Restaurant Coréen Saint-Jacques
214, rue Saint-Jacques 75005 Paris
Ce restaurant a, hélas, fermé le 2 janvier 2008.

Nous sommes une trentaine de membres de l’Association, accueillis pour un repas géographique coréen, dans un restaurant situé en face de l’Institut de géographie, rue Saint-Jacques à Paris, sur le « pas de Saint-Jacques » (en langage géographique, le « col » de la Montagne Sainte-Geneviève). Ce repas est dédié à tous ceux qui n’ont pas pu se joindre à l’un des voyages programmés par les Cafés géo, pour les faire voyager vers l’horizon lointain de la Corée avec leurs papilles.

La cuisine coréenne Source : http://www.tao-yin.com/

La cuisine coréenne
Source : http://www.tao-yin.com/

En outre, nous sommes accueillis par une famille d’émigrants coréens hautement éduqués : la « patronne » du restaurant est une cantatrice d’opéra qui nous montrera ses talents avec sa fille, à la fois serveuse pour la soirée et… pianiste (le piano droit est adossé au bar). Le mari est, lui, chirurgien dans un grand hôpital parisien et tous trois accueillent chaleureusement notre groupe, s’exécutant en musique chantée à la fin du repas…

Pas de déterminisme dans l’assiette !

Gilles Fumey rappelle que les repas géo veulent notre manière changer notre manière de parler de l’alimentation et de la gastronomie. On fait trop facilement des liens de causes à effets : si à tel endroit on élève des moutons, c’est qu’on y mange du mouton, en bord de mer on mange du poisson… En réalité, cette perception déterministe est fausse : l’alimentation est le produit d’un long et complexe processus d’élaboration qui met en scène des individus qui font des choix, des sociétés qui élaborent des codes et des grilles de lecture alimentaires, des milieux qui ne sont là, que comme révélateurs de la manière dont on pense son rapport à l’espace.

Ainsi, la Corée est vue par les géographes comme une péninsule en position de… carrefour d’influences en provenance du Japon et de la Chine. Mais les choses sont plus compliquées. Le pays appartient à la sphère asiatique qui pour nous est un autre monde et, par là, sa cuisine fait référence à celle de la Chine qui a construit largement le code culinaire régional. Mais elle a aussi su développer ses particularités, parfois en opposition avec son voisin. En Corée, les couverts associent des baguettes (ici, en acier inoxydable) et une cuillère (en porcelaine). . Autre fait marquant dans toute l’aire asiatique : les plats sont tous présentés sur la table en même temps et non en diachronie comme en Europe. Les convives autour de la table piochent dans les plats, sans ordre apparent, mais en réalité, les mets offrent des textures, des couleurs, des qualités qui sont pensées dans un système diététique intégré par les Coréens qui associent les contraires (le yin et le yang chinois), reconstruisent des équilibres souvent compromis dans la vie de tous les jours, hors des repas.

La cuisine coréenne présente, comme toutes les cuisines asiatiques, une très grande variété d’ingrédients peu reconnaissables pour un Occidental. C’est une cuisine qui se tâte, se regarde comme un objet esthétisé, se sent et se goûte pour en apprécier toutes les nuances. Certaines saveurs sont caractéristiques du pays : gingembre, soja, lait (ce qui est rare en Asie). C’est une cuisine qui est très élaborée et complexe comme peut l’être la cuisine chinoise, mais elle aime à se montrer subtile et dépouillée, comme au Japon. Mais c’est surtout l’apport mongol qui lui donne son originalité, d’autant que ce goût de la viande et du lait s’est immiscé dans une cuisine marquée par le goût du poisson. Cette filiation mongole a été l’objet de qualificatifs peu amènes de la part des Japonais et des Chinois qui voient la Corée comme « barbare », condescendance mal placée lorsqu’on lit le degré de domestication, de polissage au contact des Chinois lettrés qui ont légué Confucius et son principe du juste milieu comme un idéal.

Comprendre les cuisines de l’Asie de l’Est

L’un des principes les plus recherchés est la nécessaire extraction de la vie. Toute la diététique est fondée sur ce concept. Le second est issu de la recherche sur l’énergie du corps humain. Le principe vital ou fluide corporel doit être nourri pour compenser les dépenses énergétiques absorbées par les passions qui nous animent. Les aliments sont donc source de vie, ce qui explique, par exemple, l’importance des aquariums – où l’on veut rappeler le lien entre le poisson vivant et le poisson dans l’assiette – dans le décor de nombreux restaurants asiatiques. Mais selon les lieux du corps humain, les éléments nutritifs nécessaires ne sont pas les mêmes. Les organes principaux sont le siège des cinq éléments où l’on décrypte les cinq saveurs : le feu est dans le cœur (saveur amère), la terre symbolisée par la rate (saveur douce), l’eau va avec le rein (saveur salée), le métal avec le poumon (saveur âcre ou épicée) et le bois avec le foie (saveur acide). La nourriture correcte de ces cinq organes garantit l’équilibre et renforce ce que les Chinois appellent le « qi ». Le repas est alors composé de manière à ce que chaque partie du corps soit nourrie. La cuisine répond ainsi à un principe de santé et d’entretien du corps.

La cuisine asiatique associe de cette manière équilibre et diversité. Si elle ne comporte pas d’interdits alimentaires, elle demande à ce que la viande soit cuite mais pas brûlée, brûlures qui l’abîmeraient, ce qui oblige à son enrobage ou à son enduit. En bouche, la viande n’est pas desséchée mais fondante à l’attaque, puis tendre, parfois craquante. Enfin, la sauce permet d’équilibrer le jeu des saveurs au sein d’un même mets ou d’un repas. Cependant, cette sauce doit être adaptée au type de plat. Par exemple, un poisson, qui a un goût neutre, sera servi avec une sauce ayant aussi un goût neutre et qui présentera le même type de texture.

Dans la cuisine coréenne, le « juste milieu » idéalisé du confucianisme se retrouve dans l’harmonie recherchée entre le subtil (chinois) et le brutal (mongol), le naturel (cru) et l’élaboré (cuit), le simple et le complexe. C’est le sens aussi de cette préparation des plats en cuisine qui s’achève sur la table même, avec le barbecue. Aucune cuisine dans le monde n’a mis au point une telle batterie d’instruments de cuisson pour parfaire ce que le cuisinier a pourtant déjà copieusement élaboré en cuisine : pierre chauffées, fonte, tôles rougies, marmites, caquelons, cocottes, laiton, cuivre, argent… Chaque convive peut faire bouillir, rôtir, sauter, étuver, ébouillanter, braiser, frémir, frire…

Le très copieux menu proposé par le restaurant qui nous accueille peut être lu à l’occidentale comme :
–  1) une entrée sous la forme de petites soucoupes comprenant différentes compositions de crudités savamment assaisonnées, avec textures et saveurs contraires. Que contiennent ces soucoupes : du poisson, des crustacés, des fruits de mer, des algues, des fruits, des légumes, des céréales toutes macérées, fermentées, épicées, pimentées, accompagnées d’un riz blanc, pacificateur en cas de… surchauffe des papilles.
– 2) une langoustine en sauce.
–  3)un barbecue coréen (bulgogi ou pulkogi) avec du pibim bap (riz mélangé avec des légumes, servi dans une boîte laquée et servant, souvent de casse-croûte) avec viande de bœuf marinée cuite sur un grill qui a la forme d’un casque de cavalier des steppes) accompagné d’une sauce à base d’oignons et de jus de fruits (poire, notamment).
– 4) un poisson avec une sauce à base de lait. Ce poisson était servi après le bœuf, mais il est consommé en Corée avec la viande, soit pour la rehausser, soit pour équilibrer les saveurs.
– 5) un dessert (inexistant en Corée, mais créé pour les restaurants étrangers) de beignets d’haricots rouges.

Le plat national est surtout le kimchi , à base de choux, navets, radis géants ou daïkon, concombres, piments et ail marinés dans de grandes jarres de terre. On l’aime au mois de novembre lorsque les légumes frais ont tous été récoltés et qu’il faut des vitamines pour éviter le scorbut qui pourrait menacer durant le long et rigoureux hiver coréen. Il y a une géographie à faire du kimchi, avec plus de 160 variétés abondamment décrites au musée du kimchi de Séoul.

On fera mention du célèbre Tongtak juk, un poulet à l’ail dont les Japonais disent qu’il était détesté même par les vampires. Car ceux que les Nippons appelaient avec mépris les « Chiens jaunes mangeurs d’ail » ont élaboré un poulet tout simplement farci d’ail, frotté à l’ail, rôti, servi avec une sauce aigre-douce à l’ail…

Les Coréens boivent beaucoup de thé vert à table, mais aussi de la bière, du yakju (sorte de saké, bu tiède), du vin de riz chaud ou froid (djong), des boissons au soja (mulk) ou de l’eau « cuite » provenant de la casserole où a cui le riz… A moins de préférer, comme les Japonais et les Chinois, le cognac aux glaçons et à l’eau gazeuse, notamment lorsqu’on est entre hommes.

La géopolitique est dans l’assiette ?

La Corée, appelée pays du Matin calme, ou encore « Petite Chine » pendant plusieurs siècles, a connu longtemps l’emprise mongole (elle garde de cette époque le goût du lait et de la viande rouge, très rare en Asie), l’annexion japonaise. Mais ce petit pays a gardé une personnalité dont il n’est pas peu fier. Elle se décrit volontiers comme un creuset entre ses deux voisins, selon les courants de conquête ou de reflux. Divisée en deux Etats, la Corée se revendique unique jusque sur le drapeau de la Corée du Sud où sont présents le yin et le yang. Elle n’aime pas les leçons de géopolitique qu’on lui fait aujourd’hui qu’elle est divisée alors qu’elle était un royaume riche au moment où le Japon sortait à peine de la barbarie… Le bouddhisme coréen a d’ailleurs précédé le bouddhisme nippon. On reconnaîtra néanmoins la dépendance culturelle de la Corée au fait qu’un lettré coréen peut lire facilement les classiques chinois et japonais, l’inverse n’étant pas vrai.

On eût pu terminer notre soirée, par une liqueur de ginseng, appelée jinro. Cette racine est souvent cuite avec une vieille poule aux pattes noires dont on peut faire un potage roboratif qui est l’un des must de la cuisine coréenne. Mais c’eût été trop demander pour une première fois…

Compte-rendu : Gilles Fumey