Dessin du géographe n°48

Par Julien Gayraud (Etudiant en Géographie, option Gestion de l’Environnement – Parcours « Environnement, Territoires et Acteurs » – Université Rennes 2)

bloc Gayraud contrasté

(Les échelles du croquis : l ‘échelle des hauteurs est nettement exagérée pour mettre en valeur les falaises. Longueur et profondeur ont été faites en fonction de la taille de la page)

  Sur le dessin Equivalent en m En réalité Rapport
Profondeur 26 cm 0,26 m 900 m 3461
Longueur 63 cm 0,63 m 3000 m 4761
Hauteur 8 cm 0,08 m 20 m 250

 

En 4ème année, le professeur chargé de nous enseigner l’épistémologie, écrivait dans son cours, non sans humour : « Avouons-le : être  «géographe » c’est vachement mieux que d’être  «dessinateur de terre » ! » (http://cursus.uhb.fr/course/view.php?id=6633 ). Cette expression qui peut paraître anecdotique prend pourtant sens dans mes réflexions de jeune étudiant. Force est de constater que dans un cursus de géographie on ne dessine plus, ou pas beaucoup. On manipule quelques logiciels de cartographie, qui ont leur intérêt indéniable, mais qui donnent une approche plutôt froide des territoires et paysages.

Pourtant, la pratique du dessin nous a été possible lors d’une sortie terrain d’une semaine à Ouessant, organisée par le professeur en question, Hervé Regnauld, un chercheur CNRS climatologue Olivier Planchon et une photographe enseignante à l’Ecole des Beaux Arts de Rennes Caroline Cieslik. Les étudiants participants sont géographes d’une part, étudiants des Beaux Arts d’autre part. Un des buts de ce stage terrain est de nous apprendre des techniques d’observation et de mesure en géomorphologie littorale  Le dessin de paysage d’une part, la réalisation de bloc diagramme d’autre part étaient dans les  consignes de notre polycop , et dans les exigences attendues lors de l’exposé qu’il nous fallait rendre pour être noté. A cela il faut ajouter que le peu de prises de courant pour nos sempiternels ordinateurs et une connexion internet plus que sommaire nous ont fait utiliser nos mains. Ce bloc diagramme a été réalisé lors de ce séjour.

METHODOLOGIE

Je me suis inspiré des recommandations de M. Regnauld. Nous disposions sur place de plusieurs documents explicatifs. Cela ressemble à cet article de Michel Phlipponeau avec une méthodologie succincte mais efficace. L’avantage certain du bloc diagramme est son point de vue oblique qui permet de présenter le relief en perspective cavalière[1]   et de mettre en évidence des dynamiques. Ce qui peut faire reculer, c’est le temps qu’il faut lui consacrer. Il a ainsi été réalisé en 6 étapes.

1)      Pour rendre compte des volumes et de garder une certaine proportionnalité avec le paysage à représenter, il a d’abord fallu passer par la lecture de la carte topographique. Il est judicieux de la retravailler en ne gardant que les courbes de niveau afin d’avoir un document clair. C’est ici que l’ordinateur sert : les logiciels SIG permettent de sélectionner  l’information sur la carte IGN au 25000ème. On peut le faire directement sur la carte-papier avec un calque, mais c’est effectivement un travail « à l’ancienne » plus fastidieux (Plipponneau, 1951).

2)   Pour faciliter la reproduction, une grille a été placée sur l’ensemble de la carte, les carreaux faisant un hectare. Cette grille a été reproduite de manière oblique sur le document, ainsi prend-t-elle la forme d’un parallélogramme. Ce dernier doit occuper l’espace central du support, sans oublier des espaces pour les légendes, titres et surtout la hauteur qui fait l’intérêt de ce type de dessin.

gayraud_02

(Equidistance des courbes de niveau : 5 m)

3)   Ainsi, il a été possible de reproduire la hauteur la moins élevée de la carte sur ce premier parallélogramme. L’intérêt dans l’analyse du littoral est de différencier le « zéro marin » du « zéro terrestre ». A Ouessant ils ont environ 7 m d’écart, le zéro marin étant défini par le Service Hydrographique et Océanographique de la Marine par la plus basse marée basse possible (coefficient 120) tandis que le zéro terrestre défini par l’Institut Géographique National est le niveau moyen de la mer àMarseille. Ensuite, les courbes de niveau supérieures ont été reproduites en déplaçant le parallélogramme par rapport à l’axe des hauteurs. Autrement dit, on déplace un calque sur l’échelle des hauteurs en le calant à chaque étape sur l’altitude de la courbe concerné. C’est ici qu’apparaît l’aspect un peu fastidieux. Dernière chose, pour mettre en valeur les falaises, on peut  donner plus d’importance à l’échelle des hauteurs. Ici la valeur d’exagération

4)   L’habillage est resté sobre. Les volumes ont été mis en valeur par des contours noirs et des ombrages ; un peu de couleur pour rendre le document attractif.  Ces deniers prennent en compte les lignes de crêtes, les talwegs et les pentes. En cela, l’habillage constitue le dessin panoramique du relief, l’effet perspectif masquant certaines zones de la topographie. D’autres éléments peuvent paraître anecdotiques, comme la rose des vents où les indications de distance, mais ils habillent le document. Ils doivent cependant ne pas prendre trop de place.

5)   Enfin, et cela reste le plus crucial, nous avons positionné la légende. Ce sont les facteurs d’érosions qui sont intéressants  à faire figurer au premier plan. Ici aussi les couleurs font références à des codes esthétiques relativement banals mais ils permettent aussi une lecture plus aisée. Faire figurer les légendes à l’extérieur du dessin permet d’éviter de le surcharger.

RESULTATS

Le bloc diagramme a un double objectif. Il se doit d’être « scientifique » dans le sens où les légendes sont le résultat d’observations de terrain faites à partir de notions théoriques exposées en cours ou dans des polys à notre disposition. Celui qui servait de base à notre travail à Ouessant est disponible sur   http://cel.archives-ouvertes.fr/cel-00331862/fr/ . Mais le bloc diagramme  peut être aussi « vulgarisant » car la représentation de dynamiques littorales sous forme de dessin est sans doute bien plus attirante pour des lecteurs extérieurs à la géographie que les polys.

Ainsi, lorsqu’une étudiante des beaux arts, présente lors de la sortie terrain, explique qu’elle a globalement cerné les processus ayant mis en place d’un type de paysage, qu’elle a par ailleurs artialisé, son propos laisse  entrevoir à un géographe que la pratique du dessin géographique un pont disciplinaire intéressant.

Avec mon petit bagage de géographe en M1, il me semble que le dessin concrétise en effet trois facettes de ce qui définirait ma discipline.

La géographie, renferme d’abord un enjeu optique. Elle se doit donc d’être vulgarisée. A ce titre, dessiner, c’est accepter d’enlever des informations pour toucher une plus large public. A la limite il s’agit d’utiliser des codes de sémiologie graphique et de marketing optique pour vulgariser des notions scientifiques.

 La géographie renferme ensuite un enjeu exploratoire. La pratique du terrain et les travaux pratiques qui l’accompagnent, dont le dessin, donnent sens  à la dimension naturaliste de cette discipline. Elle aiguise la curiosité et la capacité à l’étonnement. En d’autres termes, avant d’étudier et de représenter les paysages, on prend d’abord plaisir à les arpenter. On concilie ainsi découverte et démarche scientifique comme l’écrit P Deffontaines  (1980) : « Se constituer une âme d’explorateur qui sache reconnaître les particularités d’un paysage et pénétrer son intimité »

La géographie puisqu’elle est à la fois humaine et physique, c’est-à-dire science sociale et science naturaliste se doit par définition, de décloisonner les sciences. Le dessin constitue sans doute l’interface entre certaines d’entre elles.

Ce dessin de bloc diagrammepeut peut-être répondre à ses trois aspects.

HISTOIRE ET CONCLUSION

Le cours d’épistémologie précédemment cité, avait lieu dans l’amphi B6 de l’Université de Rennes 2 , nommé amphi « de Martonne » : un géographe qui dessinait, et notamment des blocs diagrammes(cf. Dessin du géographe n°12 : Emmanuel de Martonne et le bloc diagramme, 10 septembre 2010) .  Mon dessin n’a donc rien de nouveau. Dès lors, les jeunes étudiants en géographie devraient peut être s’atteler à réfléchir à de nouvelles représentations des réalités du terrain.

En ce sens, l’évolution de la discipline, est peut être lié à des pratiques inédites, qui s’ouvriraient certainement aux arts. Photographies, vidéos et pourquoi pas performances seraient des expériences nouvelles de représentations de l’espace dans le but d’illustrer une démarche scientifique.

Note du professeur en question(Hervé Regnauld avril 2014)

Le TP Terrain à Ouessant dure une semaine et s’adresse chaque année depuis 1998 aux étudiants de M1 de Rennes 2 qui suivent les spécialités « Fonctionnement spatial des Milieux et « gestion de l’Environnement ». Il a lieu en Mars, période statistiquement idéale pour les anticyclones post tempêtes (dépressions) et l’année 2014 n’a pas fait mentir les statistiques. Il est conjointement organisé par un climatologue (O. Planchon) et un géomorphologue (H. Regnauld). Aussi souvent que possible ce TP terrain est co-organisé avec l’Ecole des Beaux Arts de Rennes (en 2014 avec C. Cieslik, photographe). L’enjeu est d’appréhender la notion de paysage littoral sous deux angles, l’un plutôt naturaliste étant la morphodynamique, l’autre plutôt artistique étant la représentation. Les étudiants participants sont amenés  à mobiliser des notions géomorphologiques, des points de vue esthétiques et des enjeux épistémologiques (Regnauld et al, 2012) pour faire le lien entre les deux.

L’hébergement est assuré par le Centre d’ Etude du Milieu à Ouessant, lieu qui est dédié à l’accueil de groupes de scientifiques. Le responsable scientifique de CEMO, François Quenot met ses connaissances et sa bibliothèque à la disposition des étudiants.  Durant les deux premiers jours les étudiants sont guidés par les enseignants chercheurs et observent les sites sur les quels des travaux ont déjà été publiés (Regnauld et al, 2010). Ils s’exercent à prendre des notes (photos, croquis, échantillons de surface, carottages, MNT ) qui leur permettent de comprendre comment les  articles cités en biblio ont été construits. Durant les trois jours suivant les étudiants (par groupe) étudient une portion de la côte et restituent ensuite leur travail sous la forme d’un exposé oral, d’un texte (4 à 8 pages) et des trois documents graphiques originaux : une carte, un bloc diagramme et un document libre qui peut être une vidéo, un ensemble de photos, un autre carte. Les étudiants des Beaux Arts organisent une exposition de leurs travaux quelques semaines après être revenus à Rennes.

Bibliographie :

Deffontaines P. [1980] Petit Guide du Voyageur Actif. Presses d’Ile de France. 91 pages.

Phlipponneau M., (1951) « Quelques indications pratiques pour la construction du bloc-diagramme », L’information géographique, Volume 15, n°1,. p. 25-26

Regnauld H, Oszwald J., Planchon O., Pignatelli C., Piscitelli A., Mastronuzzi G., Audevard A., (2010), “ Polygenic (tsunami and storm) deposits? A case study in Ushant island, western France” Zeitschrift für Geomorphologie, n° 54, p.197-217.

Regnauld H., Volvey A, Heulot P., (2012), « Géomorphosites et collection du FRAC Bretagne : comment les Arts Plastiques actuels peuvent-ils  participer à la réflexion sur les sites littoraux remarquables ? » Geocarrefour. 87, n° 3-4, p. 219-228.

Courtot R., “Emmanuel de Martonne et le bloc diagramme”, Le dessin du géographe n°12, septembre 2010. http://cafe-geo.net/wp-content/uploads/Dessin_du_Geographe_n12.pdf

Consulté pour la dernière fois le 2 Mai 2014 à 18h00

[1] Cette perspective est dite parallèle car les lignes de fuite sont parallèles. On peut faire varier les angles de fuite (les côtés du parallélogramme devenu un losange par rapport à l’horizontale) car ils définissent l’obliquité de la vue panoramique : elle est d’autant plus importante qu’ils sont plus aigus, comme dans le cas présent. Avec des angles de fuite à 45° le parallélogramme aurait des angles droits et resterait un rectangle.