Le Brésil était à l’honneur mardi 26 mars 2002 alors que se tenait le deuxième repas géographique lyonnais. Après Philippe Pelletier sur le Japon, c’est autour d’Hervé Théry que s’est réunie une trentaine de personnes, au Sambahia, aux sons de samba et de bossa nova.

Marie-Christine Doceul rappelle l’histoire des restaurants géographiques ainsi que leur principe : à défaut d’aller sur le terrain, permettre à un large public d’étudiants, enseignants et curieux de découvrir un pays par le biais de sa gastronomie. Elle remercie chaleureusement Hervé Théry, professeur à l’Ecole Normale Supérieure, spécialiste du Brésil, d’avoir accepté l’invitation, ainsi qu’Emmanuelle Delahaye et Guillaume Arsac pour leur aide.

Hervé Théry commence par exprimer ses regrets de ne pas partager un petit-déjeuner car tout ce que l’on consomme habituellement le matin a de fortes chances de venir du Brésil. En effet, le pays est aux premiers rangs des productions mondiales de café, de sucre, de concentré d’oranges (jus de fruits), et de tourteau de soja destiné à l’alimentation des vaches laitières européennes ! Mais il exprime aussi sa satisfaction : à l’origine de l’exploration du Brésil sous François Ier, ce sont les aventuriers français qui étaient mangés !

Le Brésil est un pays qui se caractérise par un grand métissage ethnique et culturel : la gastronomie constitue donc une bonne approche de cette complexité. Le repas va permettre de mettre en évidence les héritages et les influences qui ont marqué la culture et la gastronomie brésiliennes.

Notre entrée se compose de salade verte accompagnée de tomates, de cœurs de palmier et assaisonnée d’huile d’olive. Le cœur de palmier est la seule denrée vraiment locale. Rarement cultivés, ils sont cueillis dans la forêt amazonienne. La hausse de la consommation a entraîné la plantation de palmiers afin de satisfaire la demande croissante et de réduire les risques de destruction de la biodiversité. Le reste de l’entrée a été apporté et résulte d’un métissage : la salade verte vient du Japon (et d’une manière générale tous les légumes frais sont cultivés encore de nos jours par des travailleurs d’origine japonaise), la tomate vient du Mexique et l’huile d’olive, d’origine méditerranéenne, est un héritage de la colonisation européenne. En effet, les Espagnols et les Portugais apportent en Amérique du Sud l’olivier, le blé (pour le pain) et le bœuf. Aujourd’hui, au Brésil, il y a plus de bœufs que d’habitants ! La viande est donc un produit relativement bon marché. D’une manière générale, le Brésil a bénéficié du brassage des aliments : ainsi, la canne à sucre tant cultivée vient d’Inde !

Hervé Théry insiste sur le fait que les plats servis n’illustre qu’une cuisine brésilienne, différente de l’alimentation quotidienne. Habituellement, l’alimentation est à base de riz, d’haricots rouges, de pommes de terre, de pâtes, de poisson et de farine de manioc, le tout malaxé jusqu’à l’obtention d’un mortier ; la cuisine n’est donc pas très variée (sauf dans la région de Bahia), et, contrairement aux idées reçus, pas très épicée. Le véritable plat national, c’est le riz et les haricots (rouges ou noirs), que l’on mange plusieurs fois par jour. En souvenir des périodes récentes de faim, il est de tradition de servir toujours beaucoup à manger : ainsi le savoir-vivre exige de servir à des invités de très grosses quantités de nourriture, bien plus qu’ils ne peuvent en manger. Le rapport à la nourriture est donc très différent pour un Brésilien et pour un Européen.

Le plat de résistance est un xhinxhin de galinha, plat traditionnel d’origine africaine, héritage de la présence d’esclaves noirs dans les plantations de canne à sucre. Il s’agit de volaille accommodée d’huile de palme, de cacahuètes, de noix de cajou et de crevettes séchées. Ces dernières sont d’origine africaine, alors que les arachides et les noix de cajou sont locales.

Le restaurateur nous propose de goûter de la fejoada, véritable plat national, composé de porc et d’haricots noirs, mélangés à de la farine de manioc et d’agrumes (souvent des oranges). Hervé Théry compare la fejoada à un « cassoulet brésilien » ! A l’origine, c’était un plat d’esclaves, préparé avec de bas morceaux, remplacés ensuite par des pièces plus nobles comme l’échine, ou les travers… Traditionnellement, la fejoada se consomme le samedi midi, afin de pouvoir digérer le samedi après-midi et le dimanche !

Marie-Christine Doceul s’interroge sur la répartition des tâches culinaires entre hommes et femmes. Au Brésil, les hommes s’occupent de la préparation et de la cuisson des viandes ; les femmes s’occupent du reste. D’une manière générale, les familles des classes moyennes ont très souvent des domestiques : la répartition traditionnelle des tâches n’a donc plus lieu d’être. Mais il ne faut pas oublier que la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Enfin, notre dessert se compose d’une mousse de marasoja (mousse aux fruits exotiques) d’un puddin, préparation à base de lait concentré. Hervé Théry revient à grand trait sur les caractéristiques de l’agriculture brésilienne. Sa structure est duale : une partie de la production, mécanisée, intensive, à haute valeur ajoutée, est destinée aux marchés internationaux, comme le sucre, le café ou les agrumes. L’autre partie de la production permet l’approvisionnement et l’alimentation quotidienne du pays. Elle utilise des méthodes plus traditionnelles. Ces espaces agricoles sont aujourd’hui menacés par la progression de l’agriculture d’exportation, ce qui remet en cause tout le système économique brésilien. En effet, la compétitivité de l’agriculture et de l’industrie dépendait en grande partie des bas salaires des travailleurs brésiliens rendus possibles par la faiblesse des prix des aliments produits par l’agriculture traditionnelle. D’une certaine manière, cette agriculture permettait au Brésil d’être compétitif sur marchés internationaux ; c’est donc un modèle de développement qui est remis en cause.

L’agriculture brésilienne a été soumise aux cours et à la politique internationale. En effet, la mise en place du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) s’est accompagnée d’un sacrifice du blé brésilien au profit du blé argentin, plus rentable (dans un contexte de coopération économique et politique). La faillite récente de l’Argentine et les événements qui l’agitent semblent inverser la tendance : en raison de la dévaluation argentine par rapport au dollar américain, le blé brésilien devient plus compétitif sur le marché local et international. On replante donc le blé dont on avait jadis abandonné la culture ! C’est un bon exemple des mutations qui affectent le pays : aucune activité, pas même l’agriculture, n’est localisée dans l’espace. Ce qui est vrai pour le blé l’est aussi pour le soja : le Brésil en commence l’exploitation dans les années 1970 et en devient en quinze ans le premier producteur mondial. Les cultures ont débuté dans le Sud, puis ont progressé vers le Nord, avant de disparaître du Sud : aujourd’hui, la géographie du soja est à l’opposé de ce qu’elle était au début de l’exploitation !

C’est sur ces propos que nous nous séparons, aussi contents d’avoir écouté Hervé Théry que d’avoir découvert les richesses gastronomiques du Brésil !

Quelques indications bibliographiques fournies par Hervé Théry :

• Manuels généraux THÉRY, Hervé, Le Brésil, 288 pages, Armand Colin, 2000 THÉRY, Hervé (éditeur), Environnement et développement en Amazonie brésilienne, 208 pages, Belin, 1997 DROULERS, Martine, Brésil, une géohistoire, PUF, 2001

• Revues Les principales revues consacrant fréquemment des articles à la géographie, à l’économie ou à l’évolution politique du Brésil sont
Problèmes d’Amérique Latine. La Documentation Française,
Cahiers des Amériques Latines, IHEAL,
Sur l’actualité politique, sociale et culturelle brésilienne (notamment sur l’actualité culturelle en France), la petite revue Info-Brésil est précieuse.

• Centres de documentation parisiens
Institut des Hautes Études de l’Amérique latine, 28 rue Saint-Guillaume, 75008 Paris.
Institut des Études Portugaises et Brésiliennes, 17 rue de la Sorbonne, 75005 Paris.

• Sites Internet
Portes d’entrée : Cade : http://cade.com.br/(Répertoires de sites donnant accès à des ensembles de serveurs classés par thèmes).
Sites officiels :
Governo : www.cade.com.br/governo.htm Tout l’appareil gouvernemental, aux niveaux de l’Union, des États, des communes
INPE : www.inpe.br/ (Institut national de la recherche spatiale, images satellitaires)
Ibama : www.ibama.gov.br/ (Institut national de l’Environnement)
IBGE : www.ibge.gov.br (Institut brésilien de géographie et statistiques, données sur la population, l’agriculture, l’économie, recensement et enquêtes)

Universités :
USP : www.usp.br/ (Université de São Paulo)
URFJ : www.ufrj.br/(Université fédérale de Rio de Janeiro)

Journaux :
Folha de São Paulo : www.uol.com.br/fsp/ (Quotidien de São Paulo très bien documenté, type Le Monde)
Estado de São Paulo : www.estado.com.br/ (Quotidien de São Paulo, plus traditionnel, typeLe Figaro)
Gazeta mercantil : www.gazeta.com.br/ (Journal économique et des milieux d’affaires)
Jornal do Brasil : www.jb.com.br/(Quotidien de Rio de Janeiro)

• Images
Quelques photographies géographiques (et cartes), à usage principalement pédagogique :
BRET (B.) et THÉRY (H.), Le Brésil, de la croissance au développement ?, La Documentation Photographique, La Documentation française 1996.
THÉRY (H.), Les deux Brésils (42 diapositives commentées) Diapofilm, Paris, 1983.
THÉRY (H.), L’exploitation de la forêt amazonienne, (12 diapositives et livret pédagogique), Editions Diapofilm, 1994.

Enfin pour avoir une idée du charme, de la gentillesse et de la violence, de la démesure et de la folie brésilienne :
VANHECKE (Ch.), Le Brésil, collection Petite Planète, Le Seuil, Paris, 1976.
LAPOUGE (G.), Équinoxiales, Livre de Poche, 1980.
RUELLAN, (D. et A.) Le Brésil, Karthala, 1989.
RUFFIN, JF, Rouge Brésil, NRF ( ?), 2001

Sans oublier les ressources infinies et méconnues du cinéma, de la littérature et de la musique brésilienne. Je conseille de lire ces livres (dans la mesure du possible et dans le respect du voisinage), sur un fond de musique brésilienne idoine, de préférence de la bossa nova : un bon disque de Tom Jobim, de Vinicius de Morais ou de João Gilberto, par exemple, feraient très bien l’affaire…

Compte-rendu : Yann Calbérac