Le dessin du géographe : n°61

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L’ile d’Ouessant est totalement incluse dans le périmètre du parc Marin d’Iroise et son littoral est intégralement protégé. La lande littorale, les pelouses halo-éoliennes, très sensibles au piétinement sont soigneusement observées et suivies par le Centre d’Etude du Milieu d’Ouessant (CEMO) et des chemins côtiers spécifiques canalisent les promeneurs loin des espaces les plus écologiquement fragiles.

Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Ainsi vers 2840 cal BC des occupants de l’île marchaient régulièrement vers des lieux de pêche et creusaient des chemins. Vers 1190 cal BC * le piétinement aux alentours des pêcheries était suffisant pour que les horizons organiques s’accumulent 10 fois moins vite que sur des sites non fréquentés. Il s’agit bien sur de mesures et de datations qui n’ont pas une exactitude absolue mais elles indiquent que les premiers occupants de l’île avaient déjà un impact sur les pelouses littorales et localement sur le recul de certaines falaises meubles.

A une époque un peu moins lointaine, mais encore non datée, des constructions littorales autre que des pêcheries ont été installées dans de toutes petites anses où un bateau (petit) peut s’abriter et s’échouer, même par grande tempête d’Ouest : ainsi à Porz Milin juste à l’Est du phare de Creac’h.

Le premier dessin représente le site, avec les séries de tors et les plages de galets. On distingue, en haut de plage une coupe avec un horizon foncé et des galets inter stratifiés dans ce qui ressemble à des paleo-sols. Les galets sont disposés avec une régularité telle qu’ils donnent l’impression d’avoir été déposés soigneusement les uns à coté des autres (une sorte de pavage) plutôt par une main que par une surcote de tempête. En fait il s’agit d’un site archéologique, identifié comme tel par JP Le Bihan mais jamais fouillé ni même décrit. Il n’est pas mentionné dans les ouvrages disponibles au CEMO.

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Le second dessin représente la coupe et la localisation des échantillons… qui ont été envoyés pour datation C14 et dont les âges vont, enfin, être connus.

Sur place bien sûr, le 10Mars 2016, j’ai fait de nombreuses photos, mesures, prélèvements pour la sédimentologie. A un moment j’ai eu envie de faire un dessin, simplement parce que l’ensemble de cette portion de côte est signalée dans les brochures du département du Finistère (et dans les locales aussi) comme paysage remarquable. Ce qui est remarquable est évidemment la dimension esthétique du lieu (avec lors de cette journée un soleil superbe qui faisaient oublier les rafales à 140 de l’avant-veille), au sens le plus classique de « esthétique » : une émotion par les sens sans l’intermédiaire du concept. Le seul problème est que, en tant que géographe, je ne peux pas voir ce lieu sans que pleins d’articles sur les tors m’apparaissent et que les fantômes des paléo pécheurs/navigateurs de très longtemps BC ne s’agitent à écraser les pelouses et à entasser les galets sur des plates formes pour faire sécher leurs prises ou peut être accumuler des algues pour en faire du combustible. Bref je vois ce paysage remarquable comme une histoire animée, avec des scientifiques actuels et des habitants disparus. Il y a des concepts partout. En faire un paysage seulement esthétique me parait alors ironique.

Hervé Regnauld

* “vers 2840 cal BC” = vers 2840 avant Jésus-Christ, « cal » = années calibrées, c’est-à-dire dont la datation au carbone 14 a été rectifiée en tenant compte des variations de la teneur de ce dernier dans l’atmosphère au cours du temps.

Bibliographie :

Regnauld H, Abd El Hamid A, Daire M.Y., Le Bihan J.P., Guérin-Chapel A., Mahmoud H., Mastronuzzi G., 2015 : Anthropisation ancienne et impacts différenciés sur le littoral d’Ouessant (Age du Fer-Epoque Médiévale) quelques premières données. In Audouard L. et Gehres B. eds, « Somewhere beyond the sea, les îles bretonnes (France) perspectives archéologiques, géographiques et historiques ». British Archaeological Reports, International Series 2705, 113 P.

Compléments :

Une carte postale ancienne représentant le même site que le dessin n°1 :

http://ouessant.e-monsite.com/pages/cartes-postales-anciennes-d-ouessant.html

Une image oblique aérienne du site « geoportail.gouv.fr » qui permet de localiser l’étude au NO du phare de C’reach

Une image oblique aérienne du site « geoportail.gouv.fr » qui permet de localiser l’étude au NO du phare de C’reach