Un week-end  champenois, 20-22 septembre 2013

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L’histoire prestigieuse de Reims vaut à la ville des sacres d’avoir 4 sites inscrits sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO depuis 1991. L’autre attraction touristique de la métropole champenoise réside dans la présence de nombreuses maisons de champagne avec leurs caves et leurs hôtels particuliers. Mais les Cafés Géographiques ont préféré  sortir des « lieux communs » pour découvrir différentes facettes de la ville et de sa région : des témoins de l’histoire urbaine de Reims, un joyau Art nouveau (la Villa Demoiselle), des paysages forestiers et viticoles, le fonctionnement d’une coopérative viticole, un spectacle son et lumière, un circuit Art Déco, la visite de la cathédrale guidée par le meilleur spécialiste de ce monument prestigieux, etc.

Ce week-end champenois a été organisé par Daniel Oster, avec le concours de Marc Béteille et les conseils avisés de Maryse Verfaillie, pour un groupe de 30 personnes, toutes adhérentes de l’association des Cafés Géographiques. Dix intervenants ont apporté leur contribution pour éclairer les différents thèmes retenus pour ce séjour tandis que plusieurs participants ont prêté leurs belles photographies qui agrémentent le compte rendu qui suit.

Samedi 21 septembre matin

1-   Une visite guidée de la cathédrale de Reims

De bon matin, Patrick Demouy, éminent universitaire considéré comme le meilleur spécialiste de la cathédrale Notre-Dame de  Reims, a entraîné le groupe jusqu’ au centre de l’édifice religieux pour commencer sa visite guidée qui s’est achevée une heure et demie plus tard par ses commentaires éclairants sur la façade et les enjeux de la restauration en cours.

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Vues de Notre-Dame de Reims, photographies de Françoise Mourot

La richesse des analyses de Patrick Demouy, mêlant à la fois l’érudition la plus fine et une clarté toute pédagogique, a captivé l’auditoire qui désormais ne regardera plus une cathédrale gothique avec les mêmes yeux. Plutôt que de rapporter quelques maigres extraits pris en note lors de la visite, nous renvoyons le lecteur désireux d’en savoir plus sur la cathédrale de Reims à l’ouvrage de Patrick Demouy, Reims : la cathédrale, éditions Zodiaque, collection Le ciel et la pierre, 2000, 390 pages.

2-   Une visite guidée de la Villa Demoiselle (Reims)

La fin de matinée est consacrée à la visite de la Villa Demoiselle située à proximité du Domaine Pommery, sachant que la Villa tout comme le Domaine appartiennent au même groupe, Vranken-Pommery Monopole, actuel numéro deux des producteurs de champagne derrière LVMH.

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Vues de la Villa Demoiselle à Reims, photographies de Françoise Mourot

La Villa Demoiselle a été construite de 1904 à 1908, d’après les plans de l’architecte Louis Sorel, pour devenir à la fois un lieu d’habitation et de réception appartenant au Domaine Pommery. Louis Cochet, directeur du Domaine, y résida de 1908 à 1936. Abandonnée en 1970, et même pillée, menacée de démolition dans les années 1980, elle est finalement achetée en 2004 par Paul-François Vranken, Président du groupe Vranken-Pommery Monopole, qui décide de la restaurer en s’appuyant sur une documentation très rigoureuse. Après cinq années de travaux, la villa, désormais appelée Demoiselle, est ouverte au public depuis 2008.

Grâce à sa structure en béton et à sa charpente métallique, extrêmement rare au début du XXe siècle, la villa a survécu aux deux guerres mondiales. D’une surface au sol de 350 m2, elle constitue l’une des réalisations les plus exemplaires de transition entre l’Art nouveau et l’Art déco. Tantôt sobre et rectiligne, tantôt en torsades et volutes, elle n’appartient à aucun des deux. Si l’extérieur privilégie les formes droites et géométriques, proches de l’art déco, le mobilier et la décoration tendent vers l’Art nouveau.

Samedi 21 septembre après-midi

Par un magnifique temps ensoleillé, un circuit en autocar permet la visite d’une partie du vignoble de Champagne en suivant une boucle à partir de Reims qui emprunte le flanc oriental de la Montagne de Reims (Verzy, Bouzy), la vallée de la Marne (Tours-sur-Marne, Aÿ), la traversée Sud/Nord de la Montagne de Reims (par Hautvillers) et le versant Nord de celle-ci (jusqu’à Vrigny) avant de revenir à Reims.

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Carte de localisation du vignoble de Champagne

Dans le car, plusieurs exposés sont proposés avant notre premier arrêt à Mareuil-sur-Aÿ. Ainsi, un petit topo de Marc Béteille sur les faux de Verzy tente de faire le point sur cette curiosité agronomique des hêtres tortillards dont il existe quelques rares sites en Europe (en dehors du site de Verzy en France, des sites en Allemagne, en Suède et au Danemark).

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Un spécimen des faux de Verzy

1-   Un premier arrêt à Mareuil-sur-Aÿ

Le village de Mareuil-sur-Aÿ, situé au Sud de la Montagne de Reims, s’étend le long du canal latéral à la Marne. C’est l’occasion d’observer des péniches et d’autres bateaux amarrés qui témoignent de la seule fonction notable du canal aujourd’hui, la navigation de plaisance.

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                               L’écluse de Mareuil-sur-Aÿ                   Le long du canal latéral à la Marne

2-   Un second arrêt à Hautvillers

Cette fois-ci, nous entrons dans le vif du sujet, c’est-à-dire le vignoble et le champagne.

« Sans la forêt de la Montagne de Reims il n’y aurait pas de vin de Champagne. La masse boisée a en effet tamisé et régulé la température du vignoble. Cette forêt établit une véritable cloison entre Epernay et Reims. Ce sont deux mondes à part. (…) Tout oppose Epernay, infiltrée de part et d’autre part le vignoble, à Reims, posée solitairement sur un plateau qui lui donne un air curieusement castillan. » (Jean-Paul Kauffmann, Voyage en Champagne, 1990).

« Quel contraste entre l’ampleur du vignoble et les villages mesquinement accrochés à une pente, ou étrécis autour de la rue principale ! Au milieu de la vigne, ces bourgades forment un passage encaissé, souvent goulet d’étranglement qui accentue la rigidité et l’uniformité dues à un crépi gris recouvrant chaque maison. » (Jean-Paul Kauffmann, Voyage en Champagne, 1990).

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Le vignoble champenois vu d’Hautvillers, photographies de Françoise Mourot

Nous avons eu l’occasion jusque là de vérifier la justesse des observations de Jean-Paul Kauffmann, remarquable connaisseur du champagne et de la Champagne, et auteur d’un magnifique petit livre sur la région (Voyage en Champagne, 1990, réédité aux Editions des Equateurs en 2011). Les villages traversés comme Trépail ou Bouzy ressemblent bien à ces bourgades qui n’épatent pas le touriste alors que l’aisance des vignerons marnais n’est pas une légende. Pourtant, en arrivant à Hautvillers, dont l’abbaye accueille aujourd’hui Moët-et-Chanson (LVMH) et l’église abbatiale la pierre tombale de Dom Pérignon, le joli village (« disneylandisé » aux yeux de certains) présente un aspect différent de ses semblables avec ses ruelles pittoresques, ses enseignes en fer forgé et ses touristes… en 4×4 ! Mais plus que le village lui-même, le spectacle qui nous intéresse se voit près de l’abbaye, là où se dévoile un superbe panorama que Jean-Paul Kaufmann décrit ainsi :

« C’est de la terrasse abritée par des marronniers séculaires que l’âme d’Hautvillers transparaît avec éclat, dévoilant d’un seul coup la beauté du vignoble champenois. Celui-ci forme un amphithéâtre d’où émergent des lignes de peupliers et la masse sombre des villages. C’est de ce belvédère que la Champagne viticole révèle le mieux l’ordonnance de ses coteaux et permet d’entrevoir les trois principales zones du vignoble : la vallée de la Marne, la Montagne de Reims et la côte des Blancs. » (Jean-Paul Kaufmann, Voyage en Champagne, 1990).

3-   Un troisième arrêt à Coulommes-la-Montagne

Dernier arrêt avant le retour sur Reims : la coopérative vinicole de Coulommes-Vrigny où nous attend l’un de ses dirigeants, Olivier Suply, qui va se révéler un guide remarquable. Cette coopérative regroupe des vignerons résidant dans l’une ou l’autre commune, ceux-ci ne faisant qu’utiliser le matériel pour leur production personnelle. Par exemple, Olivier Suply qui réside à Vrigny produit son propre champagne sous la marque Suply-Hénaux. La coopérative dispose aujourd’hui d’un matériel constamment modernisé qui est parfois loué à des maisons de champagne.

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En violet, la route touristique du champagne de Reims à Epernay. La coopérative visitée se trouve sur la commune de Coulommes-la-Montagne, à une dizaine de km au sud-ouest de Reims.

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Les installations de la coopérative vinicole de Coulommes-Vrigny, photographies de Françoise Mourot

4-   Une mise au point sur le champagne

Notre guide-géographe Elisabeth a distillé tout au long de l’après-midi des informations permettant de retracer l’histoire du vignoble et de dégager les éléments essentiels de l’économie du champagne. Un autre intervenant, Yohan Lafragette, a évoqué avec brio les conséquences du réchauffement climatique sur les vignes locales.

Pendant longtemps le vignoble champenois d’appellation s’est limité à la Côte de l’Ile-de-France puis il s’est étendu pour coloniser des marges à l’ouest et au sud de celui-ci, ce qui explique la diversité de ses conditions naturelles. En un demi-siècle, il est passé de 13 000 hectares (en 1955) à 31 000 au début du XXIe siècle. La Champagne viticole s’apparente à une région économique identifiable par le produit de son activité parallèle, le champagne.

C’est au XVIIe siècle que le « vin tranquille » se mue progressivement en vin effervescent. Cette champagnisation, consistant à domestiquer la prise de mousse, a nécessité tout un savoir-faire œnologique mais aussi des techniques nouvelles  (bouteilles résistantes, bouchage efficace, caves profondes et fraîches). Dans cette longue histoire Dom Pérignon a joué un rôle important (notamment dans l’assemblage des cépages) sans pour autant mériter celui d’ « inventeur du champagne » dont on l’affuble encore bien souvent. Très tôt, le marché se développe et l’Europe entière (d’abord l’Angleterre) est séduite par le breuvage dès le XVIIIe siècle. Depuis plus de deux siècles, le champagne a connu les vicissitudes liées aux crises politiques et économiques mais depuis un demi-siècle son expansion est remarquable. Aujourd’hui, le vignoble est détenu à 80% par les vignerons et 20% par les négociants tandis que le vin  est produit à près de 30% par les récoltants-manipulants, 20% par les coopératives et environ 50% par les maisons de Champagne (au premier rang desquels se trouve le groupe LVMH (avec ses marques Moët & Chandon, Dom Pérignon, Mercier, Krug, Veuve Clicquot, Ruinart). Quant au CIVC (Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne), né en 1941, il s’est imposé comme l’instance régulatrice du vignoble champenois.

Le champagne, c’est aussi tout un système de références qui s’est construit autour du produit jusqu’à constituer une sorte de code culturel. Il constitue un référent majeur de l’art de vivre à la française, il  représente le meilleur produit d’appel de la région champenoise, etc. L’ensemble des acteurs associés soutient la candidature des Coteaux, Maisons et Caves de Champagne pour l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. Restent à relever d’autres défis : la défense de l’appellation, la concurrence des vins effervescents étrangers et…le réchauffement climatique.

Samedi 21 septembre en soirée

En 2011, la ville de Reims a fêté dignement les 800 ans de la cathédrale avec un superbe spectacle son et lumière baptisé « Rêve de couleurs ». L’expérience a été renouvelée en 2012 et en 2013. Cette représentation de polychromie dynamique jouant sur les volumes et détails de la façade de Notre-Dame de Reims s’inscrit dans la tradition des spectacles que l’on retrouve pour d’autres cathédrales (Amiens, Rouen, Strasbourg, Beauvais, Orléans…). Les participants du week-end ont apprécié…

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Le spectacle son et lumière de Reims, créé par Skertzo, metteur en scène des patrimoines. Photographies de Françoise Mourot

Dimanche 22 septembre matin

1-   Une présentation des projets urbains de Reims Métropole

Début de matinée studieux pour les participants : Elisabeth Bonnet-Pineau, géographe et consultante,  fait un exposé dans un des salons de l’hôtel où logent la plupart des « grands élèves » des Cafés géographiques. Le sujet de l’exposé : l’histoire urbaine de Reims et les projets de Reims Métropole.

Les héritages urbains sont présentés de façon précise, de telle sorte qu’ils permettent de mieux comprendre les enjeux du développement contemporain de l’agglomération rémoise : de l’oppidum à la ville des sacres, la ville royale, de l’essor économique du XIXe siècle à la ville martyre du début du XXe siècle. Mais l’intervenante a pris le parti d’insister sur les projets actuels.

Qualifiée de « belle endormie », la ville de Reims s’est « réveillée » au début du XXIe siècle, bénéficiant de l’effet TGV (inauguration en 2007), du pôle de compétitivité en agro-ressources et d’une volonté des acteurs publics locaux de changer l’image de l’agglomération. La municipalité  et la communauté d’agglomération cherchent à attirer de nouvelles compétences pour soutenir leur action volontariste, mettent en œuvre de nouvelles infrastructures autour de la gare TGV et en ville (tramway), impulsent une politique culturelle dynamique.

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Localisation des nouveaux parcs d’activités de Reims Métropole

Avec Reims 2020, c’est une métropole en construction qui se dessine autour de quelques axes forts. Un site Internet très riche (www.reimsmetropole.fr) précise les choix faits en matière d’aménagement du territoire, notamment le contenu du Schéma de Cohérence territoriale de la région rémoise (SCoT). Il s’agit en particulier d’élargir le centre-ville pour attirer entreprises et bureaux, de renforcer la recherche et les formations supérieures, de promouvoir des actions de développement durable (Agenda 21), tout cela pour s’affirmer comme  métropole à part entière (faiblesse actuelle des emplois  « métropolitains »), ce qui pose la question des relations avec la région parisienne. Au bout du compte, Reims et la communauté d’agglomération doivent confirmer plusieurs progrès déjà obtenus pour prétendre jouer un tel rôle.

2-   Un circuit guidé dans le centre historique de Reims 

Avec Marc Béteille et ses amis du Groupe d’Etudes Archéologiques de Champagne-Ardenne nous partons à la découverte des principaux vestiges et monuments datant d’une longue période allant des siècles gallo-romains à la fin des temps modernes (XVIIIe siècle).

Point de départ du circuit : la place de la République qui jouxte la Porte de Mars (important arc de triomphe du IIIe siècle de 32 m de large). L’endroit est idéal pour présenter les différentes enceintes de la ville, l’emplacement des quatre portes, le cardo et le decumanus de Durocortorum.

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L’enceinte du Bas-Empire     La même enceinte tracée sur un plan récent

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Commentaires savants près de la Porte de Mars, photographies de Françoise Mourot

L’itinéraire emprunté nous conduit ensuite à la place du Forum où subsiste un autre important vestige gallo-romain, le cryptoportique de l’ancienne capitale romaine de la province de Belgique, datant probablement du Ier siècle.

Tout près, l’Hôtel de La Salle nous ouvre exceptionnellement ses portes (projet d’ouverture au public en 2014). Ce très bel ensemble architectural de la Renaissance (milieu du XVIe siècle) possède un élégant escalier à vis ajouré qui fait immédiatement penser à celui du château de Blois. Le groupe admire le bâtiment qui est commenté de façon impromptue par un Frère des Ecoles Chrétiennes. En effet, ici est né Jean-François de La Salle, le fondateur de la congrégation religieuse dont la mission était d’enseigner aux enfants démunis, et le bâtiment accueille encore un centre de recherches mis à la disposition des Frères des Ecoles chrétiennes.

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L’Hôtel de La Salle (en haut à gauche), la Place Royale (en haut au milieu et à droite)

Le circuit s’achève Place Royale, située à l’emplacement de l’ancien Forum romain, et d’un quartier médiéval aux venelles tortueuses avec les marchés aux blés et aux draps. Les travaux engagés en 1758 se terminent 19 ans plus tard mais le monument central avec la statue de Louis XV date de 1765 (Pigalle est l’un des artistes qui collaborent à l’entreprise). Le bel ordonnancement classique de la place révèle une belle unité faisant d’elle l’une des plus belles réalisées en France au XVIIIe siècle (la sous-préfecture occupe aujourd’hui le bâtiment de l’ancien Hôtel des fermes).

Dimanche 22 septembre après-midi

Cette fois-ci, c’est un circuit Art Déco que suivent les participants, toujours dans l’ellipse du centre historique, depuis le parvis de la cathédrale jusqu’aux halles du Boulingrin.

1-   Un exposé préliminaire sur l’Art Déco à Reims

Reims, seule grande ville française presque entièrement détruite (à  plus de 80%) au sortir de la guerre de 1914-1918, est largement à reconstruire. C’est une ville nouvelle qui va surgir en peu de temps dans les restes de la cité historique. Pour la rebâtir, on fait appel à un architecte urbaniste américain, George Burdett Ford, qui propose des solutions innovantes et ambitieuses sur la base d’une ville qui pourrait atteindre 300 000 habitants. La reconstruction se déroule pour l’essentiel entre 1920 et 1930, période dites des Années folles et marquée par l’Art Déco dont l’Exposition manifeste à Paris date de 1925 (exposition internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes). En réalité, la reconstruction est marquée par l’éclectisme et non par un style particulier pour plusieurs raisons :

–         Après 4 ans de guerre, le  climat est favorable à l’individualisme.

–         L’immense chantier géré par un grand nombre de cabinets d’architectes et réalisé par de très nombreux artisans et entreprises  de différentes régions françaises résulte d’une mise en œuvre individuelle, sans intervention de fonds publics directs (versement de dommages de guerre aux sinistrés). Plusieurs Sociétés Coopératives sont également parties prenantes dans cette reconstruction.

–         L’exposition-manifeste des Arts Déco de 1925 survient quand la reconstruction est déjà très avancée. Après 1925, les exemples Art Déco sont plus fréquents mais les chantiers ont alors fortement ralenti.

Au total, un nouveau bâti hétérogène mais s’inscrivant dans un plan d’urbanisme cohérent et intégrant de nouvelles techniques et de nouveaux matériaux qui s’annonçaient en réalité dès 1910. Pour faire simple, les spécialistes proposent une classification de cinq styles :

1-   Le style « historiciste », également nommé « éclectique » s’apparente au pastiche qui conserve ou revitalise les racines anciennes du style local ou régional. Ainsi, quelques beaux immeubles de style « historiciste » entendent rappeler la mémoire d’un patrimoine médiéval encore bien présent en 1914 et anéanti à la fin du conflit. Exemple de l’Hôtel du Vergeur.

2-   L’Art Nouveau ou plutôt ses tardifs avatars, principalement sous la forme de motifs floraux ou de ferronneries. Exemples du Comptoir de l’Industrie et du Cinéma Opéra.

3-   Le Régionalisme qui se concentre dans l’architecture des Cités-Jardins. Exemple du style Franc-Comtois/Alsacien pour la Cité du Chemin Vert.

4-   L’Art Déco : efficacité architecturale géométrique, centré sur l’essentiel et incluant des éléments de décors stylisés. Exemples de la Bibliothèque Carnegie et de l’église Saint-Nicaise.

5-   Le Mouvement Moderne : nouvelles techniques de construction au profit de la trilogie  Forme/Fonction/Structure. Exemples des Halles du Boulingrin, de la Poste principale et des voûtes de la Gare Centrale.

Les nouvelles techniques de construction :

Le béton armé est utilisé depuis la fin du XIXe siècle mais seulement pour les structures porteuses. Avec la reconstruction, l’emploi du béton s’étend de façon considérable, permettant parfois de concevoir des structures jusqu’alors inenvisageables (voûte en voile mince du Boulingrin). Parfois, le béton est habillé en maçonnerie, avec emploi de pierres et de briques, parfois, il se dévoile comme élément de façade.

Le verre évolue à son tour avec l’éclosion du pavé de verre moulé qui facilite l’apport de lumière sans affaiblir la structure.

L’ornementation évolue elle aussi : après les formes végétales et esthétisantes de l’Art Nouveau, retour à des formes pures et hiératiques. Place de la ferronnerie de plus en plus importante en appui de fenêtres, balcons, grilles…

2-   Un circuit Art Déco parmi d’autres

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Quelques façades et intérieurs Art Déco à Reims

1- Du parvis à la rue des Tourelles en passant devant le Palais du Tau : confrontation architecturale entre les immeubles des n°1 (Mouvement Moderne),  n°3 et 5 (historiciste).

2- Rue du Cardinal de Lorraine : Bibliothèque Carnegie, chef d’œuvre de l’Art Déco rémois. Sur l’arrière, corniche en bas-relief où alternent rameaux, noms de personnalité littéraires et scientifiques, locales et nationales. Architecture plutôt banale, mais  péristyle d’entrée orné de mosaïques à décor géométrique, encadré par deux vasques de Sèvres. Pilastres surmontés d’arbustes fleuris gravés en intaille sur le fronton.

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Des bâtiments de différents styles (Art Déco, Art nouveau tardif, historiciste…) près de la cathédrale gothique. Photographies de Jean-Pierre Némirowsky

3- Rue de l’Université puis Place Godinot : façade ornée du n°6 et façade toute en rigueur du n°5.

4- Rue Saint-Symphorien puis rue Voltaire. A l’angle de  la rue des Trois Raisinets, imposant immeuble de rapport (n°23) suivi au n°27 d’une maison particulière en moellons avec incrustations de briques et échauguette d’angle.

5- Rue Saint-Yvon puis rue E. Desteuque : élégante architecture en briques au n°26/28 et maison de style éclectique au n°35. Au croisement de la rue Ponsardin, au n°7 maison avec fronton orné d’un sgraffite.

6- Rue Voltaire et Place A. Briand : fronton Art Déco de la Brasserie de l’Esplanade.

7- Rue Cérès : imposant Comptoir de l’Industrie en travaux (Art Nouveau tardif ou Modernisme) puis Hôtel des Postes (1930, Mouvement Moderne).

8- Après la Place Royale, poursuivre  par la rue Carnot. Au n°13, la Porte du Chapitre encadrée d’anciennes tourelles(XVIe) ; au n°14, un établissement  bancaire (1922-1924) orné  en partie haute de sculptures allégoriques.

9- Cours Langlet : nombreux dômes et coupoles chapeautant les immeubles d’angle dans un esprit « haussmannien » (au n°12, ancien Conservatoire devenu hôtel de la Mutualité). Au n°41 maison particulière ordonnée de belles ferronneries ; au n°45, garage-pergola avec colonnes à l’antique ; aux n°48/50, premier immeuble réalisé entièrement en béton armé.

10- Place de l’Hôtel de ville : Hôtel de ville du XVIIe siècle, achevé au XIXe siècle ; vue sur les anciens grands magasins « Galeries rémoises » (style Art Déco, 1922-1924, façade seule conservée).

11- Rue de Mars : ancien cellier Mumm avec sculptures et mosaïques.

12- Halles du Boulingrin (Mouvement moderne 1923-1927, restaurées début 2012). Reconstruction du Marché central non pas place du Forum mais autour du Boulingrin (meilleure accessibilité, espace pour appareils frigorifiques). Choix d’un projet novateur utilisant le béton armé au profit d’une structure  ample et aérienne : extraordinaire voûte parabolique, sans nervure en sous-face, épaisse de 7 cm seulement, d’une portée de plus de 30m avec une flèche de 18m (une véritable prouesse technique pour une surface de près de 10 000 m2). Luminosité due aux deux immenses verrières en pignon et aux grandes baies inscrites dans la voûte. Considérées en  1929 comme l’une des plus belles halles de France.

Effritement du béton à partir de 1952 car le gonflement du métal par la rouille désagrège le béton qui l’enveloppe. Fermeture définitive des halles en 1988. Bras de fer entre la ville favorable à la destruction et la Direction Régionale des Affaires Culturelles jusqu’à la récente restauration achevée en 2012.

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Les halles du Boulingrin, la nuit. Photographie de Jean-Pierre Némirowsky

 

Pour plus d’informations, les sites à consulter :

 

www.carto.ville-reims.fr (plan interactif de Reims)

www.cite-jardin-reims.culture.fr (excellente présentation de la cité du Chemin-Vert, considérée comme l’une des références de la cité-jardin avec son urbanisme particulier et ses équipements et services)

www.leroy-goulet-turpin.com (Reims est le berceau des maisons à succursales)

www.maisons-champagne.com (site complet des maisons de champagne)

www.champagne.fr (excellent site du Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne)

www.parc.montagnedereims.fr (le plateau de la Montagne de Reims et une partie du vignoble forment un Parc naturel régional depuis 1976)

www.cathedraledereims.fr (intéressante visite virtuelle de la cathédrale proposée depuis 2011, date du 800e anniversaire du prestigieux monument inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1991).

 

                                                                      Daniel Oster, octobre 2013