Un coin de terre, abrité autour du Mont-Titano au cœur de l’Italie, entre l’Emilie-Romagne et les Marches abrite la plus ancienne République du monde, l’un des huit micro-Etats d’Europe. Ceci nous amène à nous interroger sur le sort des micro-Etats dans la mondialisation : sont-ils condamnés à n’être que des paradis fiscaux et/ou touristiques ?
Pour répondre à cette problématique, nous recevons au Flore le 19 mai, pour notre dernier café de la saison, Leopoldo Guardigli, ambassadeur de Saint-Marin en France, l’historien Bruno Fuligni et Luca Saibene, stagiaire à l’ambassade.

De gauche à droite : B.Fuligni, Leopoldo Guardigli, Luca Saibene, au Flore, le 19 mai 2025. Photo M.Huvet-Martinet
Micro-Etats et micronations.
Bruno Fuligni introduit le propos en rappelant quelques généralités et en insistant sur l’intérêt de ces micro-Etats reconnus par l’ONU par leur pleine souveraineté et définis essentiellement par la taille de leur population (moins de 100 000 habitants). Un quart des 193 Etats représentés à l’assemblée générale de l’ONU est constitué de micro-Etats. Le terme n’est pas un statut juridique mais une catégorie descriptive. Il s’agit non pas seulement d’anciennes entités politiques européennes mais aussi de plus jeunes Etats issus de la décolonisation, le plus souvent insulaires dans les Caraïbes et l’océan pacifique. Saint-Marin est restée longtemps la plus ancienne et plus petite république avant d’être remplacée en 1968 par Naurou (en Micronésie).
A côté des micro-Etats reconnus par la communauté internationale, Il existe aussi des entités qui ont des lois constitutionnelles ou des statuts particuliers tout en étant sous la coupe d’un Etat plus grand : cas de la république autonome monastique du Mt Athos, avec des particularités fortes même si elle ne siège pas à l’ONU.
On assiste aujourd’hui à une explosion de micronations (#Etats) entités qui revendiquent leur souveraineté mais qui ne sont reconnues par aucune organisation internationale. Elles sont fictives ou utopiques, autoproclamées symboliquement sur des bases variées (artistique, ludique, environnementale…) telle la micronation virtuelle du royaume de Talossa.
Il y aurait actuellement environ 400 micronations.

Le Mont Titano (739 m) se présente comme une grande terrasse d’où on voit la vallée de la Marecchia qui débouche sur Rimini.
https://commons.wikimedia.org/wiki/San_Marino#/media/
File:View_of_Mount_Titano_-_San_Marino.jpg
Saint-Marin : fiche signalétique de la république de Saint-Marin, « ce petit rond qu’on voit sur les cartes, la rosette que l’Italie porte à la boutonnière » (citation de Valéry Larbaud).
Sur 61 km2 Saint-Marin accueille une population de 34 000 habitants dont 5000 étrangers, 18 000 résidents sont à l’étranger (dont 2500 en France). A 15 km de la mer Adriatique, le Mont Titano qui appartient aux Apennins, conserve les vestiges de l’ancienne communauté du fondateur Saint Marin venu trouver refuge pour échapper aux persécutions engagées contre les Chrétiens par l’empereur Dioclétien (fin IIIème siècle ap.J.C). La tradition d’hospitalité et de refuge est donc ancienne à Saint-Marin qui a accueilli Garibaldi en 1849, 100 000 réfugiés italiens pendant la Seconde Guerre mondiale et plus récemment 3000 Ukrainiens.
La République possède de très anciennes institutions, uniques au monde, attestées depuis 1243, mettant en exergue le partage du pouvoir à tous les niveaux. Le gouvernement est assuré par deux Capitaines-Régents, chefs de l’Etat, élus par le Grand Conseil Général, parlement de 60 députés élus au scrutin proportionnel. Les 1er avril et 1er octobre a lieu la cérémonie d’investiture du Capitaine-Régent (qui reste en fonction six mois), fondée sur un protocole très ancien et très strict. IL y a un Conseil des ministres mais pas de Premier ministre.
Les San-Marinais ont leur plaque d’immatriculation, leur chaine TV, leur service postal et leur passeport qui les dispense de visa en Chine.
Saint-Marin : un pays riche ?
Longtemps pays pauvre, La République a maintenant un PIB/habitant de 55 000 USD ce qui est un très bon score. Le taux de chômage structurel est de 3%.
L’économie autrefois traditionnelle est maintenant diversifiée. Les secteurs manufacturier et financier représentent la moitié du PIB.
L’agriculture, longtemps dominante est encore représentée par la viticulture, l’olivier et l’élevage qui donnent des produits de haute qualité certifiée par un label alimentaire unique pour les vins, les pâtes et l’huile d’olive.
Le travail de la pierre et surtout celui de la céramique sont anciens : des ateliers continuent de produire et font la renommée de la République.
Le textile, le packaging alimentaire sont des activités manufacturières plus récentes.
La philatélie et la numismatique ont un caractère prestigieux et unique pour les collectionneurs.
Le tourisme se développe depuis les années 1960 sur la base de séjours courts de touristes venus passer la journée à partir de Rimini : pour développer des séjours plus longs, la République organise des événements festifs comme l’Etnofestival ou des journées médiévales, et la fête de la fondation de la République en septembre. Les activités sportives notamment le Grand Prix de moto à Rimini et un tournoi de tennis ATP attirent du monde tout comme au mois de mai le passage de la compétition des Mille Miglia destinées à des voitures anciennes. Il y a maintenant 2 millions de touristes par an
La fonction publique est plutôt hypertrophiée en raison de la taille réduite de la République et de l’exercice souverain d’institutions étatiques régaliennes, santé, enseignement …
Saint-Marin : un paradis fiscal ?
Oui quand le secret bancaire était officiellement reconnu mais ce n’est plus le cas. L’opacité a pris fin avec la crise financière de 2008. Des accords ont été signés avec les pays de l’OCDE pour rendre transparents les flux financiers. Les impôts sur les sociétés sont à 17% soit plus qu’en Suisse où qu’en Irlande (15%). Il existe un système de détaxe pour certains montants d’achats faits par des non-résidents et non Italiens.
Un territoire enclavé en Italie.
Saint-Marin n’est pas membre de l’U.E mais se sent profondément européenne et est fortement liée à l’U.E à travers des accords douaniers et monétaires : l’Euro est la monnaie officielle. Saint-Marin ne fait pas partie de l’espace Schengen mais les frontières avec l’Italie sont ouvertes : 6000 Italiens viennent y travailler quotidiennement. Un accord d’association est en cours de négociation avec l’U.E et devrait être signé prochainement.
La République a du mal à mener une politique étrangère autonome (malgré sa présence à l’ONU) compte tenu de son enclavement géographique sur le territoire italien d’autant que Saint-Marin n’a ni ressources énergétiques ni ressources hydriques. Faute d’avoir une armée, la défense est assurée par l’Italie. Le chemin de fer ne fonctionne plus ; l’accès à la mer se fait par Rimini où se trouve l’aéroport le plus proche avec nombreux vols sur l’Europe de l’Est d’où viennent beaucoup de touristes. Sinon les vols se font par Bologne (135km).
Quel avenir ?
La République est engagée dans un processus irréversible de transparence et d’intégration européenne avec la modernisation et la diversification de son l’économie. Très attachés au multilatéralisme, à la paix, au dialogue, les San-Marinais sont très respectueux du respect du droit international qui garantit leur existence. Saint-Marin n’a pas les moyens d’avoir des ambassades dans le monde entier ; elle n’en a que sept, là où siègent des organisations internationales en Europe (Paris, Bruxelles, Rome, Genève, Vienne, Strasbourg) et à New-York. Saint -Marin est un pays de traditions, capable de changer pour prospérer.
Témoignage de Luca Saibene.
Italien de Milan, étudiant à Sciences-po Paris, Luca a découvert Saint-Marin et les San-Marinais à travers ses stages aux ambassades de Saint-Marin à Vienne et à Paris.
Il a découvert les neuf différentes petites municipalités et leur appartenance au patrimoine de l’UNESCO. Il ne s’agit pas d’un musée à ciel ouvert. Saint-Marin est une République très ouverte qui pratique le multilatéralisme et une démocratie très vivante autour de multiples partis politiques, étonnamment nombreux pour une population de 34 000 habitants. IL a été marqué par l’équilibre entre la tradition et la modernité, la façon dont les San-Marinais sont très fiers de leur histoire et aussi par le dynamisme de l’Université.
Dans ses missions il a remarqué que la République est mal connue et qu’il y a un contraste entre l’image perçue à l’extérieur d’un Etat sans influence, un peu folklorique et la réalité intérieure bien plus complexe. Il a eu l’occasion de découvrir que Saint-Marin n’est pas seulement une curiosité géographique ou historique mais aussi un petit pays dynamique tourné vers l’avenir et l’extérieur, membre de nombreuses organisations internationales.
Questions de la salle :
Sur l’histoire de San Marin. Au XVè siècle la République a réussi à se tenir à l’écart des confits entretenus entre les grandes cités-Etats d’Italie car elle était souvent ignorée. De même au XIXè siècle elle a échappé curieusement au processus d’unification de l’Italie alors qu’elle n’a jamais eu d’armée. Montesquieu, dans ses Carnets de voyage en juillet 1729, a sans doute la réponse à cette indépendance de Saint-Marin : « Ce peuple n’a jamais été soumis, parce que cela n’en valait pas la peine et il n’a jamais pu attaquer personne. Ils sont très jaloux de leur château car il constitue leur liberté ».
Système éducatif et universitaire.
L’enseignement primaire et secondaire est calqué sur celui de l’Italie tout comme le système de santé. Un institut d’enseignement bilingue avec Italien/anglais est mis en place récemment à titre expérimental. L’Université (UNIRSM) fondée en 1985, est en croissance significative ces dernières années. Elle compte plus de 2000 étudiants inscrits et propose de nombreux programmes académiques d’excellence dans ses différents départements, parfois en partenariats avec des universités italiennes renommées et abrite plusieurs centres de recherches. Un assistant dans le public signale avoir participé au programme très pointu du centre d’études historiques qui dispose d’une excellente bibliothèque, témoignant ainsi de la politique culturelle de la République.
Relations avec le Vatican.
Il s’agit d’un autre micro-Etat, en Italie. Les San-Marinais sont catholiques. Jean-Paul II était venu en visite à Saint-Marin. Les relations avec le Vatican sont donc bonnes maintenant ce qui n’a pas forcément toujours été le cas historiquement du temps où les Etats Pontificaux étaient plus menaçants territorialement en Italie. Par ailleurs, Saint-Marin a des relations diplomatiques avec pratiquement tous les Etats du monde.
Vie politique.
60 députés et 10 partis politiques pour 34 000 habitants ! Avant les années 1970, le paysage politique était proche de celui d l’Italie avec les Démocrate- chrétiens, les socialistes, communistes…Maintenant Le nombre des partis s’est multiplié, la vie politique est plus intense notamment sur les problèmes locaux. Actuellement c’est la démocratie chrétienne qui reste majoritaire dans le cadre d’une coalition avec quatre partis.
Quel intérêt de développer le tourisme sur un territoire si petit ?
Pour éviter le surtourisme estival il convient de développer le tourisme toute l’année en multipliant les évènements. Mise en valeur des traditions culinaires et gastronomiques. Musée de l’alimentation traditionnelle, projet d’un Spa…
Quelles relations avec les autres micro-Etats ?
Beaucoup sont lointains et insulaires, les relations avec eux sont peu développées. Ils doivent faire face à des problématiques particulières comme le relèvement du niveau de la mer qui ne concerne pas Saint-Marin. Par contre, avec les autres micro-Etats européens les relations sont plus développées par exemple avec Monaco mais plus particulièrement avec Andorre dans le cadre des discussions menées depuis 2015 pour négocier un accord avec l’U.E.
Micheline Huvet-Martinet, mai 2025