah moi, je savais que je voulais faire art du spectacle à Nanterre. Ensuite j’ai fait 10 vœux et dans mes vœux j’avais mis histoire de l’art à la Sorbonne et en fait ils m’ont dit oui et je suis embêté parce que mes parents veulent que j’aille à la Sorbonne et maintenant je ne sais plus quoi faire. » Si ça avait été hiérarchisé d’emblée, il ne se serait pas posé de question. C’est donc une question de recherche qui est ouverte et très peu documentée. Donc on a fait un choix politique sans évaluation préalable de ce que ça pouvait donner. Parcoursup est-il ou non un progrès ? Sur la hiérarchisation je ne peux pas répondre mais en termes d’affectation oui. Julien Grenet a montré ça en novembre dernier et a dit au ministère ainsi qu’en audition parlementaire, que ça va faire des attentes monstrueuses. Les candidats seront très angoissés et à la fin, n’auront pas les vœux qu’ils voulaient.

 

 

Mathieu VIDAL (Maître de Conférence en géographie à l’INU Champollion) : Vous êtes un petit groupe de chercheurs à travailler sur ces questions-là. Une question en deux temps du coup. Qui décide finalement de la mise en place de ce genre de fonctionnement et puis quel est, éventuellement, votre place de chercheurs publics dans la décision du Conseil ?

 

Leïla FROUILLOU : Bonne question et je ne suis pas sûre de pouvoir vraiment y répondre, comme je suis dedans, je ne sais pas si j’ai une position vraiment objective pour faire le point là-dessus.

En gros il y a des chercheurs qui sont reconnus et écoutés par le ministère sur ces questions. Julien Grenet que j’ai cité, qui est un économiste. On parle de discipline universitaire. Il a fait des modèles d’intégration logistique. Du coup, il a relativement pu diffuser certaines recommandations mais ce n’est pas pour autant qu’il est forcément écouté dans les cercles ministériels. Nous ne sommes pas très nombreux à travailler sur les affectations dans l’enseignement supérieur contrairement à d’autres pays qui disposent de revues spécialisées sur l’enseignement supérieur, de centres de recherche… Les chercheurs travaillent peu sur eux-mêmes et sur les universités en particulier. Il y a beaucoup de travaux qui se centrent sur les dispositifs d’ouverture sociale de Sciences-Po et il y a peu de choses en fait sur le commun quotidien des universités ou du travail universitaire ou de la recherche.

Ensuite, pour comprendre comment sont structurées ces décisions, on a documenté le passage d’APB à Parcoursup et on a fait des entretiens avec les directeurs de cabinet chargés du projet Parcoursup. On est en train d’analyser ces entretiens-là où on est en train d’écrire sur la question.

Pour l’instant, dans cette étape d’analyse, on constate qu’il y a une très forte continuité avec APB. Et qu’en fait la suite logique d’APB, c’est Parcoursup. APB est un système qui était fait pour les filières sélectives donc n’avait pas vraiment de sens et créait des incohérences. On pouvait être accepté dans des filières qui n’étaient pas sélectives comme à l’université et donc la mise en cohérence de ça était de rendre sélective l’université. Donc dans APB se trouvait cette dynamique de libre choix scolaire, de mise en concurrence des formations, qui est aussi une clarification de l’offre de formation. Les personnes qui mettent en place ces décisions-là sont toujours des personnes qui sont depuis longtemps à l’Éducation nationale et travaillent sur ce qu’on appelle le Scosup, c’est-à-dire le lien entre le scolaire et le supérieur et qui travaille sur la transition entre le bac -3 et le bac +3. La réforme des lycées, qui actuellement rend les jeunes inquiets, est liée à Parcoursup. Lorsque je présentais ma thèse au ministère en 2015, on m’a informé que l’objectif est de limiter le cadrage national des diplômes tel que le baccalauréat et le cadrage des diplômes universitaires, dans l’objectif de les spécifier au fur et à mesure. La loi votée contient Parcoursup et la réforme des licences, qui doivent être modulaires.

Donc on arrivera ainsi avec des parcours étudiants et des diplômes “à la carte”, comme le baccalauréat commence à l’être.

Ce que montre la recherche en sciences de l’éducation dans plusieurs pays est que, plus vous réduisez le tronc commun obligatoire, plus vous accentuez les différences de parcours entre les positions sociales et plus vous accentuez les inégalités (notamment celle du genre par exemple), parce que les étudiants n’auront pas accès à l’information cruciale de quelle spécialité il faut choisir pour avoir quel type de licence pour pouvoir faire quel type de master. On sera alors sur des stratégies de très longs termes pour pouvoir anticiper.

 

Thibault COURCELLE (Maître de Conférence en géographie à l’INU Champollion): Ce qui m’a surpris dans cette réforme c’est qu’elle fut menée “au pas de charge”, c’est à dire qu’on a eu un nombre incroyable de réunions entre responsables de formations, avec peu d’informations et un faible avancement de la procédure. On nous demandait déjà de réfléchir sur la façon de mettre en place les parcours « oui-si », la façon de mettre en place les critères de paramétrage pour sélectionner les étudiants, sans même qu’il n’y ait eu finalement de débat sur la finalité, pourquoi ou comment sélectionner etc…

C’est la raison pour laquelle l’ensemble de l’équipe pédagogique de la licence de géographie d’Albi a refusé de faire la sélection, et du coup, d’autres collègues provenant d’autres filières se sont « dévoués » et ont fait la sélection pour nous. J’avais l’impression que la licence était en train de devenir un peu comme une classe prépa, avec certains collègues qui prenait un grand plaisir à définir et paramétrer de nombreux critères de sélection qui n’étaient bien sûr pas divulgués aux candidats dans des filières qui n’étaient pourtant pas du tout en tension, qui parlaient d’étudiants « dans le casting ou hors casting », ce qui me paraissait bien loin des valeurs d’ouverture véhiculées par l’université française…

 

Leïla FROUILLOU : On nous demande justement d’affiner ces critères cette année, on a aussi fait le classement à notre place pour la filière de sociologie à Nanterre. Un de mes collègues qui est en sciences sociales à Nanterre a une stratégie de lecture de toutes les lettres de motivation et les « score » pour pouvoir ensuite les utiliser comme critère quantitatif, etc.

Cela pose aussi des questions techniques parce qu’en fait, lorsque vous avez 14000 dossiers pour 520 places, la moyenne et les notes au centièmes ne suffisent pas pour départager les dossiers, donc c’est comme un tirage au sort, cela a été prouvé par des mathématiciens et informaticiens dès le mois de mars. Quand on a une telle pression sur les formations, on n’a pas la précision dans les dossiers scolaires pour pouvoir départager en termes de mérite scolaire.

Donc même si on est convaincu que les notes du lycée garantissent un accès ou pas à certaines formations, en fait, c’est peut-être même insuffisant dans le dossier pour l’instant pour pouvoir départager les candidats.

Et sur la capacité d’accueil, le souci est que l’on nous fait fonctionner sur un modèle de classe préparatoire, tout en créant énormément de travail pour les collègues qui acceptent de faire ce travail de sélection, pour un résultat qui n’est pas nul, même s’il crée des inégalités et qu’il est idéologique, donc ça met en concurrence des gens et a donc un effet sur les stratégies. Mais finalement, on va jusqu’en bas des listes d’appel en sciences humaines et sociales, y compris à Nanterre où on a dépassé notre capacité d’accueil.

Concernant les « oui-si », le ministère, visant toute une partie de sa campagne sur l’emploi et la réussite étudiante, sélectionne les candidats et élimine ceux qui de toute façon ne réussiraient pas dans ces formations. Ce type de raisonnement-là, déterministe et qui cause des problèmes dans la politique de l’éducation, est appelé adéquationniste : c’est faire correspondre les parcours des gens à ce que l’on veut qu’ils soient. Donc on les force à s’adapter à un parcours qui est dépendant de leur trajectoire antérieure. L’idée était de dire aux bacheliers du bac professionnel de ne pas s’inscrire dans certaines filières, alors que dans le code de l’éducation, il y a marqué que ces bacheliers ont quand même le droit d’avoir accès à une formation supérieure. Les universités sont donc les seules à ne pas pouvoir dire non pour l’instant, car elles sont dites “non sélective”, pas comme une classe préparatoire, une classe section technicien supérieur, un IUT ou une double licence. Les licences de “droits communs” ne peuvent pas vous dire non. Mais elles peuvent vous mettre tout en bas de la liste d’attente. Pour parfaire ce travail de présélection, on a dit qu’on n’allait pas leur dire “oui” mais “oui-si”, c’est-à-dire qu’on va les forcer à avoir un complément de formation pour réussir leur année, ce qui n’est pas une mauvaise idée en soi. Ces oui-si bénéficient d’un financement exceptionnel du rectorat pour des heures, nous, en sociologie, on a 50 étudiants placés en oui-si sur 170 au total, ce qui est beaucoup dans une formation. Ces étudiants ont donc des cours en plus comme des prises de notes en amphi ou des sorties culturelles, cela leur fait trois heures de cours en plus dans la semaine. C’est une aide à la réussite, mais comme la réforme a surchargé les collègues, certaines formations ont décidé de ne le faire que l’année suivante. Pour résumer, le oui-si est une proposition essentiellement pour les bacheliers technologiques et professionnels dont on pense qu’ils n’ont pas les qualités pour réussir à l’université.

 

Anonyme :  Quand on a reçu les premiers résultats sur Parcoursup, on se retrouvait avec des licences qui ne donnaient pas le classement, elles avaient obligation ou pas de le donner ?

 

Leïla FROUILLOU : Le problème c’est que cette année les rangs ne voulaient pas dire grand-chose. L’année prochaine la publication aura plus de sens parce qu’on vous dira à la fois votre rang mais aussi le rang du dernier pris de l’année dernière. Les rangs étaient affichés alors qu’ils n’avaient aucun sens, plusieurs gens vont s’en aller de la liste pour aller autre part. Par exemple l’année dernière dans APB, car il y avait quand même des listes de classements artificiels qui ont été générées, on avait dû aller jusqu’au six millièmes sur la liste en droit pour Paris 5 pour remplir la formation. Cela fait partie de ce que le ministère veut faire : vous avez toutes les cartes en mains pour faire un choix rationnel et éclairé, on est vraiment dans une idéologie du libre choix scolaire individuel en ignorant les idéologies collectives tel que “je vais à l’université avec mes copains”. Donc c’est l’étudiant face à son avenir qui fait le choix avec un maximum d’informations, le rendant ainsi responsable de son potentiel échec, prouvé par le contrat qu’il a signé, ou qui est prévu d’être signé dans toutes les licences. Pour en revenir au classement, il sera affiché, pour rassurer le candidat, cela donne une idée.

 

Anonyme : Pourquoi certains lycéens n’ont déposé que très peu de vœux que ce soit au premier tour ou au rattrapage, ne pouvaient-t-ils pas en remettre ?

 

Leïla FROUILLOU : Dans APB, il y avait une procédure complémentaire qui commençait plus tôt que dans Parcoursup, mais normalement le prochain Parcousup va s’aligner sur le calendrier d’APB qui fonctionnait quand même mieux. Finir en juillet et rentrer en septembre, cela permettait aux gens de travailler parce que là, des candidats étaient en angoisse au mois d’août. En fait le ministère a dit que pour les candidats qui n’avaient eu que des refus, on leur permettait de formuler des vœux pour la première phase complémentaire, superposée à la phase principale à partir de juillet, où ils pouvaient reformuler des vœux, on réouvrait aussi des places dans des formations sans forcément trop négocier. Et fin septembre, en fin de procédure normale, on a fait démissionner tous les vœux et rebooter le système jusqu’au 21 septembre, c’était la vraie procédure complémentaire. Donc cela a été fait mais de manière très limitée car il y avait de nombreux candidats en attente, on a proposé une remise en jeu pour ceux qui n’avaient que des refus, mais ceux qui étaient en attente, on les a laissés en attente en attendant que les listes s’épuisent, ce qui n’est parfois pas arrivé.

 

Anonyme : Pourquoi la suppression des séries au baccalauréat ? Cela va apporter quoi à Parcoursup ?

 

Leïla FROUILLOU : Cela va simplifier la tâche car vous allez pouvoir éliminer plus de monde possible dès le départ, comme je n’ai pas encore accès aux données, je vais vous donner un avis syndicaliste et non pas scientifique. Je ne peux donc pas chiffrer.

Ce que je peux dire, c’est que la cohérence un peu idéologique du discours, qui n’est pas un discours de recherche, c’est que diversifier le bac et de dire qu’il y a 30 compositions de spécialités qui vont être possible, cela va permettre d’éliminer plus facilement certaines compositions. Donc en fait, cela va aider à aller plus vite dans la sélection pour l’université. Le lycée va être calqué sur le modèle universitaire, donc passant au semestre au lieu du trimestre, et le premier cycle universitaire calqué sur le modèle du lycée. Par exemple, je suis prof principal de L1 cette année. En gros, c’est un rapprochement de fonctionnements institutionnels. On va dire aux élèves : “vous allez faire quoi ?”, et les élèves de 15 ans vont choisir, puis 2 ans après on leur dira qu’ils ne peuvent pas faire ça comme formation supérieure en raison de ce choix déterminant.

Donc l’impact que ça a, c’est que ça va prédéterminer les parcours scolaires de manière un petit peu plus forte qu’aujourd’hui. On peut espérer qu’il y aura des passerelles possibles qui nous permette de rattraper des choses pour reboucler, et c’est tout ce que l’on essaye de défendre. D’ailleurs, de manière générale aujourd’hui, il y a très peu de passerelles, c’est un des problèmes notamment pour les études de médecine.

 

Gérard BUONO, Professeur de lycée en histoire-géographie : Peut-on évaluer le nombre d’auto-éliminations que Parcoursup a généré ? Deuxièmement, j’ai été impressionné par le doublement des pourcentages de mention très bien à Paris, est-ce que ça a joué un rôle sur les classes prépa et leur mode de sélection, car c’est aussi un élément concurrentiel. Mais aussi, beaucoup de prof de lycée que j’ai rencontré me disent que la part des lycéens qui ne mettent même plus de vœux universitaires ne cesse d’augmenter. Est-ce que ça, dans Parcoursup, ça s’est aussi retrouvé comme une donnée forte ?

 

Leïla FROUILLOU : Sur la part des vœux qui ne concernent pas du tout les licences, l’un des objectifs d’APB était de forcer un peu l’affectation et de l’optimiser en forçant les bacheliers généraux à faire au moins un vœu de sécurité dans une licence non saturée. Ce n’était pas intégré sur Parcoursup. Maintenant vous n’êtes plus du tout obligé et, mécaniquement, comme vous n’avez plus la contrainte des vœux obligatoires, on peut s’attendre en effet que les bacheliers généraux ne fassent que des vœux en BTS ou en classe préparatoire et éliminent les licences les plus sélectives de leurs choix, et après ça peut aller très vite, notamment en Île-de-France, avec la densité de formation.

Si vous voulez, il faut faire un panier de vœux. La première réponse c’est mécaniquement, oui puisque on fait l’hypothèse qu’il va y avoir plus de vœux où il n’y a pas de licence, et d’ailleurs, il y a moins 34 % de vœux dans les licences publiques alors que tout le reste augmente. Donc on observe cela dans les vœux, les affectations, même si on n’a pas encore toutes ces données-là.

Justement cela va jouer beaucoup sur l’espace concurrentiel. C’est la conférence des présidents d’université qui a voulu Parcoursup, que les licences basculent dans le domaine symbolique des classes préparatoires. Pour redorer le blason universitaire en lançant un état compétitif. Du coup, ce sont les classes préparatoires qui sont maintenant dans une situation un peu compliquée. Dans certains espaces celles-ci sont en position de force comme à Paris, mais l’anonymisation des dossiers par exemple leur ferait un énorme tort dans leur processus de recrutement. Ce sont des choses qui se voient dans le paysage institutionnel. Pour l’instant, les très grandes classes préparatoires s’en sortent toujours. Mais il n’est pas dit qu’elles continuent à assurer leur recrutement si on anonymise les dossiers des candidats. Ce sont des questions qui se posent.

En ce qui concerne l’auto élimination, il faut qu’on attende d’avoir les lignes candidat par candidat pour savoir à quel moment les gens “disparaissent” du système et pourquoi. Dans les sortants de Parcoursup, il y a ceux qui n’ont pas eu le bac, mais il y a aussi ceux qui font des choses hors-Parcoursup, même si l’Etat inclut beaucoup de formations dans le système. Entrer dans une formation postbac est de plus en plus compliqué. Les formations hors-APB commencent à être absorbées par Parcoursup. Cette auto élimination-là, on peut faire l’hypothèse qu’elle se dirige vers les secteurs des écoles hors-Parcoursup, même s’il y en a de moins en moins, ceux qui partent à l’étranger et ceux qui ne suivent pas une formation postbac, par exemple, le CAP. Pour donner une échelle, il y a eu 890 000 bacheliers l’année dernière, seuls 810 000 ont atteint la phase ouverte de Parcoursup, mais c’était déjà le cas dans APB. On ne peut pas encore documenter « l’exit », la sortie du système par Parcoursup, mais c’est une hypothèse posée par pas mal de collègues.

 

Anonyme : Qui est derrière Parcoursup, qui l’a créé ?

 

Leïla FROUILLOU : L’application a été créé par Bernard Koehret, ou monsieur APB, qui était à l’INP de Toulouse. Il a fait ça en tant que directeur d’une association parce qu’il faut savoir que jusqu’à l’année dernière, ce qui faisait l’affectation des plus de 800 000 bacheliers par an, ce n’est pas un service de l’Etat, mais c’est une association où il y a 10 personnes. C’est monsieur APB qui répondait pendant l’été aux messages des personnes qui étaient bloquées sur la plateforme APB, c’était un peu du bricolage.

Cette personne-là est partie en janvier dernier et du coup, a pris des positions anti-Parcoursup dans la presse. Parcoursup a donc été créé par les mêmes personnes que pour APB mais sans cette personne, et c’était toujours les gens de l’INP de Toulouse qui géraient la plateforme (c’est d’ailleurs la même plateforme avec d’autres modalités de fonctionnement). A partir de l’année prochaine, ça sera un service intégré au ministère.

 

Compte-rendu :

Compte-rendu réalisé par Guilhem CARBONNE, Loïc CEVENES et Valentin SOLIMAN, étudiants en première année de licence d’histoire, repris et corrigé par Thibault COURCELLE et Mathieu VIDAL, enseignants-chercheurs, co-animateurs des Cafés Géo d’Albi.