Xavier Bernier au Flore. Photo de Micheline Huvet-Martinet

En ce 30 avril, c’est un géographe « en mouvement », auteur d’un récent Atlas des mobilités et des transports (1), que les Cafés géo accueillent au Flore. Présenté par Gilles Fumey, Xavier Bernier est professeur de géographie à Sorbonne Université où il dirige le Master TLTE (transports). Notre invité qui a gardé de son expérience de montagnard dans les Alpes, le goût des cordages pour assurer sa progression, nous propose un Café collectif et participatif pour traiter des mobilités. Pas de micro pour pouvoir mieux bouger et des cordes pour symboliser les déplacements.

Pour sensibiliser le public aux différents plans de référence dans lesquels s’exerce une mobilité, il lui demande de « faire un freeze » (rester immobile un court instant). Pendant ce temps d’immobilité, le spectateur-cobaye s’est pourtant déplacé à la vitesse de 1100 km/h (vitesse de la rotation de la terre sur elle-même), de 107 000 km/h (vitesse de la rotation de la terre autour du soleil), de 300 000 km/s (vitesse de la lumière). Donc trois vitesses en même temps.

Pour aller d’un point A à un point B, des possibilités diverses s’offrent au voyageur : le « vol d’oiseau », le « chemin des écoliers » (qui suppose plusieurs arrêts en route), la « mobilité immobile » (comme dans 20 000 lieues sous les mers) …Plusieurs sentiments et sensations peuvent donc accompagner une même mobilité. Le choix du moyen de transport n’est pas non plus indifférent. La mobilité sera différemment ressentie selon que l’on opte pour la marche, l’hélicoptère ou le taxi.

Une mobilité déterminée par un objectif bien identifié peut donner lieu à un récit, qu’il soit oral, écrit ou validé par un selfie. « Faire un récit », c’est prouver qu’on est allé quelque part. « J’ai fait New York » : cette expression, incorrecte sur un plan linguistique mais fréquemment utilisée, « pose » son locuteur en tant que voyageur. Le récit permet de réinitialiser le projet de mobilité à plusieurs reprises.

On peut aussi faire le choix de l’aléatoire (ne pas décider d’une destination avant le départ). Prendre le premier bus qui passe ou se promener dans Paris « nez au vent » demandent un travail de réinitialisation permanente. On peut découvrir quelque chose qu’on n’attendait pas et faire ainsi preuve de sérendipité.

Mobilité et immobilité peuvent avoir aussi un sens politique (adhérer ou pas à certaines injonctions).

Pour comprendre les déterminants de tout déplacement, Xavier Bernier se réfère à la figure du triangle dont les trois points sont reliés. Un premier point correspond au support matériel, c’est-à-dire aux infrastructures nécessaires à toute mobilité (routières, ferroviaires, aéroportuaires…). Le deuxième dépend de choix politiques (limitation de vitesse, péages…). Dans certaines villes, on a tenté, à titre d’expérience, de supprimer tous les matériaux de signalisation, ce qui a amené…une diminution des accidents. Quant au troisième point, il concerne les usages. Cette notion se rapporte à la façon dont les voyageurs utilisent les infrastructures et valident ou pas la réglementation. Il semble qu’en France on donne la priorité aux infrastructures. C’est la dimension matérielle qui prime, ce que confirment les Atlas classiques montrant de nombreuses cartes d’infrastructures. Pourtant ce choix, fait le plus souvent par les dirigeants politiques, est-il toujours pertinent ? Il arrive que certaines gares, fleurons de la modernité, se transforment en « gares à betteraves » au bout de quelques années. En effet les usagers ne sont pas toujours d’accord avec les choix de leurs dirigeants. Les habitudes changent (on peut prendre l’exemple de tous ceux qui ont renoncé à l’avion pour des raisons écologiques).

En conclusion Xavier Bernier assure que c’est la liberté de circulation qui « fait société » car la mobilité, avec ses différents arrêts, met les hommes en relation les uns avec les autres.

 

                                                      Dialogue avec le public

 

  • Les mobilités virtuelles permettent-elles de « faire société » comme les mobilités réelles ?

Pendant le COVID, l’immobilité n’a été que relative. Le télétravail a rendu les individus plus mobiles. Ce sont les mobilités pendulaires qui ont diminué, mais l’indice de mobilité a augmenté. Les outils de télécommunication rapides favorisent les déplacements réels.

  • Qu’en est-il des rapports entre mobilités et pouvoir ?

Les historiens nous apprennent que la Poste a été inventée par les Mongols et qu’en France c’est Henri IV qui a été le premier souverain à penser à un réseau postal. Le réseau postal est devenu un réseau de pouvoir.
A une autre échelle, on peut évoquer les actuels problèmes de l’autoroute A3. C’est la construction d’un parking voulu par un dirigeant politique, qui serait responsable des effondrements entrainant sa fermeture.
Bien sûr, les voies romaines ont joué un rôle majeur dans l’organisation du grand empire de l’Antiquité.
Récemment le gouvernement chinois a institué la gratuité du train Pékin-Lhassa pour favoriser l’usage du train par les voyageurs. C’est donc un choix politique.

  • Comment peut-on intégrer la question, centrale, du temps dans les mobilités ?

Autrefois on considérait le mouvement du « slow » comme un art de vivre. D’autres, au contraire, recherchent la vitesse qui peut être obtenue de différentes façons. En cas d’affluence sur une autoroute, il faut diminuer la vitesse pour fluidifier la circulation. Que choisir entre le train et l’avion pour les moyennes distances ? certes le train est moins rapide que l’avion mais il dessert le centre-ville. Et le TGV, s’il a une vitesse d’exploitation de 300km/h, peut dépasser les 500 km/h.

  • L’informatique génère-t-elle les mêmes problématiques que les mobilités réelles ?

La digitalisation amène le déplacement du doigt sur un écran…On se déplace avec un portable à la main…En matière informatique, la mobilité est en fait visible (cf les balises, éléments de base du système de codage HTML).

  • Ne faudrait-il pas remplacer le ministère des transports par un ministère des mobilités ?

Actuellement il existe une Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités au sein du Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

 

 

1) Xavier BERNIER, Atlas des mobilités et des transports, Pratiques, flux et échanges, Paris, Autrement, 2023

 

Michèle Vignaux, mai 2024