Grand Palais (19 mars – 13 juillet 2014)

moi-auguste-empereurFils adoptif de César, vainqueur d’Antoine et de Cléopâtre, Auguste (63 av. J.-C. – 14 ap. J.-C.) est l’un des rares personnages de l’histoire à avoir laissé son nom à un siècle. Le bimillénaire de sa mort a donné l’occasion au musée du Louvre et au Grand Palais de s’associer pour présenter près de 350 objets de la période augustéenne. En arpentant les vastes volumes du Grand Palais, le visiteur peut apprécier des pièces monumentales, des statues plus grandes que nature, en bénéficiant d’une disposition scénographique qui facilite l’accès aux œuvres.

L’exposition est organisée en sept sections, sur deux étages. Nous nous attacherons particulièrement  à l’action géographique d’Auguste.

 
 

Auguste urbaniste

« J’ai trouvé une ville de brique, j’ai laissé une ville de marbre. »

Grâce à une intense activité d’aménagement urbain, Auguste établit un programme monumental à Rome, en s’appuyant sur une réorganisation de l’administration de la ville en 14 regiones.

L’ancien forum étant devenu trop petit, Jules César avait acheté des terrains privés à prix d’or pour les transformer en espace public. Son successeur, Auguste, construit un autre forum, toujours sur des terrains privés, et compose un programme statuaire monumental, qui évoque les grands noms de l’histoire de Rome. Il bâtit aussi des édifices destinés au peuple, comme le théâtre de Marcellus. L’exposition rappelle que sous la République, les théâtres accueillaient des fêtes religieuses et étaient en bois et non en maçonnerie, pour éviter qu’ils ne perdent leur caractère sacré. Pompée avait construit le premier théâtre en pierre. C’est ce matériau désormais utilisé qui a permis la conservation des édifices.

Les fouilles de la maison de Livie (troisième femme d’Auguste) sur le Palatin sont décidées par Napoléon III, comme un écho d’un empereur à l’autre par-delà les millénaires. Les peintures exposées avaient été relevées par Joseph-Fortuné-Séraphin Layraud, en 1869.

Auguste a accordé une attention particulière à la Gaule : il a créé la Gaule narbonnaise (le terme est de lui), renforçant l’œuvre colonisatrice en fondant à son tour Béziers, Orange, Fréjus, dotées du droit romain. Au terme de son règne, il autorise tous les citoyens romains de cette province à se porter candidats aux magistratures de Rome et à entrer au Sénat en cas d’élection. Il a laissé des constructions encore très bien conservées aujourd’hui, la Maison carrée à Nîmes, le pont du Gard et le temple de Livie et d’Auguste à Vienne. L’exemple de Nîmes est le plus frappant : lieux de pouvoir, pouvoir des lieux, la parure monumentale de cette ville est l’une des plus précoces et des plus riches de l’Occident romain et montre la force du culte impérial. Ce culte est présent aussi dans les campagnes : Auguste reprend le culte des Lares compitales aux carrefours en y associant sa propre image.

Auguste et la pax romana : la circulation des biens et des marchandises

« J’ai construit, j’ai reconstruit, j’ai commencé, j’ai achevé. »

L’exposition insiste à la fois sur la diffusion des grandes œuvres et sur celle des biens de la vie quotidienne. Les modèles des œuvres circulent dans l’empire, sans doute sous forme de moulages. Sous la République, les généraux conquérants avaient apporté des œuvres grecques à Rome. Sous Auguste, ce sont les artistes grecs eux-mêmes qui viennent s’installer à Rome et produisent des œuvres inspirées des chefs-d’œuvre de l’art grec. L’unité de l’empire est assurée par une politique culturelle, un style artistique. Avec des villes nouvelles et leurs monuments, Auguste promeut un type de décor de l’Espagne à l’Asie mineure.

Une très grande pyxide (boîte) en verre translucide destinée à un usage domestique indique que le verre n’est plus un produit de luxe, mais sert à la consommation courante. On assiste aussi aux débuts du verre soufflé, avec de petits flaconnages, des balsamaires de petite taille vivement colorés. Le verre soufflé va prendre une place de plus en plus grande aux côtés de la céramique. Les biens produits dans l’empire circulent selon des circuits commerciaux garantis par la pax romana.

La céramique sigillée apparaît au milieu du premier siècle avant J.-C. En vernis rouge brillant et décor en relief, c’est une production de masse diffusée dans tout l’empire, ce qui entraîne la création d’ateliers de production locaux en Gaule ou en Afrique. On en fait des cratères (vases servant à mélanger le vin et l’eau).
Des petites coupes en argent doré découvertes dans une tombe princière au Danemark, et ornées de scènes mythologiques tirées de l’Iliade et de l’Odyssée, témoignent de la circulation des objets et des textes au-delà des frontières de l’empire, sans doute dans le cadre d’échanges diplomatiques avec les princes locaux. Les héros mythologiques y sont remplacés par les personnages importants du moment, dont l’empereur.

Le mobilier funéraire d’Antran, découvert à Vienne (dans la Drôme) dans les années 1980, rappelle la romanisation des élites gauloises : les légions romaines recrutaient comme auxiliaires des chefs locaux avec leurs troupes, et prenaient soin de respecter les usages funéraires gaulois, comme en témoignent les dépôts de restes de faune domestique et sauvage (sur lesquels le visiteur peut marcher dans l’exposition), tandis que la vaisselle en métal campanien révèle l’adoption d’objets ou de pratiques de Rome.

Le goût du luxe est encouragé et facilité par le développement des réseaux commerciaux : un skyphos en cristal de roche découvert à Caserte est fait de matériau provenant d’Égypte ou d’Inde.

Sur une coupe en argent de Tibère, Auguste accorde sa clémence à des barbares agenouillés qui lui confient leurs enfants : l’imagerie officielle entre dans la sphère privée.

Auguste, l’empire et la paix

« J’ai agrandi les frontières de toutes les provinces du peuple romain. »

L’ère augustéenne marque le début de la pax romana, une longue période de paix pour l’empire romain. Auguste (il s’appelait alors encore Octave) met fin à des dizaines d’années de guerre civile avec ses victoires lors des batailles navales de Nauloque, en – 36, puis d’Actium face à Antoine, en – 31. Un ensemble de reliefs trouvés vraisemblablement en Campanie, datés du règne de Tibère (fils adoptif d’Auguste), et réunis exceptionnellement ici, relate cette bataille : cette frise sculptée dans le marbre de Carrare montre les galères en action. Une pièce de monnaie figure Auguste tenant le sceptre et posant le pied sur un globe : il tient aussi l’aplustre (ornement de la poupe d’un navire), signifiant qu’il est devenu le maître des mers. La prise d’Alexandrie permet à Auguste d’étendre l’empire à l’Égypte et à l’ensemble du pourtour de la mer Méditerranée. Sur un denier d’argent, Auguste est représenté rentrant victorieux d’Orient, dans un char tiré par des éléphants. La conquête de l’Espagne enfin terminée, l’expansion se poursuit en Europe centrale : Rhétie, Norique, Pannonie, Mésie. Ce n’est qu’en Germanie que les légions subissent une défaite cuisante, l’écrasement des légions de Varus par Arminius (relisons Julien Gracq : « La forêt de Teutobourg, inquiétante à force de silence, par trois fois grosse des légions d’Arminius. (…) Seules les querelles des tribus germaines permirent à la fin de ramener sans catastrophe le limes sur le Rhin ; on ne le franchit plus jamais : le tabou fut mis sur la Teutonie mangeuse de légions, ses tourbières insondables et ses forêts horribles. 1»). D’après Suétone, Auguste se montra si consterné après ce coup d’arrêt tragique à l’expansion impériale qu’il laissa pousser sa barbe et ses cheveux pendant plusieurs mois. De temps à autre il se frappait la tête contre sa porte en hurlant : « Varus, rends-moi mes légions ! ». Un masque d’un casque de parade en fer argenté d’un décurion, officier de cavalerie de l’armée de Varus, illustre cet épisode.

L’exposition commence par la présentation de l’Auguste de Prima Porta, une grande statue d’Auguste revêtu d’une cuirasse, en marbre blanc, découverte en 1863 (cette statue illustre l’affiche de l’exposition ci-dessus). Cette cuirasse porte un bas-relief qui illustre la suprématie d’Auguste et la constitution de son empire. Le registre central représente la restitution des enseignes romaines par les Parthes, en – 20 : non pas une victoire militaire mais un accord diplomatique : ces motifs livrent un message de paix. Les flancs de la cuirasse représentent deux personnages qui personnifient deux provinces qui sont peut-être l’Hispanie et la Gaule. Comme le dit Auguste lui-même dans les Res Gestae : « J’ai pacifié les provinces de Gaule et d’Hispanie ».

Auguste nomme personnellement les légats dans les provinces impériales, souvent situées sur les frontières, avec la volonté de faire surveiller par des hommes sûrs les nouvelles limites de l’empire. A chaque fois, les structures administratives sont maintenues et on donne beaucoup d’autonomie aux pouvoirs locaux. Certaines cités d’Orient conservent leur indépendance. Auguste favorise la création de colonies romaines qui constituent de relais privilégiés pour l’établissement et le rayonnement du pouvoir de Rome au sein des provinces.

Une grande carte murale permet de visualiser l’empire et ses provinces, ce qui nous rappelle que la Gaule Belgique englobait une grande partie du nord-est de la France actuelle. Elle commençait au nord et à l’est de Lutèce et longeait ou passait non loin de la Seine en aval, elle englobait Amiens, Reims et Metz. A noter une divergence entre la carte du musée et celle reproduite dans le catalogue : celle du musée indique la frontière entre la Gaule Lyonnaise et la Gaule Belgique selon César, celle du catalogue montre cette même frontière sous Auguste, frontière qui avaient été déplacée vers le nord.

Signalons par ailleurs la stimulante hypothèse de Christian Goudineau qui, s’interrogeant sur la bizarrerie du découpage administratif opéré par Rome en Gaule entre les provinces de Lyonnaise, Aquitaine et Belgique, tente de concilier la Géographie de Strabon (contemporain d’Auguste), synthèse des connaissances de l’époque, avec les données cartographiques actuelles2.

Le trophée des Alpes, ou trophée de La Turbie, fut érigé vers 6 av. J.-C. au point ultime vers l’ouest auquel aboutit la conquête des Alpes, de l’Adriatique jusqu’à la Méditerranée Ligure. Les étapes de sa restitution (c’est-à-dire de sa reconstitution) sont présentées par plusieurs planches. Elles nous permettent de nous rendre compte du grand changement opéré par rapport à la ruine retrouvée, ce qui pose l’éternelle question de la difficulté à se représenter un édifice ancien sans plan et son devenir : laisser en état ou rebâtir selon son inspiration ?

Le recensement est étendu à l’ensemble de l’empire, pour mieux maîtriser les ressources humaines et matérielles. Le premier recensement de Judée, en 6 av. J.-C., réalisé sous Quirinius, allait rester dans la Bible comme celui du dénombrement sous Hérode : Luc, chapitre II, 1 : « Vers ce même temps, on publia un édit de César Auguste, pour faire un dénombrement des habitants de toute la Terre. », chapitre II, 2 : « Ce fut le premier dénombrement qui se fit par Cirinus (Quirinius), gouverneur de Syrie. »

L’exposition se clôt par une des pièces maîtresses, une tête de bronze d’Auguste, aux yeux très expressifs, découverte à Méroé, ancienne capitale de la Nubie, au Soudan. Ce buste avait été enseveli intentionnellement par les Nubiens, à l’entrée d’un sanctuaire, de sorte que chacun en passant foulait l’empereur au pied, symboliquement, en signe de triomphe et de dérision.

Une exposition remarquable, tant par l’ampleur des œuvres choisis que par leur présentation, complétée par un catalogue très riche.

  1. En lisant en écrivant et Carnets du grand chemin.
  2. Les provinces de Gaule : problèmes d’histoire et de géographie, in Mélanges Pierre Lévêque, Annales littéraires de l’université de Besançon, 5, 1990, p. 161-170, repris in Regard sur la Gaule, Errance/Actes Sud, Babel, 1998, 2007, 573 p.

 

Pour aller plus loin :

Auguste, Catalogue de l’exposition, Réunion des musées nationaux- Grand Palais, 2014, 319 p.

 

Michel Giraud, juin 2014