Maps to the stars, David Cronenberg

Maps to the stars, David Cronenberg

Geography of violence

Pourquoi Agatha vient-elle à Los Angeles? Où la conduit Jérôme, le chauffeur qui se rêve acteur ? Est-on parti pour un grand tour des lieux et des figures hollywoodiennes entre studios, villas, backstage, enfant acteur assez mûr pour la toxicomanie, actrice vieillies et aigries avant l’heure et gourou/coach ou David Cronenberg nous prépare-t-il un retour sur terre ? Le prix d’interprétation à Cannes attribué à Julian Moore n’est-il que le résultat d’un regard narcissique du monde du cinéma sur ses propres travers, sur sa performance ou nous dit-il quelque chose de la performance des acteurs dans notre bas monde, et de nos mondanités spatiales contemporaines ?

Transferts

David Cronenberg reprend, au début de Maps to the Stars, là où il avait laissé Robert Pattinson dans Cosmopolis (2012): à la porte d’une limousine. De New York à Los Angeles, on reste en fait… à Toronto, qui une fois encore fait figure de ville silhouette sur laquelle peuvent se projeter d’autres urbanités iconiques (1). Anecdote de tournage ? Mystification propre à la géographie contrainte d’une (co) production franco-canadienne? Avec le réalisateur canadien, ce n’est (peut être) pas seulement cela. Déjà le déroulé du fond vert, dans Cosmopolis, faisait descendre et remonter en même temps la même rue à la limousine noire du magnat financier, soulignant un peu plus la déterritorialisation du personnage principal. Dans Maps to the Stars, l’illusion ciné-géographique renvoie consciemment ou non, et par la force des choses, à la volonté de se confronter à la géographique d’un mythe ou du moins à sa part mythique, Hollywood.

L’entreprise de démolition du haut lieu envisagé par le bas et à la marge rappelle, par ailleurs, celle de Billy Wilder dans Sunset Boulevard (1950) et de David Lynch dans Mulholland Drive (2001). Mais ces deux-là nous plongeaient par et depuis la route, en insiders, dans les abymes oniriques et fantasmatiques du mythe, l’épaississant in fine. D. Cronenberg, l’outsider, le travaille en maintenant une froide distance, dans une perspective qui se veut cartographique. Pour l’épuiser ?

La palme aux palmiers

La carte, justement, assez magnifique qui ouvre (et ferme) le film et dans laquelle se mêle une portion du  réseau viaire angelin et des constellations stellaires transporte dans une cosmogonie contemporaine. Agatha, débarquant à L.A vient tout juste de monter dans la limousine et déjà la discussion avec son chauffeur, Jérôme, tourne autour de « la » carte des maisons des stars. A l’image de The Bling Ring de Sofia Coppola (2013), le récit s’inscrit donc dans ce tropisme d’un espace starifié polarisé par les espaces domestiques des stars, ancrage et expression du rêve, prolongement matériel et réel de la nature double corps des stars car projection bivalente de leur intimité et de leur succès. Cette structure iconique de l’espace angelin, Maps to the stars, la reflète et s’y attaque frontalement. La carte laisse, en effet, la place à une esthétique de carte postale belle et froide dans laquelle le palmier est, dans le cadre, omniprésent.

Au-delà de la recherche du marqueur spatial authentifiant, le palmier fait bien office ici comme l’a analysé Jérôme Monnet, de mise en relation des niveaux « microscopique » et « mésoscopiques » de l’expérience : « Au-dessous des palmiers, le quartier ou communauté de voisinage ; au-dessus des palmiers, au-delà de « chez moi-chez nous », le travail (le marché d’emploi de l’agglomération) et la politique (la citoyenneté municipale, du comté, etc.), le niveau mésocosmique de l’expérience urbaine » (2). Si le palmier est si présent dans l’imagerie des plans, c’est qu’il fait ici le lien entre le désir de déification des stars de cinéma et leur condition corporelle mortelle, tension scalaire que l’on retrouve aussi dans les étoiles inscrite sur les trottoirs d’Hollywood Boulevard, sur lesquelles Agatha ne manque d’ailleurs pas de se prosterner. Le palmier horizon est aussi celui qui abrite la quête véritable d’Agatha, le lieu où se noue le drame de domesticités dégénérées.

Egos géographies 

L’arrivée d’Agatha les met à jour et le film déploie une géographie aux « bords coupants », un espace familial faisant figure d’échiquier. On peut lire l’espace créé ici par Cronenberg comme un écho cinématographique, à l’échelle d’Hollywood, de la désormais célèbre représentation schématique de L.A par les géographes Dear et Flusty (3). Non seulement parce que le récit juxtapose -par de rares scènes de déplacement en limousine- les maisons des différents protagonistes et leurs propres logiques d’inclusion et d’exclusion mais aussi parce que,  sur un mode fractal, dans l’écriture des plans, la camera privilégie très systématiquement des cadres dans lesquels les personnages sont seuls et ce même quand ils sont en situation d’interaction avec d’autres protagonistes. Le contraste est très net par rapport au transect new yorkais (CBD/Péricentre) adopté pour Cosmopolis et au trajet d’ampleur national (Ouest/Est) que constituait History of Violence (2005), deux de ces derniers films peut être les plus géographiques. Le dispositif spatial, dans son ensemble peut mettre à distance le spectateur de Maps, il le met carrément mal à l’aise quand il en fait la matière d’une psycho géographie névrotique. Les liens entre les personnages s’établissent progressivement et les maisons se peuplent de fantômes qui sont autant de projections de leurs égos démesurés et malades. Dans ce jeu de transferts imaginaires, le puzzle dessine au final les cages d’un entre soi endogame, dans lesquelles stars sur le déclin, imposteurs ou laissés à la porte sont tous immanquablement enfermés, incapables du moindre déplacement identitaire par rapport à leur image qui les ancre, les fixe et les assigne au cauchemar. La récitation de Liberté, poème d’Eluard, n’est dans ce cadre déterminant que l’expression d’une pathologie des limites qui ne peuvent que toucher aux confins de leur petit monde : la piscine du backyard pour les adultes et le point de vue sur le « Hollywood sign » pour les adolescents, autel de leur jeunesse volée et devenu le  lieu d’une impossible habitabilité dans ce bas monde.

 

Bertrand Pleven (Géographie-Cités)

  1. Cinq jours de tournage ont bien été réalisés à Los Angeles. Voir sur ce point et sur la « question » des palmiers l’entretien du réalisateur réalisé par  Jean-François Raugerpour Le Monde : « Je ne déteste pas Hollywood », http://www.lemonde.fr
  1. MONNET, Jérôme: « Images de l’espace à Los Angeles: éléments de géographie cognitive et vernaculaire ». Communication au Colloque de l’Institut universitaire de France « Espace(s)« , Toulouse, 1999. Actes en ligne: http://webast.ast.obs-mip.fr/people/rieutord/IUF_conf/actes.html. [Également diffusé dans la collection « Culture et Ville », n°99-25, Montréal, Canada : INRS-Urbanisation, 37 p.]
  1. Le schéma est accessible notamment en ligne dans : « Lectures », L’Espace géographique 1/ 2004 (tome 33), p. 59-60 URL : www.cairn.info/revue-espace-geographique-2004-1-page-59.htm.