Café géographique de Toulouse, le 18 octobre 2017, avec Anne-Marie FREROT (Professeur de géographie, Université de Tours)

Il s’agit de déconstruire les clichés véhiculés par les médias, les oppositions trop faciles, les images fausses, bref les représentations erronées de ce territoire.

NOIRS/BLANCS

Un Targui ou un Toubou ont une couleur de peau bien noire, mais ils se définissent eux-mêmes comme « blancs ». Sahel et Sahara sont à la charnière du « Pays blanc » (Trab al Beydan) et du « Pays noir » (Trab as-Soudan).

Figure 1 Enfants

SAHEL/SAHARA

Ce sont deux ensembles territoriaux en continuité, situés entre les isohyètes 0 mm par an au Sahara et 600 mm au sud du Sahel. Il n’y a pas de rupture, mais un passage progressif, variable en latitude selon la pluviosité annuelle.

Sahel signifie « rivage », car le Sahara était représenté comme une mer par les voyageurs arabes ou portugais. Il s’étend sur 5500 km de l’est à l’ouest et 400 km du nord au sud. Comment le situer géographiquement : fait-il partie de l’Afrique du Nord, de l’Afrique occidentale, de l’Afrique subsaharienne, de l’Afrique tropicale ? Ces catégories ne sont pas adéquates pour le Sahel. De même, il ne tient pas compte des frontières des 14 pays qu’il traverse.

Sahara signifie « vide » en arabe, mais les Touareg l’appellent Ténéré quand il s’agit d’un erg (sableux) ou Tanezrouf quand il s’agit d’un reg (rocailleux) : pour un Saharien, c’est un grand pays mystérieux, dangereux, sans eau et peuplé de djinns. Aujourd’hui un espace de prédilection pour se cacher : bandits, terroristes. Rien à voir avec les représentations touristiques des Européens.

EST-OUEST / NORD-SUD

Un espace compartimenté, d’abord par les colonisations européennes, puis par les indépendances qui ont organisé leurs territoires sur le même modèle : capitale, relais, axes d’intégration, frontières ; la capitale drainant la population (Nouakchott : 400 habitants en 1960, 1 million aujourd’hui, soit la moitié de la Mauritanie). Un espace réticulaire se dessine sur celui des surfaces territoriales.

Un espace méridien (en fuseaux, dit Théodore Monod) : à l’ouest, les Maures qui parlent arabe, au centre les Touareg qui parlent le tamacheq (variante du berbère), vers l’est Toubou et Bédouins parlent arabe. Autre circulation méridienne : les éleveurs au nord, les paysans au sud et se retrouvent selon les saisons dans des lieux de rencontre (lac Tchad, grandes vallées) : c’est la rencontre des zébus et des dromadaires, des baobabs et des palmiers-dattiers.

SAISON SECHE / SAISON HUMIDE

Le climat tropical à deux saisons concerne toute la région, avec du sud au nord une augmentation de la saison sèche et une diminution de la saison humide qu’on appelle hivernage.

Mais les Maures distinguent quatre saisons :

  • De février à mai: la fécondation des palmiers et la récolte des légumes cultivés en-dessous.
  • De mai à août: sécheresse, chaleur et harmattan (alizé). C’est la « saison des dattes » que l’on récolte alors, et la « saison des abreuvoirs » : les pâturages sont ras et les troupeaux et les hommes se concentrent autour des abreuvoirs.
  • D’août à novembre: les pluies reviennent et c’est le départ des nomades et des troupeaux. Mais femmes, enfants et vieillards restent, nourris par les vaches laitières pendant que les bergers et les zébus mâles partent en camions.
  • De novembre à février: récoltes des cultures de bas-fonds et reprise du pâturage.

L’ARIDITÉ ?

Désertification et ensablement sont le signe d’un manque d’eau qui n’est pas forcément lié à la pluviosité et à ses importantes variations annuelles : la fabrication du charbon de bois, nécessaire pour se chauffer et cuisiner, est une des causes de la déforestation.

Figure 2 Ensablement et oasis

Mais la région, et notamment le Sahara, sont riches en eau : les gueltas du Sahara (trous rocheux emplis d’eau), les puits innombrables (lieux de rencontre et de sociabilité), les nappes phréatiques étendues, les fonds humides entre les dunes ou le long des vallées aujourd’hui asséchées, les grands fleuves abondants en poissons (Nil, Niger, Sénégal), les crues et les cultures de décrue, les barrages et leurs retenues, la mer et les ports de pêche, etc.

Figure 3 : Une guelta

LE DÉSERT ?

La région présente une faible densité (1à 2 Habitants au km²), mais en fait elle est très occupée, notamment près des zones humides (grands fleuves, lacs) et des axes de circulation. Le Sahel notamment, et même le Sahara, ne sont pas des déserts, mais des milieux austères, où chaque ressource est précieuse et exploitée par une population nombreuse et frugale.

NOMADES / SEDENTAIRES

Soninké, Wolofs ou Toucouleurs (Peuls) sont sédentaires, mais aussi des sortes de « nomades » transnationaux : à travers le monde, ils s’établissent et se déplacent, dessinant des territoires circulatoires (Alain Tarrius).

Les Foulbés (Peuls éleveurs transhumants) sont de plus en plus sédentarisés : bloqués aux frontières par les conflits (par exemple entre la Mauritanie et le Sénégal en 1989) et surtout marginalisés par l’extension des cultures (riz par exemple) faites par les Maures dominants.

CAMPAGNES / VILLES

Les campagnes traditionnelles : au Sahel, les villages sont construits en banco (sorte de torchis) ; on trouve également des campements d’éleveurs assemblant des petites tentes en peaux ou en nattes. Les greniers sont indispensables pour la soudure entre deux récoltes. Partout l’environnement est difficile et le repas frugal : par exemple ½ litre par jour d’huile, des oignons, des boîtes de sauce tomate, des nouilles et des galettes, avec bien sûr les trois thés successifs (en fonction de la dose de sucre : « amer comme la vie, doux comme l’amour, suave comme la mort »).

L’urbanisation est rapide depuis les années 1960 et les grandes villes ne manquent pas : Khartoum, Agadès, Saint-Louis du Sénégal, Dakar (villes très anciennes avec souvent un quartier colonial), mais aussi des villes nouvelles comme Hassi Messaoud (ville du pétrole en Algérie).

Historiquement, les villes les plus anciennes étaient au centre de grands royaumes comme le Mali, le Ghana, le Shonghaï, le Kanem-Bornou ou le Haoussa, établis entre le XI° et le XIX° siècle avant la colonisation. Villes caravanières du commerce des produits transsahariens : or, cuivre, ivoire, esclaves venaient du sud et y transitaient vers la Méditerranée, en échange des produits manufacturés, de l’argent, des dattes et surtout du sel venus du nord. Ce commerce est terminé et beaucoup de ces villes sont en ruine, parfois squattées par les migrants. Mais il se recompose.

DES TERRITOIRES TRAVERSÉS ET (RE)TRAVAILLÉS

Ces territoires se jouent des frontières et sont constitués de lignes plutôt que de surfaces.

Ainsi les flux du transit des cigarettes en camions le long de grands axes, transit où collaborent contrebandiers, paysans, éleveurs, migrants, islamistes et même les États.

Les flux du transit des migrants des capitales aux villes relais puis sur les routes transsahariennes. Pour l’essentiel il s’agit de migrations internes à l’Afrique et non vers l’Europe.

Les grandes aires linguistiques et culturelles comme celles des Peuls ou des Haoussa, mais aussi aujourd’hui les zones contrôlées par l’Islamisme, phénomène à la fois religieux et économique (pétrole, uranium, etc.)

Les conflits à toutes les échelles : conflits locaux (éleveurs contre agriculteurs le long des couloirs de transhumance), conflits régionaux (ainsi les revendications des Touareg marginalisés, sans territoire reconnu), conflits transnationaux (Mauritanie/Sénégal, Soudan du nord et du sud).

LES JEUX D’ALLIANCE

Entre les mouvements armés islamistes (AQMI, Al Qaïda, Boko Haram, etc.), les responsables des trafics commerciaux et les administrations d’États souvent corrompues, les trafics sont de toutes sortes : les hommes (migrants et passeurs), les produits manufacturés, la drogue (qui, par exemple, arrive de Colombie, larguée par avion dans le désert mauritanien). Ces marchandises, souvent clandestines, ne circulent qu’avec l’aval des autorités et des groupes armés.

Les groupes armés s’approprient des missions d’État : la justice officielle est souvent doublée par une justice islamique gratuite et conciliante en échange de services rendus. De même la sécurité assurée par ces groupes leur donne un moyen de pression sur les trafiquants.

L’islam fait l’unité culturelle de la région et introduit un autre système d’allégeances : un islam sunnite et confrérique (soufisme par exemple), mais qui s’étend très rapidement sous sa forme wahabite et se radicalise, par le biais d’actions culturelles ou sociales, la distribution de corans et d’argent, la réglementation progressive ou brutale du quotidien des populations : en témoigne l’augmentation du nombre des femmes en niquab ou en burka, souvent payées indirectement par l’Arabie saoudite pour les porter…

DÉBAT

La présence de la Chine ? De plus en plus, surtout dans l’agriculture, grâce à des baux emphytéotiques. Mais aussi dans le pétrole, les villes, le commerce traditionnel où les Chinois ont supplanté les Libanais.

Qui sont les migrants ?

  • Les cadets des villages, car les aînés conservent la terre.
  • Les hommes forts et jeunes choisis et aidés par le village pour trouver du travail ailleurs.
  • Les rêveurs qui imaginent un Eldorado en Algérie ou en Europe.
  • Les réfugiés politiques ou climatiques.
  • De plus en plus des citadins pauvres qui relaient les ruraux.

La situation au Mali ? Avant 2015, il n’y a jamais d’otages au Mali grâce à la connivence avec le pouvoir malien. Les jeux d’alliance se complexifient aujourd’hui, particulièrement entre Touareg et Moudjahidines. Les groupes armés circulent plus facilement, notamment grâce au turruya (téléphone satellitaire) et guides touareg, plus sûrs que le GPS.

L’avenir des nomades ? Il n’y a pas de nomades errants, mais des espaces, des itinéraires et des puits appropriés par chaque tribu ou clan. La sédentarisation a commencé de façon autoritaire dès l’époque coloniale (pour mieux contrôler les déplacements) et continue aujourd’hui avec l’ouverture sur le monde (écoles, TV, etc.) et surtout sur la ville. Enfin le tourisme est source de revenus pour les nomades eux-mêmes, qui vendent leur culture (l’hospitalité, les trois thés, etc.) à l’imaginaire des Européens.

Compte rendu réalisé par Jean-Marc PINET et revu par Anne-Marie FRÉROT

 

Figure 3 : Une guelta