La grande mouvance de l’écologie célèbre les 20 ans du retour du loup en France. En 1993, la revue Terre Sauvage avait été la première à annoncer ce retour, après que le premier loup eut été aperçu l’année précédente dans le Mercantour, venant d’Italie. Le grand canidé a depuis lors traversé les autoroutes et même le Rhône, atteint les Cévennes, le Jura, les Vosges, a été repéré dans le Morvan. 250 individus sont recensés aujourd’hui. Bien que la Convention de Berne, signée en 1979, assure sa protection, il s’agit d’un retour encore timide, car ce carnivore était mille fois plus présent sur le territoire français au XIXe siècle. L’homme s’est livré à une chasse sans merci, liquidant en masse : 1 200 loups tués dans la seule année 1850, le dernier ayant été abattu voici quelques dizaines d’années.
Selon Buffon, Canis lupus est naturellement grossier et poltron, mais il devient ingénieux par besoin et hardi par nécessité. Lorsque la maraude lui résiste, il revient souvent à la charge. Les chiens se carapatent, les brebis sont mangées et les bergers se désolent et crient au loup. Entre toucher les primes d’assurance et équiper les chiens de garde de colliers défensifs, le choix est fait. Choix différent de celui des éleveurs italiens, qui ont affaire à dix fois plus de loups : ils n’ont pas d’assurance et des brebis qui font du lait, et qui rentrent donc chaque soir à la bergerie, à la différence des moutons à viande français, qui couchent dehors.
Faisant face courageusement au danger, les plus hautes autorités de la République réagissent : le plan d’action national sur le loup 2013-2017, concocté par l’ancienne, et regrettée, ministre de l’Écologie Delphine Batho, permet 24 prélèvements par an. Le loup va être décimé, au sens étymologique. En Provence, un sous-préfet vient d’autoriser l’utilisation d’armes de guerre à vision nocturne. Pour la première fois en France, une espèce protégée va être tirée à vue. « Des tirs de défense qui font partie des relations ancestrales », selon le géographe Farid Benhamou. Homo lupini lupus. Mais la nuit, tous les loups sont gris, et les louvetiers avouent leur impuissance face à l’animal futé, qui peut trotter ses dizaines de kilomètres par jour.
Le sort du loup rejoint celui de l’ours et du lynx : voulons-nous de ces grands prédateurs à nos côtés, en brandissant la (bio) diversité en bandoulière, au prix de quelques brebis, ou préférons-nous rester seuls face à nous-mêmes, pour la tranquillité du pasteur ? Mais la dialectique du citadin épris de nature et de liberté face au rural bien embêté par ces bêtes féroces risque de se renverser : que se passera-t-il lorsque le bambin d’un bobo écolo aura été mordu en forêt de Fontainebleau par un loup enragé ?
Michel Giraud