Le restaurant

Nous sommes ici dans un vrai restaurant coréen (Shin Jung 7, rue Clapeyron 75008 Paris), tenu par une Coréenne, Mme Cheong, alors que bien des restaurants à Paris sont tenus par des Chinois. Ce restaurant joliment décoré, à dominante de gris, dont le nom signifie « la nouvelle maison », propose une cuisine actuelle de Séoul.
Cette cuisine a connu à Paris un fort développement à partir des années 1980, passant de moins de quinze restaurants à une quarantaine aujourd’hui. Cette croissance est à mettre en parallèle avec l’internationalisation et la mondialisation du pays (pensons par exemple au cinéma coréen). L’internationalisation de la cuisine coréenne participe de cette « vague (sud-) coréenne » (dite « hallyu » en coréen), marquée par la diffusion dans toute l’Asie et au-delà (Moyen-Orient) des produits de la pop culture (musique, cinéma, feuilletons télévisés, etc.).
La gastronomie coréenne, encore peu connue, est en forte progression aujourd’hui. De nombreux livres de cuisine sont édités aujourd’hui en Corée. Nous allons voir de quelle façon ce que nous allons manger ce soir reflète un peuple et une culture, celle de l’ensemble de la Corée, car il nous faut éviter d’oublier la Corée du Nord.

L’intervenante
Géographe et spécialiste de la Corée, Valérie Gelézeau est maître de conférences à l’École des Hautes études en sciences sociales (EHESS), membre de l’Institut universitaire de France et directrice du Centre de recherches sur la Corée de l’EHESS. Sa thèse, sous la direction de Jean-Robert Pitte, a porté sur les questions urbaines en Corée et particulièrement sur le développement des appartements dans les grands ensembles de Corée du Sud : un livre en est issu : Séoul, Ville géante, cités radieuses. Elle a également publié de nombreux articles. De 2006 à 2008, elle a dirigé un programme de l’Agence nationale de la recherche sur les interfaces Nord-Sud dans la péninsule coréenne (discontinuités, interfaces et nouvelles dynamiques régionales) et travaille depuis sur les deux capitales coréennes, Séoul et Pyongyang (mondialisation, territoires nationaux, espaces locaux). Elle a obtenu la médaille de bronze du CNRS en 2005.

Valérie Gelézeau

Photographie : Jean-Pierre Némirowsky

Photographie : Jean-Pierre Némirowsky

La Corée : son alphabet, sa langue
La Corée se voit comme accrochée à l’extrémité orientale du continent asiatique, comme un pont de transmission entre la Chine et le Japon. Fernand Braudel parlait de « brevet de civilisé » obtenu par la Corée entre le premier et le troisième siècle, avec l’arrivée du riz, du bouddhisme, des idéogrammes chinois, en somme d’un bagage civilisationnel diffusé peu à peu vers le sud de la péninsule puis vers le Japon. L’alphabet, appelé à l’origine « les sons corrects pour l’éducation du peuple », est inventé vers 1450 par le roi Sejong, un héros national encore fêté aujourd’hui. Cet alphabet est appelé différemment en Corée du Nord (chosŏn’gŭl) et en Corée du Sud (han’gŭl). Une légende veut que des vers à soie aient dévoré des feuilles pour former les lettres. Jusque-là, les lettrés utilisaient l’écriture chinoise pour écrire leur langue.
La langue coréenne appartient au groupe ouralo-altaïque, groupe de langues diffusées par des nomades de l’est de l’Asie jusqu’à la Turquie et à la Finlande.

Le repas
Nous allons avoir l’ensemble d’un repas, servi dans de petites portions, ce qui fait partie de la convivialité coréenne. Ce repas, servi à Paris, est donc quelque peu francisé : la succession entrée-plat-dessert n’est pas systématique en Corée. Elle existe, mais tout dépend des occasions. Un repas ordinaire ne comprend pas cette succession. Le repas coréen le plus simple se compose de riz, d’une soupe ou ragoût, de petits plats variés à base de légumes et de racines. Le plus sophistiqué, héritage des très codifiés repas de cour, est une succession de petits plats : beignets, raviolis, viande, suivi par du riz ou des nouilles.

Les baguettes
Pourquoi les baguettes sont-elles en métal ? Cela fait débat parmi les grands spécialistes des artefacts coréens. Les plus anciennes connues ont été trouvées dans le centre de la Corée et remontent au VIe siècle. Elles étaient préférées à l’époque par les classes aristocratiques. Il est certain que le métal était moins cher que le bois ; de plus, les baguettes en argent pouvaient être un révélateur de la présence de poison dans la cuisine.
Les baguettes ont été réintroduites en Corée du Sud dans les années 1960 par le général Park Chung-hee, qui fut président de la République de 1963 à 1979 et qui a lancé son pays sur la voie du développement économique : c’était un débouché pour la petite industrie, doublé d’un symbole national qui permettait de distinguer la cuisine coréenne de celle de la Chine et du Japon.
Attention à ne pas planter ses baguettes dans le bol de riz : cette pratique est réservée aux repas consacrés aux ancêtres.

Les entrées
Dans cette version francisée du repas coréen, nous aurons d’abord des entrées chaudes, avec des petits raviolis grillés (qui indique l’influence chinoise). Les raviolis peuvent être consommés en soupe, bouillis, à la vapeur ou grillés, comme ici (la cuisine coréenne n’utilise pas le four). Viennent ensuite une crêpe à la ciboule et une crêpe au piment (le piment donne cette couleur orange qui caractérise la cuisine coréenne), avec une sauce au soja.
Les poissons crus sont très consommés sur le littoral : on mange de l’anguille et même de la pieuvre vivante ! La salade pimentée à la raie est très fermentée.

Les boissons
On ne boit pas en mangeant : nous n’aurons donc pas de thé pendant ce repas. Certains d’entre nous optent pour la bière, une blonde coréenne, la Hite Beer, à 4,5 %, qui rappelle la lager.
Le thé se boit dans les maisons de thé, souvent en infusion ou en thé vert. Pendant le repas, les Coréens boivent un alcool de riz plus ou moins fermenté. Récemment, le makgeolli (peu filtré) est redevenu à la mode (le makgeolli très filtré se rapproche du saké).

Le cœur du repas
Le serveur dépose un barbecue sur la table : nous allons faire cuire nous-mêmes les lamelles de bœuf, qui sont apportées crues (la viande aurait pu être aussi du porc, voire du poulet). Des racines de lotus caramélisées, qui rappellent les origines nomades, accompagnent la soupe à base de pâte de soja fermenté (tofu). De petits plats entourent le barbecue : algues, légumes marinés au piment, champignons, épinards, germes de soja, radis fin en lanières,kimch’i (choux chinois), mariné au piment et à l’ail. Nous ne trempons pas la viande dans la soupe mais la mettons sur le bol de riz.

Le riz
Le riz tongil (littéralement « de la réunification ») est en Corée le riz de la révolution verte et de l’autosuffisance alimentaire) ; il s’agissait d’une variété mixte japonaise et indienne, qui n’était pas très apprécié. Le riz de variété japonaise, traditionnel en Corée, a été réintroduit à la fin des années 1980. La consommation est tombée de 100 à 60 kg par an et par habitant, traduisant l’occidentalisation de l’alimentation (et notamment la consommation croissante de produits à base de farine de blé).

Le repas traditionnel
On mange sur des tables basses que l’on transporte. La cuisine est située en contrebas, sur un sol de terre battue, avec un chauffage hypocauste (à air chaud sous le sol) au charbon qui traverse le bâtiment.

Le chaud et le froid dans la cuisine coréenne
En Corée, on soigne le chaud par le chaud (selon l’expression traditionnelle « Iyŏl ch’iyŏl ») : on consomme une soupe de chien (une race spécifique élevée exprès) au moment de la canicule, au mois d’août, lors de trois jours spécifiques (mais sans lien avec le mot « canicule » !). Cette soupe est censée redonner vigueur à la gent masculine.
En dessert, peu de glaces : de la glace pilée avec une pâte de haricot rouge, une importation récente du Japon. Le sucré est peu répandu : on trouve des gâteaux de riz, très variés, parfois fourrés à la pâte de haricot rouge, des fruits coupés.

Le climat coréen
Les chiffres de températures donnés habituellement, de – 40 °C l’hiver à + 40 °C l’été, sont très exagérés : ils proviennent de relevés effectués lors de la guerre de Corée dans les montagnes de la Corée du Nord. Rappelons que la péninsule coréenne, située entre la latitude de Rome et celle de Djerba, est soumise à un climat continental de mousson qui donne des hivers froids et secs et des étés chauds et humides, permettant la culture du riz irrigué. L’automne est très coloré.

Cuisine et religion
Le protestantisme est en progression. Dans le chamanisme, lié à l’animisme, la chamane est le relais entre les vivants et les esprits des morts, auxquels elle offre des gâteaux de riz. Le confucianisme pratique les offrandes aux ancêtres, lors du Nouvel An et des anniversaires des ancêtres, pour lesquels on prépare un repas.

La fin du repas
A la fin du repas, on ne partage pas l’addition, mais on pourra inviter au prochain repas.
Ce repas coréen se termine par un hommage rendu par Michel Sivignon à Pierre Gentelle, disparu en septembre 2010 : Michel Sivignon renverse un peu de café dans sa soucoupe, rappelant ce qui se pratique dans certains pays d’Afrique, où la terre boit, ce qui permet aux ancêtres de participer ainsi au repas.

Bibliographie
Gelézeau Valérie, « Histoires de Kimch’i », Culture coréenne, nº55, juillet 2000, pp. 13-17.
Gelézeau, Valérie, Séoul, Ville géante, cités radieuses, CNRS Editions, 2003 (prix Francis-Garnier de la Société de géographie).
Gelézeau, Valérie, « Espoirs et désillusions de la décennie du « rayon de soleil«  », Critique internationale, n° 49, octobre-décembre 2010.
Joineau, Benjamin, « Étude lexicale des plantes comestibles communes de Corée », Cahiers d’études coréennes, n° 8 (Mélanges offerts à Marc Orange et Alexandre Guillemaz), 2010.
Cuisines d’Orient et d’ailleurs, traditions culinaires des peuples du monde, sous la direction de Michel Aufray et de Michel Perret, Glénat et Langues’O, 1995, 343 p, pp. 190-194.

Compte-rendu : Michel Giraud, relu et amendé par Valérie Gelézeau.