Au Casa Corsa, 25 rue Mazarine, 75006 Paris (Metro : Odéon)

Au premier étage de ce restaurant toujours plein, le repas des cafés géographiques avait pour cadre une salle ocre aux lumières tamisées, décorée avec des cartes postales du début du XXème siècle.

Pourtant, prévient Annette Ciattoni, l’idée d’une cuisine régionale Corse est tout à fait récente ; il s’agit d’une invention liée au contacts des corses partis migrer : de nombreux apports sont continentaux ou bien proviennent des rapatriés installés sur la plaine orientale.

L’agriculture

L’île est très montagneuse : 2 à 3 % de l’espace Corse est cultivé (note des cafés géographiques : selon l’INSEE, la surface agricole utilisée est de 300.000 hectares en 1999, mais de 156000 hectares selon le RGA de l’an 2000 ! : si l’on ajoute les champs et les vergers, on atteint à peine 20.000 hectares, car la plus grande partie de la SAU est toujours en herbe). Avec peu de moyen de communication, l’île est très morcelée et chaque village a ses propres cultures ; Françoise Lepagnot évoque l’image d’une Corse-continent où chacun vit dans sa vallée. On cultive des légumes puis les châtaignes s’imposent a partir d”une certaine altitude ; la pauvreté conduit à utiliser les ressources jusqu”au bout , ce qui n’est pas très favorables a une grande cuisine corse.

Une agriculture méditerranéenne : elle associe blé dur, les oliviers et la vigne (disparue avec le phylloxéra puis ressurgie avec les rapatriés ; il y actuellement une recherche de qualité dans la viticulture corse : les AOC se développent avec des cépages bien adaptés au sol cristallin. Parmi les vins qui symbolisent cette recherche de qualité, on peut citer le Necrosi un des meilleurs blanc du cap corse. La plaine orientale a vu l’arrivée soudaine des fruits et des légumes grâce à l’abondance des ressources en eau.

Le menu

– A tous les plats proposés ce midi, la brousse est présente : la brousse (brocciu) est faite à partir du petit lait qui reste de la fabrication d’autres fromages ; ce fut une production d’abord très locale puis un moyen de paiement pour les bergers enfin une appellation d’origine controlée. Sa production est saisonnière : se méfier du bruccio d”été ( la saison couvre les mois de novembre et décembre). Son omniprésence dans la cuisine Corse fait dire à Michel Sivignon que la brousse joue le même rôle que la fêta en Grèce.

– La Coppa : la charcuterie est faite à partir d’un porc différent : nourris de châtaigne (et gland) qui donne le goût particulier ; il n’y a jamais d’AOC, pas de circuit de commercialisation de la charcuterie corse. Le porc est tué le 13 décembre, le jour de la sainte Lucie, donc à manger en février.

– le cannelloni en général farci avec des plantes sauvages (et ici avec de la… brousse)

– le Stufatu : ragoût de veau : différent car abattu jusqu”à 11 mois (5 mois pour les veaux « du continent ») ; on consommait très peu de viande autrefois, sauf du veau justement ; la viande de sanglier prend de plus en plus sa place sur les tables.

– au dessert, on retrouve une fois encore de la brousse dans le Fiadone (un gâteau au fromage, léger et savoureux). Quant à l’Upastizu au cédrat confit, il rappelle le développement de la culture de ce petit agrume proche du citron, à tel point que F. Lepagnot évoquera plus tard un « cycle du cédrat » comme les grands cycles de l’agriculture brésilienne. Il est utilisé confit, en confiture mais surtout en liqueur : la liqueur de cédrat étant spécifique à la Corse. Pour Françoise Lepagnot, la présence du kiwi dans la pâtisserie du dessert rappelle son arrivée récente dans une plaine orientale dont le dynamisme agricole a été maintes fois évoqué.

A l’issue de ce fort bon repas, où les produits corse ont été sensiblement « parisianisés », Françoise Lepagnot évoque la Balagne dont elle est originaire et décrit son développement agricole actuel : un pays ouvert, avec de moins en moins de désert, où les terres sont défrichées et bien mises en culture. Un dynamisme qui contraste avec l’état déplorable de la Castagniccia, les châtaigniers étant, en autres, victime de la maladie de l’encre. Pourtant, la châtaigne a joué un rôle considérable dans l’alimentation : réduite en farine, on pouvait ensuite la transformer en une sorte de polenta ou de pain ; elle permet aussi la confection de gâteaux (a torta) ; aujourd’hui, une nouvelle cuisine se greffe dessus (chocolat etc…)

Françoise Lepagnot évoque l’alimentation traditionnelle, surtout composée de produits bruts et celle des fêtes , avec ses menus rituels : langouste ou truite de torrent y précède la charcuterie (coppa) , le ragoût (stufatu) avec des gnocchi : du veau ou du sanglier, très longuement mariné ; sinon ils sont servis en viande grillée. la viande varie selon les saison : on sert du cabri pour Pâques. Le cochon tué à noel, on mange tout de suite partie fraiche puis saucisse de foie, viandes fumées (lonzi), mangées longtemps après.

Compte-rendu : Marc Lohez