Par Yoann Collange, Doctorant en géographie – EDYTEM UMR 5204 – Université Savoie Mont Blanc
Yoann Collange finalise actuellement une thèse à l’USMB au sein du laboratoire EDYTEM (Environnements, Dynamiques et Territoires de Montagne) intitulée « Ressource patrimoniale et transition touristique : la valorisation de l’art rupestre dans les alpes françaises et italiennes ». Cette intervention a eu lieu le 07 février 2024 à Chambéry dans le cadre d’un Café Géographie.
En guise d’introduction, Yoann Collange s’est intéressé aux visions « assez normées » de l’image de la montagne et du tourisme en montagne. Pour lui, « L’espace montagnard est de plus en plus codifié autour de la pratique sportive et des loisirs, une image en grande partie véhiculée par les médias ». Face à ce constat, l’intervenant propose de s’intéresser à la place du patrimoine au sein des territoires de montagne et plus particulièrement de l’art rupestre en tant que patrimoine. Pour ce dernier, plusieurs patrimoines peuvent être distingués en montagne, le patrimoine vernaculaire, le patrimoine militaire ou encore le patrimoine naturel (cette liste n’étant pas exhaustive). C’est ainsi que Yoann Collange amène progressivement son auditoire à s’interroger sur la place particulière de l’art rupestre en montagne en tant que patrimoine. L’art rupestre est selon lui un patrimoine universel, présent sur toute la planète, tout en prenant des formes diverses (en plein air, sous roche, etc.). A l’issu de cette introduction, Yoann Collange propose au public 3 questionnements qui vont articuler sa présentation autour de 3 terrains d’étude :
1/ Dans les Alpes, « faire du tourisme avec du patrimoine rupestre », qu’est-ce que cela signifie ?
2/ L’Art rupestre mauriennais est-il une ressource touristique active ? L’Art rupestre de Haute- Maurienne a-t-il valeur de patrimoine pour les habitants et les acteurs locaux ?
3/ Comment expliquer le décalage entre la Haute-Maurienne, la Vallée des Merveilles et la Valle Camonica ?
1/ Etat des lieux
La première partie de ce café géo s’intéresse à 3 sites étudiés par Yoann Collange dans son travail de thèse. Il s’intéresse tout d’abord au cas de la Valle Camonica dans la région de la Lombardie en Italie qui selon lui « représente une mine d’or pour la mise en tourisme de l’art rupestre accentuée depuis quelques années par une labélisation UNESCO ». En effet, l’intervenant présente les caractéristiques de ce territoire montagnard composé de 8 parcs archéologiques et dont la plus grande partie des sites archéologiques se localise dans les parties basses et moyennes de la vallée. La présentation des caractéristiques des sites archéologiques de la Valle Comonica amène Yoann Collange à proposer un schéma (qu’il déclinera pour les 2 autres terrains d’étude). C’est ainsi, que pour lui la Valle Camonica est marquée par la présence de regroupements de plusieurs roches au sein d’un même site (voir figure ci-dessous).
A l’inverse, la Vallée des Merveilles se localise dans le département des Alpes Maritimes en France et présente des caractéristiques et un schéma différent. Yoann Collange en profite pour rappeler la présence d’un peu plus de 200 000 dessins répertoriés dans cette vallée marquée par la Réserve Archéologique du Mont Bego. Cette dernière très haute en altitude se situe au sein du Parc National du Mercantour. Pour cette dernière, les roches se trouvent regroupées au sein d’un même espace protégé sur lequel s’exerce des contrôles et où sont réalisés des aménagements.
Le troisième site d’étude proposé au public dans le cadre de ce Café Géographique est celui de la Haute-Maurienne. La présence de roches gravées semble se concentrer au sein de la partie haute de la vallée de la Maurienne comme l’expose Yoann Collange. Ces roches sont présentes au sein de l’actuelle communauté de communes de Haute-Maurienne Vanoise et sont marquées par 6 sites de mise en valeur de l’art rupestre (Musée archéologique de Sollières-Sardières, Parc archéologique des Lozes, etc). Au sein de ce territoire, le schéma de répartition des sites archéologiques est de type ponctuel d’après Yoann Collange. Ces sites ne sont pas forcément connectés entre eux et présentent une moindre cohérence spatiale par rapport à la Valle Camonica ou à la Vallée des Merveilles (voir figure ci-dessous). Cela se traduit par une fréquentation touristique beaucoup plus faible.
Yoan Collange conclut cette première partie en soulignant l’existence au sein des 3 terrains d’étude de 3 modèles très singuliers où les modes de valorisation, les périodes de révélation des valeurs patrimoniales et les acteurs sont différents (voir figure ci-dessous).
2/ En Haute-Maurienne un patrimoine méconnu
Dans cette seconde partie consacrée principalement à l’art rupestre en Haute-Maurienne, Yoann Collange commence par poser la question de la visibilité de ces patrimoines. Une visibilité qui selon lui dépend de plusieurs paramètres comme : l’accessibilité aux sites d’art rupestre (qui en Haute-Maurienne présente des temps de marche et des dénivelés importants) ou l’exposition des roches gravées qui sont moins lisibles en pleine journée quand le soleil est au zénith. Cela amène Yoann Collange à questionner l’appropriation de ces patrimoines. Pour cela il présente au public une partie de sa méthodologie employée dans sa thèse. Cette dernière comprend une méthode de photo élicitation permettant d’analyser les discours des personnes rencontrées et d’identifier les valeurs que ces enquêtés accordent à l’art rupestre de leur territoire. A cela s’ajoute la présentation des résultats de 40 entretiens menés en Haute Maurienne. A la question quels sont les patrimoines de Haute-Maurienne ? sur 40 réponses, seulement à 2 reprises l’art rupestre a été mentionné, tandis que sur les 40 personnes interrogées, 21 connaissaient pourtant des sites d’art rupestre sur leur territoire (voir figure ci-dessous).
Pour compléter l’analyse de la visibilité de ces patrimoines, Yoann Collange propose au public de s’intéresser au discours des acteurs territoriaux : élus locaux, offices de tourisme, accompagnateurs en montagne… Selon lui, les visions de ces acteurs sur l’art rupestre sont partagées entre méconnaissance vis-à-vis de ces patrimoines et un attrait du public qui va plutôt vers des images d’Épinal de la Haute Maurienne. Il ressort de cette seconde partie présentée par Yoann Collange l’idée d’une valeur patrimoniale de l’art rupestre très hétérogène et dont l’offre touristique accorde que peu de place à ces patrimoines
3/ Les enseignements de l’approche comparative
Dans cette troisième et dernière partie Yoann Collange a souhaité montrer au public les décalages temporels de l’intérêt scientifique pour l’art rupestre au sein des 3 sites étudiés. Il commence par indiquer qu’en Haute-Maurienne, l’activité scientifique autour de l’art rupestre est tardive, ce n’est qu’au milieu des années 1970 que des chercheurs s’y intéressent (1975 premier groupe de recherche bénévole GERSAR) (voir figure ci-dessous). Face à ce constat, l’intervenant met en regard la situation de la Valle Camonica dont l’activité scientifique autour de ces patrimoines débute au tout début du XXe siècle, ce qui permet selon lui « d’avoir aujourd’hui plus d’un siècle de travaux scientifiques sur ce territoire », et d’ajouter que « l’image territoriale est depuis longtemps liée à ces travaux archéologiques » dans la Valle Camonica. Une situation proche de celle de la Vallée des Merveilles qui, d’après Yoann Collange, connaît des premiers travaux sur l’art rupestre dès la fin du XIXe siècle. A cela s’ajoute les travaux du professeur Henry de Lhumley dans la seconde partie du XXe siècle qui a initié une politique de valorisation et de mise en tourisme de l’art rupestre.
Concernant les actions de valorisation de l’art rupestre en tant que patrimoine pour un territoire, Yoann Collange présente l’importance de l’alliance Parc National du Mercantour et accompagnateurs en montagne pour la Vallée des Merveilles ; tandis qu’il souligne l’alchimie entre gestionnaires des parcs archéologiques avec les pouvoirs publics dans la Valle Camonica. Ces associations participent selon lui à la forte visibilité de ces patrimoines dans l’offre touristique de ces territoires. Dans le cas de la Haute-Maurienne pour laquelle Yoann Collage a montré le décalage voire une certaine forme de « retard » dans la mise en tourisme de l’art rupestre, il souligne l’implication récente de certains accompagnateurs en montagne ou d’associations locales en faveur de la mise en valeur de ces patrimoines. Il rappelle pour cela la tenue en 2022 des « Visites nocturnes du parc archéologique des Lozes » (voir photos ci-dessous). Au terme de cette troisième partie, Yoann Collange rappelle que le poids de la sphère scientifique dans les politiques de mise en tourisme peut être déterminant. Et que le territoire de la Haute-Maurienne est marqué par la présence d’acteurs qui peuvent participer localement à faire de l’art rupestre des patrimoines pour le territoire pouvant de fait intégrer l’offre touristique de ce dernier.
Visite nocturne du Parc des Lozes, été 2022, photographies Y. Collange
En conclusion de ce Café Géographique consacré à l’art rupestre et aux dynamiques de patrimonialisation et de mise en tourisme, Yoann Collange souhaite insister sur le fait que l’art rupestre fait l’objet d’une mise en tourisme depuis longtemps dans la Valle Camonica et dans la Vallée des Merveilles. Tandis qu’en Haute-Maurienne, l’offre touristique liée à l’art rupestre demeure plus complexe et relève en grande partie de l’intérêt porté par les acteurs locaux et les pouvoirs publics envers ces patrimoines. Néanmoins, Yoann Collange souhaite terminer sa présentation sur une note positive en soulignant le fait qu’en Haute-Maurienne une tendance en faveur de ces patrimoines se dégage depuis quelques années.
Plusieurs questions ont été posées à l’intervenant, nous proposons ci-dessous d’en retranscrire quelques-unes :
Est-ce que l’art rupestre s’oppose à la pratique récréative en montagne ?
« Non, les roches gravées peuvent être le but ou un but à une excursion en montagne avec la pratique de la randonnée »
Peut-on dire que l’art rupestre ne se suffit pas à lui-même ?
« En l’état actuel du tourisme dans la vallée, l’art rupestre a un intérêt à être mobilisé comme agrément de séjour ou d’offres récréatives. Mais avec un développement soutenu sur le long terme il pourrait composer une offre à part entière, comme autour du Mont Bégo ou en Valcamonica par exemple. »
Existe-il localement des réticences à la mise en tourisme de l’art rupestre ?
« Non pas vraiment, je n’ai pas constaté de discours de réticence vis-à-vis de la mise en tourisme de l’art rupestre »
Par Yannis NACEF, Professeur agrégé de Géographie
Doctorant en Géographie – UMR 5204 EDYTEM – Université Savoie Mont Blanc – CNRS