timbuktu-sissako

Timbuktu (A. Sissako, Mauritanie, 2014)

 

Déformations

Bamako-Tombouctou, l’axe urbain que le cinéaste Abaderrahmane Sissako trace entre son dernier film et celui de 2006 rend visible une terrible trajectoire africaine. Dans Bamako, la cour d’une maison de la capitale malienne devenait l’épicentre d’une résistance. De cet interstice – poreux – entre espace privé et public naissait, souvenons-nous, le théâtre d’un improbable tribunal mettant en accusation Banque mondiale et  FMI dans les drames continentaux, l’espace d’une parole plurielle et ascendante. L’idée et l’idéal donnaient forme à l’espace. Timbuktu dresse une dynamique résolument inverse, une autre géographie de la justice, descendante, issue d’une voix unique. Là-bas et maintenant, l’idée fanatique déforme l’espace en dénouant les liens.

L’arrivée des salafistes, sortant de nulle part ou presque dans le désert malien, est un véritable tremblement de terre, un profond agent de bouleversement des territorialités construites dans le temps long et l’espace profond du Sahel et du Sahara. Cette fameuse « zone grise », A. Sissako la condense depuis son lieu de tournage mauritanien par des  lieux et des figures emblématiques qui laissent assez finement entrevoir – à l’image des trajets de jerrican d’eau – le dense tissu de relations mêlant logiques d’ancrages et de circulations au sein d’un univers cosmopolite. Le tout est capté par une photographie qui élève paradoxalement ces scènes à hauteur de mythes aussi épais que les murs en banco de la ville ou que les dunes de l’erg voisin. Un monde décor de la théâtralité quotidienne que le film envisage justement d’abord de cette manière – comme un paradis en sursis – non exempt bien sûr de conflits d’usages, notamment ceux liés au fleuve, qui opposent éleveurs et pêcheurs. Ces conflits sont certes violents mais restent inscrit dans l’Histoire et de fait encore traités poétiquement par le cinéaste.

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